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Suite à l'appel à candidature lancé par Macron pour la reconstruction de la flèche de Notre-Dame, Wim Delvoye s'est immédiatement porté candidat : une gaudriole ? Pas seulement, car cet épisode tout récent montre à la fois le côté drôle, espiègle de l'artiste flamand, mais aussi sa culture artistique, son intelligence-certains diront rusé. Et en effet, l'exposition l'illustre, puisque nombre de ses oeuvres (dont 15 très récentes) investissent en partie la partie ancienne du musée : qu'il s'agisse des torsions de la sculpture de Jef Lambeaux (Le dénicheur d'aigles) dans l'immense patio du musée, de celle de Daphnis et Chloé au milieu des Bruegel, des cochons tapis d'Orient trônant parmi les immenses Rubens, du bleu de Delft sur bonbonne de gaz ou disques de scie parmi des objets 17e, des beauty-cases et des objets ouvragés en regard des meubles renaissants, du christ torsadé au sein des tableaux religieux des Primitifs, Wim démontre sa connaissance, son intérêt et son amour pour l'ancien (lui qui collectionne les vieux grimoires) qu'il réanime dans une étonnante collision entre les époques révolues et la nôtre. Un entrechoquement qui suscite autant l'amusement, voire le rire, que la réflexion.Les " natures mortes " de l'Art ancien reprennent vie sous les coups de boutoir de cet agent provocateur, qui, parti en Chine, a désormais migré en Iran, toujours dans le rejet du politiquement correct, reconstitue la carrosserie de la Maserati 450S. Un bolide, le plus puissant de sont temps - construit à seulement dix exemplaires entre 56 et 58, et sur lequel il inscrit des calligraphies arabes qui racontent l'épisode ( Isra) où Mahomet se télétransporte nuitamment de La Mecque à Jérusalem (et retour) à la vitesse de 12 chevaux au galop : bon, d'accord la Maserati en fait 420...Iconoclaste, dans la partie principale de l'expo située au sous-sol et placée dans un clair-obscur ironiquement fervent, la religion chrétienne n'échappe pas au jeu de massacre des Innocents de Delvoye : le christ enroulé à l'air d'un cycliste couché. Ce "tordu" de Wim en fait un contorsionniste éternel - Jésus devenant Möbius, se sert de l'art gothique des vitraux pour refléter, comme dans l'imagerie médiévale et cette fois... médicale ( Days of the week), l'intérieur du corps et renvoyant à la sacralisation de la médecine. La symétrie du test de Rorschach s'applique à la sculpture du 19e, copiée et transformée pour l'occasion, moquant la psychanalyse, mais aussi l'enseignement artistique qui réprouve... la symétrie.Le gothique applicable à la flèche de Notre-Dame se retrouve ailleurs dans la maquette du camion de même style (la " statue " se trouve à Bruxelles derrière le KVS) notamment.Car Wim ne fait pas que dénigrer, il réhabilite : notamment le cochon, animal méprisé, si proche de l'homme que le plasticien le décore de mêmes tatouages que ses contemporains, lui donnant un statut d'oeuvre d'art et pas seulement de lard.Utilisant des objets usuels qu'il élève au statut d'oeuvre d'art (l'étui à mobylette) par leur seule présentation à la manière de Duchamp, Delvoye va plus loin dans l'humour et le référentiel, notamment dans ses pneus de voiture sculptés, qui renvoient aussi bien à la renaissance, l'art oriental ou Nouveau.Mais Wim prend aussi position : il rédigea d'ailleurs à l'aide de pelures de pomme de terre répartie sur 36 cadres, une lettre d'amour, constituées par des épluchures, d'un certain Mohamed à une certaine Caroline. Ceci suite à des émeutes il y a vingt ans à Bruxelles, provoquée par la mort d'un dealer maghrébin abattu par la police : Delvoye opposait ici l'amour à la haine, avec comme point de convergence l'écriture arabe d'une part, et la pomme de terre symbole belge s'il en est. L'artiste démontrait une fois encore qu'il avait la patate.Fonctionnant par période -, gothique, vitraux, cochons, torsions -, Delvoye s'est maintenant tourné vers la capture d'écrans de jeux vidéos comme Fortnite ou Counter-strike, qu'il grave dans le marbre de 12 bas-reliefs, technique remis au goût du jour pour l'occasion, constituant ce que l'artiste nomme une archéologie du futur...Bien sûr, le point d'orgue de cette exposition reste Cloaca, la machine qui produit, sur base d'éléments naturels assemblés, une déjection humaine : réflexion sur la machine et sa capacité à reproduire l'homme dans toute sa " complexité", installation volontairement grotesque qui moque la sophistication et en même temps l'urinoir de Duchamp, renvoyé pour toujours aux toilettes de l'histoire de l'art. D'autant que la machine, dans sa version améliorée et placée en début d'exposition, répand en plus un doux parfum... de caca. Ce qui ne signifie pas, loin s'en faut, que Wim Delvoye soit un artiste de merde...