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"L' heure est grave!", a déclaré le Pr Stefaan De Henauw, président du groupe de travail Nassa (Nutrition, Alimentation, Santé) du CSS, en introduction à cette matinée de conférences en ligne (12 mai) suivie par un millier de personnes. " Il y a urgence à parler de ces sujets, à se rendre compte que nous sommes à un croisement, que nous avons des décisions importantes à prendre concernant la production de l'alimentation, son traitement, sa distribution, sa valeur économique, sociale et environnementale... Les choix que nous faisons aujourd'hui auront des conséquences à long terme pour les générations futures, il est urgent d'agir. Si vous êtes déprimés par cette introduction, telle était mon intention, néanmoins certains éléments plus optimistes offrent peut-être des perspectives intéressantes..." Le CSS produit régulièrement des avis en matière d'alimentation saine, qui, au fil des ans, ont aussi intégré la notion de durabilité. " La prise de conscience va au-delà de l'émission des gaz à effet de serre (GES), elle se penche sur d'autres dimensions culturelles, éthiques etc. L'approche holistique, systémique, est nécessaire, il faut construire des ponts entre les disciplines, comme le propose ce séminaire. J'insiste sur la prise de conscience parce que je crois que c'est un aspect déterminant et qu'il y a encore un long chemin à parcourir pour créer cette lucidité qui sera le point de départ pour passer à l'action", souligne-t-il. " Il n'y a pas de solution simple, il y a beaucoup d'approches aux résultats divers et certaines démarches brutales aboutissent à des résultats pervers", a expliqué Tim Benton (Chatham House, GB). " La perturbation des écosystèmes entraîne des effets en cascade. Le boeuf est mauvais pour la planète? Oui, mais le monde s'en sortirait mieux si on mangeait du boeuf issu de l'agriculture intégrée que si on arrêtait tous d'en manger! L'agriculture bio est durable mais elle n'est pas déployable à l'échelle mondiale parce que comme elle est moins productive, si la demande reste la même, il faudra plus de terres et plus d'importations d'aliments." Les kilomètres parcourus par un aliment jouent un rôle important sur l'empreinte carbone: " Remplacer moins d'un jour de calories hebdomadaires issues de la viande rouge et des produits laitiers par du poulet, du poisson, des oeufs ou un régime à base de légumes permet de réduire davantage les émissions de GES que d'acheter tous ses aliments d'origine locale." Dès lors, que faut-il faire? " Le changement de régime alimentaire est la clé: une alimentation plus saine est aussi plus durable. Il faut faire cette transition pour réduire l'empreinte environnementale. C'est un défi pour éviter d'aggraver les choses." Ce spécialiste en sécurité alimentaire mondiale plaide pour le compromis: " Au lieu d'être directif, il faut des règles larges comme limiter sa consommation au 'suffisant' (souvent on mange 20% de calories excédentaires), augmenter les aliments complets et diminuer les produits ultratransformés, viser la diversité en fruits et légumes et des régimes à prédominance végétale, et, dans la mesure du possible, s'approvisionner auprès de l'agriculture agro-écologique." Comment lancer cette transition vers des régimes durables? " La prise de conscience est très importante. La bonne nouvelle, c'est que le débat est ouvert et qu'on sait dans quelle direction il faut aller: plus de protéines vertes, plus de végétaux, changer et réduire sa consommation... Comment y arriver? Il est extraordinaire d'avoir des jeunes activistes comme Greta Thunberg, mais cela ne suffit pas, les décideurs politiques devraient être ceux qui tirent les ficelles, il faut un cadre pour ceux qui veulent sauver la planète. Le changement climatique modifie la façon dont on parle de l'alimentation, il semble être un moteur pour beaucoup. C'est donc une fenêtre d'opportunité qu'on doit utiliser", précise Mads Fischer-Moller (politique alimentaire, GB). Il détaille ces 'fenêtres' comme suit: continuer à faire avancer la conversation générale, créer la nouvelle normalité ('new normal') et de nouveaux discours (par exemple, moins de viande mais de meilleure qualité), créer un consensus parmi les parties prenantes sur une vision pour l'avenir (quand une voie a fait ses preuves, il faut la concrétiser) et des interventions politiques douces facilitent l'adoption d'une nouvelle normalité par les consommateurs. " Dans les pays nordiques, nous n'avons pas résolu tous les problèmes mais avec une bonne analyse et un peu de créativité, différentes interventions politiques ont eu un impact colossal sur le régime alimentaire, assure-t-il: entre 2007 et 2019, on a multiplié par deux la production de céréales complètes et du bio, et on a diminué la consommation de viande (environ huit kg/personne en dessous de la moyenne européenne). C'est la preuve qu'en soutenant les marchés de niche, les voies qui fonctionnent, en créant des partenariats avec ceux qui veulent prendre le train du changement, on peut concrétiser ces transformations. Pour y parvenir, nous devons avoir la bonne attitude, nous pouvons tous être acteurs du changement!" Marjolein Visser (chaire d'agro-écologie, ULB) a invité à reconnecter l'alimentation à l'agriculture en visant quelques points clés: cuisiner plus, manger moins à l'extérieur, être pointilleux sur ses ingrédients (frais, bios, saisonniers, locaux), réduire les aliments d'origine animale, faire pousser ses légumes et, surtout, connaître le lien éternel et universel entre agriculture et alimentation. Enfin, Luc Pussemier (CSS) a rappelé que si pour beaucoup, une alimentation saine est d'abord pauvre en contaminants (pesticides, métaux lourds, salmonelle...) et en constituants toxiques et délétères (allergènes, lactose, gluten...), c'est aussi une alimentation équilibrée fournissant suffisamment de nutriments.