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Le journal du Médecin: Quels sont les chantiers prioritaires, au GBO, en cette rentrée? Dr Lawrence Cuvelier: Nous sommes fort occupés avec la garde: les conditions doivent être plus équitables pour tous les médecins en Belgique, sans favoriser la productivité mais en assurant la garde partout, en s'orientant vers les services dont les patients ont besoin, et avec des salaires décents. Un médecin dans une grande zone avec peu de consultations doit pouvoir être honoré de façon correcte par rapport à son confrère en centre urbain, où il y a beaucoup de consultations et qui a par conséquent une garde plus "rentable". C'est une revendication que nous partageons avec d'autres syndicats, qui demande un ajustement, et que nous espérons obtenir auprès de l'Inami. Et concernant le 1733? Le 1733 fait partie du problème, mais il dépend d'un autre ministère (l'Intérieur, NdlR). La seule façon dont on puisse changer les choses, je pense, est de rendre les conditions de travail du personnel plus attrayantes: il y a une pénurie d'agents de l'État, certains considèrent que faire le 1733 est un peu une "punition" par rapport au 112... Or les deux doivent être en accord. Par ailleurs, si les postes de garde sont équitablement organisés dans tout le pays, cela favorisera l'implantation de médecins, qui ont parfois peur de s'installer là où la garde est trop lourde. À mettre en parallèle avec l'autre problème: la pénurie. Elle entraîne une surcharge de travail pour ceux qui restent et un abandon par burnout chez les autres. Il faut éviter la surcharge, et la maltraitance administrative: certaines initiatives, malheureuses, ne sont pas faites pour encourager le médecin, alors que nos généralistes n'affichent pas une si mauvaise performance! Donc, c'est un tout. Il nous faut un plan à dix ans par rapport à la pénurie et il faut que nous travaillions de concert auprès des jeunes et avec les universités pour que certains s'installent en périphérie et dans les zones en pénurie. Pour cela, il faut une union de toutes les forces, à la fois fédérales et régionales. Une autre priorité au GBO? La première ligne: nous devons être en coopération, et non en concurrence. Or une série d'initiatives ne vont pas dans ce sens actuellement et font qu'entre pharmaciens, sage-femmes et kinés, on a l'impression que les compétences de la médecine générale sont pelées comme un oignon, on enlève chaque fois une couche, et on se sent parfois dépouillés par les autres prestataires. Il faut une harmonie. Pour cela, il y a des enjeux financiers à lever et les attributions de la médecine générale doivent être mieux définies. Nous devons pouvoir suivre un patient, même pour des "banalités", car cela permet aussi de dépister des choses plus graves. Ne cantonnons pas le généraliste dans le suivi, par exemple, des maladies chroniques. Il est un acteur biopsychosocial, qui prend en compte toutes les dimensions de l'être humain, et est essentiel aussi dans le dépistage et la prévention. Cela fait partie des mesures urgentes à prendre dès qu'il y aura un gouvernement? Il faut défendre le médecin généraliste comme le gérant de la complexité biopsychosociale du patient et lui laisser cette légitimité. Et sans préjuger, comme on l'a vu cet été, par exemple, au sujet des certificats maladie et de la prescription d'antibiotiques. Nous sommes le réceptacle de tous les maux de la société, et non les responsables. Nous essayons de faire ce que l'on peut, 80% de médecins sont tout à fait corrects, 10% exceptionnels et 10% moins recommandables, ne tirons pas sur 90% des médecins! Ciblons les abus, les généralisations sont très insultantes et contre-productives. Les médecins qui font des certificats trop facilement, cela existe, les patients se refilent l'adresse et, entre nous, ces médecins-là ne font pas un métier très intéressant. Mais c'est une très petite minorité. On parle aussi de quelques médecins qui prescrivent trop d'antibiotiques et on généralise, alors que nous avons diminué la prescription d'antibiotiques de 40 % ! Nous dire "on va vous punir", c'est vraiment très maladroit !Par ailleurs, nous réclamons toujours une simplification administrative : on nous demande une série de documents et attestations souvent inutiles, voire