Le Médecin Jean-Christophe Rufin révèle avec "Les flammes de pierre" sa passion pour la montagne dans une histoire d'amour à deux versants.
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Cans son dernier roman, Jean-Christophe Rufin, pionnier de Médecins Sans Frontières, qui fut ensuite ambassadeur, a complètement embrassé la carrière d'écrivain. Avec Les flammes de pierre, l'ancien Prix Goncourt révèle son versant montagnard en décrivant une passion amoureuse faite de sommets et de crevasses, une sorte de ménage à trois dont la montagne serait l'élément rassembleur entre un homme et une femme, Rémy et Laure, passionnés d'alpinisme, grimpeurs chevronnés sujets au vertige... de l'amour. Le journal du Médecin: Comme dans le cas d'une montagne, vos deux protagonistes révèlent deux versants de leur personnalité... C'est très juste, je n'y avais pas pensé: les livres sont des exercices d'inconscient. Plane également sur le roman ce sentiment d'animalité perdue... Cela va même au-delà: il s'agit d'une sorte de recherche de fusion avec la nature, y compris la roche au travers du touché: une manière d'établir un lien, une continuité entre votre corps vivant et ce monde minéral qui sont à tous points de vue dissemblables: l'un est mou, fragile, l'autre dur et résistant. L'un est doué de sensations, l'autre est inerte... Dans un monde de plus en plus aseptisé, on en revient dans ce livre à quelque chose de tactile... ... et même de sensuel. L'alpinisme est une activité qui se pratique sans aucun médium: pas de carrosserie entre vous et la route, pas un cheval entre vos jambes, de club de golf... C'est la pulpe des doigts sur une matière que l'on croit inerte. N'y aurait-il pas à propos de la montagne comme de la mer, une sensation d'éternité qui fait que l'on est attiré par elle? Nous sommes attirés par cette idée, mais qui est fausse. La preuve par exemple avec Walter Bonatti qui a réalisé l'ascension de la face ouest des Drus dans le massif du Mont Blanc par le pilier qui porte désormais son nom en 1955 en solitaire, exploit extraordinaire pour son époque. Il affirmait " je suis mortel, par contre ce pilier est là pour toujours..." Et bien de son vivant, il y eut l'éboulement massif des Drus et la disparition du pilier. Étonnamment, nous assistons aujourd'hui à une sorte de compétition des survies: la nature n'est plus, compte tenu des menaces qui pèsent sur elle, l'étalon de la permanence et de l'état immuable des choses. C'est donc une illusion. Et en même temps, cette idée que tout cela va nous survivre nous imprègne profondément. Vous écrivez "nous sommes victimes plutôt que héros, consommateurs plutôt qu'acteurs et esclaves plutôt que sauveurs"... Nous évoluons dans un monde, on le voit avec la pandémie, où règne le sacro-saint principe de précaution où l'on nous infantilise énormément, dans lequel la pression sociale est très forte, qui n'est pas punitive mais agit pour notre bien. La ceinture de sécurité, le préservatif, le masque, l'interdiction de fumer... c'est très bien, mais je crois qu'il est important pour la formation d'êtres humains véritables et pas uniquement des gens qui obéissent et qui subissent, qu'il y ait des espaces où ils puissent encore avoir la liberté d'être responsables d'eux-mêmes. Des espaces de plus en plus rare: la mer, un peu le ciel, et la montagne. Je suis convaincu notamment que si nous ne procurons pas cette possibilité intelligemment aux jeunes, sans se mettre en danger, de se confronter à une espèce de responsabilité et au dépassement de soi, ils n'auront pas besoin d'aller se tuer en moto... Tous ses équivalents suicidaires de la jeunesse d'aujourd'hui, découlent aussi d'un rétrécissement de l'espace de liberté ; et l'on ne peut pas construire un être humain, sans un moment donné lui avoir fait prendre des risques. La montagne s'oppose à cette aseptisation? Oui, car en pratiquant la montagne de la sorte il faut apprendre et accepter d'avoir peur, faim et soif... et tout cela en le choisissant et pas en le subissant. Avoir la possibilité de se confronter à ses limites, à ses fragilités. Ce qu'offre la montagne...