En Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé recommande actuellement d'envisager la vaccination contre les méningocoques du groupe B à l'échelon individuel. Un certain nombre de pays (1) la reprennent dans leur calendrier vaccinal de base mais, d'après l'avis publié en 2019 par le CSS, une telle immunisation généralisée n'est actuellement pas à l'ordre du jour chez nous. Qu'en pensent les médecins sur le terrain?
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"Un nombre croissant de pays reprennent la vaccination contre les méningocoques de type B dans leur schéma de base", recadre le Dr Marc Raes (pédiatre à l'hôpital Jessa d'Hasselt et président de la Société Belge de Pédiatrie). " Cette décision tient à différents facteurs: l'efficacité et la sécurité du vaccin, l'analyse coûts-bénéfices, mais aussi plus fondamentalement la place que l'on veut donner aux vaccins dans les soins préventifs pédiatriques en général. Certains pays du sud de l'Europe comme l'Espagne ou le Portugal sont globalement très partisans de la vaccination et donc disposés à lui consacrer beaucoup de temps et de moyens. La Belgique ne s'en sort pas mal du tout en matière de vaccination, mais certains pays y sont apparemment encore plus sensibles." " La mentalité locale fait aussi que l'on pose des regards parfois très différents sur l'incidence", poursuit le pédiatre hasseltois. " Les maladies invasives à méningocoques (septicémie, méningite) frappent principalement des enfants de moins de cinq ans, en particulier au cours de leur première année de vie. En 2019, l'incidence s'élevait dans ce groupe à 15 cas pour 100.000 enfants dans notre pays. On peut se dire que c'est peu ou au contraire que c'est déjà plus qu'assez. Ces dernières années, tous groupes d'âge confondus, nous observons chaque année en Belgique quelque 100 à 110 cas d'infections invasives à méningocoques, dont environ la moitié chez des enfants de moins de cinq ans (environ 38% de l'ensemble des infections à méningocoques de type B). Sachant que les maladies invasives dues aux méningocoques du groupe B affichent un taux de mortalité d'environ 10%, elles pourraient coûter la vie à cinq petits patients chaque année. À notre société de décider si elle accepte ce sacrifice." En outre, une infection invasive à méningocoques de type B laissera des traces chez 20 à 30% des patients. " Ces séquelles ne sont pas négligeables: amputation (suite à l'ischémie secondaire aux lésions vasculaires provoquées par la septicémie), troubles de l'audition, épilepsie, insuffisance rénale, retard de développement psychomoteur, difficultés d'apprentissage... De quoi provoquer non seulement bien des souffrances pour ces enfants et leurs parents, mais aussi des dépenses supplémentaires pour la société. Ces dernières ne sont souvent pas prises en compte dans l'analyse coûts-bénéfices. C'est particulièrement vrai pour les effets à long terme et pour la charge psychologique, qui sont beaucoup plus difficiles à appréhender dans une évaluation pharmaco-économique. En 2016, le pédiatre espagnol et professeur Federico Martinón-Torres a publié à ce sujet un article très bien documenté (2), qui comporte notamment un aperçu de la littérature relative aux frais estimés pour la société lorsqu'une infection invasive à méningocoques entraîne des lésions résiduelles nécessitant des soins à vie - à court mais aussi donc à très long terme. Le titre de son article est éloquent: Deciphering the burden of meningococcal disease: conventional and under-recognized elements." " Avant l'introduction de la vaccination, l'incidence des infections invasives à pneumocoques était beaucoup plus élevée que celle des infections à méningocoques. À mesure que des vaccins arrivent sur le marché pour combattre les infections les plus fréquentes, nous nous lançons dans la lutte contre des infections associées à une charge de morbi-mortalité comparable, mais dont l'incidence est plus faible. À nous de décider collectivement jusqu'où nous voulons aller avec les deniers publics." " Pour éviter toute confusion, j'aimerais tout de même préciser qu'en 2020, l'incidence des infections invasives à méningocoques a chuté de moitié en comparaison avec les années précédentes sous l'effet des mesures de distanciation et d'isolement prises dans le cadre de la crise du coronavirus. Il est toutefois possible que nous observions un rebond lorsque la vie sociale reprendra de plus en plus son cours normal au sein d'une population qui présentera peut-être une immunité moindre contre les méningocoques", souligne le Dr Raes. Il est bien établi que le vaccin contre les méningocoques de type C induit une immunité collective et fait donc aussi reculer l'incidence de l'infection dans les groupes non vaccinés. " Cet effet n'est actuellement pas démontré pour la vaccination contre les méningocoques de type B, mais le débat n'est pas clos, puisque des études à ce sujet sont encore en cours", précise Marc Raes. "Il importe de préciser ici qu'il n'est pas simple de démontrer la protection des groupes non vaccinés pour les infections dont l'incidence est faible. Il est toutefois manifeste que l'impact sur le portage est beaucoup plus marqué pour la vaccination contre les méningocoques de type C." On recommande d'administrer la première dose du vaccin contre les méningocoques B à l'âge de huit semaines, parce qu'un premier pic d'incidence survient déjà avant l'âge de six mois. Cela signifie que les enfants recevront leur troisième dose à cet âge, en sus du vaccin hexavalent et du vaccin pneumocoque. " Le risque de fièvre s'en trouve accru, mais celle-ci peut être évitée par l'administration prophylactique de paracétamol au moment de de la vaccination", relativise le pédiatre. "C'est ce qui se fait avec succès au Royaume-Uni." " Nos voisins d'outre-Manche ont été les premiers à intégrer la vaccination contre les méningocoques de type B au schéma vaccinal de base, en 2015. Avec 700.000 naissances par an, le pays dispose entre-temps d'une impressionnante base de données à ce sujet. Avant 2015, l'incidence des infections invasives à méningocoques B chez les jeunes enfants y était un peu plus élevée que chez nous ; la vaccination systématique l'a fait reculer de 75% dans les cohortes d'âge candidates à l'immunisation. Au cours des cinq à six dernières années, nos voisins britanniques n'ont pas observé de recul de la couverture vaccinale, ce qui donne à penser que le vaccin est bien accepté par les parents - grâce, sans doute, au fait que les autorités mettent sur pied d'excellentes campagnes et appliquent méticuleusement la prophylaxie au paracétamol." Dr Michèle Langendries