ubuesques ! Nous sommes aussi confrontés à des incohérences (test PCR coqueluche non remboursé chez le MG, certificats de handicap réclamés sur papier à Bruxelles mais encouragés de façon électronique ailleurs, NdlR) qui, bien souvent, viennent d'une mesure prise d'un côté et non suivie de l'autre. Nous y sommes confrontés en bout de parcours. L'intention n'est pas mauvaise sur papier, mais s'avère ridicule en définitive.La prime de soutien initiée au 1er septembre peut-elle réellement soulager le MG? Une prime est toujours bonne à prendre. Il y a des critiques - comme le fait qu'elle n'est pas forcément récurrente. Il y a deux obstacles au principe d'engager quelqu'un: administratif d'abord car le médecin n'est pas formé pour engager du personnel, or ça ne se fait pas d'un claquement de doigt ; ensuite, cela demande un apprentissage et un changement de mentalité de la part du médecin qui a l'habitude de tout faire lui-même pour arriver à déléguer correctement les tâches. Je l'ai fait il y a 25 ans, au début ce n'est pas simple... Par ailleurs, le soutien à la médecine générale doit s'exercer à tous les échelons du pouvoir: les Régions et les communes ont également tout intérêt à garder leurs médecins. Et c'est valable aussi pour les stagiaires et les assistants car c'est ainsi qu'ils s'installent dans des zones auxquelles ils ne penseraient pas. Et les assistants de pratique ?Notre syndicat a vu cela avec beaucoup d'appréhension... C'est essentiellement une demande flamande, et c'est encore très vague. Cela existe dans d'autres pays, le problème, c'est que nous partons d'une plage blanche, et donc nous avons l'impression que ça peut être un flop total, en tout cas côté wallon. Des projets comme cela, pas très bien ficelés, finissent par péricliter ; ils souffrent beaucoup du manque de soutien de la base, plus créative et capable de mettre au point des solutions pratiques beaucoup plus réalistes. On verra ce que le prochain gouvernement apporte... et sa volonté de dialogue.Justement, quelles perspectives pour le syndicalisme médical avec le nouveau gouvernement wallon? Et au niveau fédéral? Concernant le gouvernement wallon, nous sommes allés les voir, ils sont de très bonne composition. Mais notre financement est essentiellement basé sur le fédéral... Vous croyez en une Arizona? Les deux pôles sont assez contradictoires: Les Engagés, Vooruit et le CD&V sont orientés vers une politique de santé basée sur l'État et le public, alors que MR et N-VA sont davantage orientés vers le privé pour les riches et le public pour les moins nantis... Vous voyez VDB rempiler? La qualité de VDB, c'est qu'il a une vision. Que je ne partage pas entièrement mais qui, en général, est assez cohérente, ce qui n'était pas le cas avant lui. Son défaut est qu'il a du mal à écouter la base - et la base francophone encore plus. On verra! De toute façon, ça ne sera pas simple. Préserver/augmenter la norme de croissance ne serait déjà pas mal... Mais même avec cela, je ne sais pas s'il y aura des marges de manoeuvre pour des politiques nouvelles...D'autre chantiers encore ?Il faudra se pencher sur la Commission des objectifs des soins de santé lancée par l'Inami, voir ce qui est important à long terme et pas simplement négocier un budget en fonction des chiffres des cinq dernières années, mais avoir une vraie orientation. Tout dépend évidemment beaucoup, à nouveau, de la future orientation politique...Autre souci : il est très difficile pour un médecin généraliste d'avoir rapidement une consultation non programmée chez le spécialiste : il faut souvent passer par les urgences, ce qui est absolument inutile et coûteux. Il faut encourager les spécialistes à avoir davantage de plages ouvertes pour des problèmes qui ne nécessitent pas toutes les mises au point d'urgence. Les urgentistes sont débordés par des cas qui relèvent du généraliste ou du spécialiste et qui n'ont pas à passer par les urgences : je viens d'avoir le cas avec une patiente, impossible d'obtenir une consultation chez un gynécologue malgré tous les efforts de la gynécologue de garde. Une réorganisation de toutes les lignes de soins s'impose. L'État y gagnerait, car cela coûte. En outre, c'est potentiellement iatrogène. Il y a un souci, notamment dû au fait que les services de spécialités sont encombrés, soit par des patients qui viennent en ligne directe soit de patients reconvoqués de façon indue, ce qui donne une espèce de sécurité au service pour qu'il fonctionne. Ne pourrait-on pas renforcer le mécanisme d'échelonnement ?Il faut encourager et promouvoir l'envoi par le médecin généraliste vers le spécialiste, et la communication entre les deux. À partir de ce moment-là les patients s'organiseront parce qu'ils auront avantage à le faire.La présidence du GBO est assurée par votre duo avec Anne Gillet depuis le départ du Dr De Munck avant les vacances, cette "bicéphale" est transitoire en attendant les jeunes? Nous souhaitons évidemment un rajeunissement des cadres, mais nous sommes là de plein d'exercice, jusqu'à ce qu'on nous remplace éventuellement. La génération suivante n'est pas encore là. Mon but est évidemment de rajeunir le GBO et je vais tâcher de m'employer à le rendre plus attractif auprès de jeunes, sachant qu'avec le budget qu'on a actuellement, il est presque impossible pour un jeune médecin débordé de s'y consacrer avec une rémunération décente. Honnêtement, ce n'est pas possible de continuer à travailler dans ces conditions matérielles, il faut en être conscient...D'une part, il y a la pénurie et donc trouver des médecins jeunes n'est pas évident ; d'autre part, le budget des syndicats généralistes n'est pas énorme. Les cotisations nous permettent de tenir la tête hors de l'eau, mais on ne peut pas les augmenter indéfiniment. Par ailleurs, il faut rendre le syndicalisme à nouveau populaire : beaucoup de médecins, submergés, se disent : "Mais à quoi ça sert, le syndicat ?" Mais si c'était l'État qui régissait tout, les médecins ne seraient pas contents... Et notre travail est peu visible. Par exemple, nous pouvons être dans 140 endroits différents - réunions, commissions, etc. -, alors que les mutualités chrétiennes siègent dans 380. Certes on tâche de prioriser, mais il nous faudrait une équipe trois fois plus nombreuse...Les jeunes médecins n'ont-ils "pas le temps" ou plutôt "pas envie" d'entrer dans le syndicalisme ? Que vous disent-ils ?Plutôt "pas envie", simplement parce qu'ils ne savent pas à quoi ça sert. Et je peux comprendre qu'un médecin qui travaille 12h par jour ne peut pas avoir une vision globale, qui nécessite un investissement et un apprentissage. La seule façon de faire aujourd'hui, c'est d'avoir des médecins qui s'investissent dans un dossier et qui, au fur et à mesure, acquièrent une vision plus globale. Il faut des années pour connaître un peu de tout, cela demande beaucoup de requis et des compétences, notamment organisationnelles. C'est là mon défi : faire prendre conscience des enjeux en rencontrant les jeunes. J'ai parfois l'impression que nous sommes perçus comme des interlocuteurs lointains, qui ne sont plus dans la réalité. Je préfère garder ma pratique médicale, même si ça me rend peut-être moins efficace car je veux rester ancré dans le concret pour voir les problèmes.Quel est le profil des jeunes recrues ?C'est une question de générations. Personnellement, je fais partie des baby-boomers, la génération suivante est en pleine activité médicale et très prise. La génération des jeunes médecins est plus réceptive, elle a moins charge de famille, c'est une génération qui ne s'investit pas à 100 % dans le travail, plus ouverte à partager son temps à d'autres activités et ne pas faire uniquement de la médecine, donc c'est de ce côté-là qu'il y a de l'espoir.Les réunions et commissions sont souvent organisées pendant les heures de consultations, il y a donc aussi une perte financière si on veut s'investir dans le syndicalisme médical...Ce n'est pas pour être millionnaire qu'on devient syndicaliste. Au contraire. C'est d'abord une vocation, pour le bien public. Par ailleurs, il est rare de recevoir des compliments, j'ai vu des confrères décrocher en partie pour cela...On a tendance à oublier les combats syndicaux, de manière générale ?Oui, et on ne se rend pas compte qu'on peut perdre aussi. On a un système de santé relativement performant, perfectible certainement, il peut être plus efficient. L'ambiance mondiale actuelle est à la désaffiliation, c'est un combat qui date de 1945 : l'État social. On a l'impression qu'une autre solution serait meilleure, mais c'est une vaste illusion.