Le Pr Peter Marinkovich, dermatologue américain, collabore avec la Pre Ievgenia Pastushenko, de l'ULB, dans le traitement des cancers de la peau. Il a développé, ce qui est une première, une thérapie génique sous forme de gel.
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Peter Marinkovich est professeur agrégé de dermatologie et membre du corps professoral du programme de biologie épithéliale et du programme de biologie du cancer de Stanford. Il s'intéresse aux maladies inflammatoires de la peau, et est directeur des cliniques de maladie bulleuse et du psoriasis, ainsi que dermatologue au centre médical VA de Palo Alto. Ses recherches portent sur la pathogenèse et le traitement de l'épidermolyse bulleuse, des maladies auto-immunes à cloques, du psoriasis et du cancer de la peau. Il a également été l'un des principaux investigateurs de l'essai GEM-3 de Krystal Biotech pour le Vyjuvek® approuvé par la FDA américaine pour le traitement de l'épidermolyse bulleuse dystrophique. Il est en cours d'examen à l'Agence européenne des médicaments (EMA). Les contributions de Peter Marinkovich en matière de traitement sont remarquablement innovantes, comme en atteste la Pre Ievgenia Pastushenko, qui dirige le laboratoire d'histologie de l'ULB et avec qui le médecin américain collabore: "Peter Marinkovich a développé la première thérapie génique sous forme de gel. En déplacement en Tanzanie en notre compagnie, ce chercheur a constaté que le xeroderma pigmentosum était similaire à l'épidermolyse bulleuse et qu'il pouvait nous venir en aide avec ce gel sur un plan pratique." Rencontre avec ce grand dermatologue et chercheur. Le journal du Médecin: En quoi consiste ce gel que vous avez mis au point? Pr Peter Marinkovich: Il s'agit d'un gel qui contient un vecteur viral, le virus HSV-1. Nous l'avons légèrement modifié afin qu'il ne puisse plus se répliquer et provoquer de maladie. Nous utilisons ce virus pour traiter l'épidermolyse bulleuse dystrophique, qui est attribuable à la mutation d'un gène codant pour le collagène VII. Le collagène VII agit comme une colle afin de maintenir les deux couches de la peau ensemble. En son absence, le patient développe des lésions bulleuses cutanées. Nous avons introduit deux copies du gène codant pour le collagène VII dans le virus HSV-1. Le virus transporte ces gènes dans les cellules de la peau, qui sécréteront alors du collagène VII. La réintroduction du collagène VII redonne à la colle son efficacité protectrice et la formation de lésions bulleuses disparaît. Cela signifie qu'il protège ou qu'il guérit vraiment? La thérapie génique arrête la formation des lésions bulleuses et permet d'obtenir des résultats à long terme, pendant de nombreux mois, mais pas définitifs. Le traitement doit être répété après un certain temps. Le collagène VII reste dans la peau pendant six mois, voire plus. Vous l'utilisez donc dans le cas de l'épidermolyse bulleuse et cherchez à l'utiliser pour le xeroderma pigmentosum. Allez-vous utiliser le gel de la même manière et avec la même fréquence dans ce cas? Nous ne l'utilisons pas encore pour le xeroderma pigmentosum. J'ai évoqué avec la Pre Pastushenko la possibilité de l'utiliser dans cette maladie, mais c'est à Ievgenia de trouver le gène à introduire dans le virus. C'est donc l'une des questions: de quel gène avons-nous besoin pour corriger le xeroderma pigmentosum? Dans le cas de l'épidermolyse bulleuse dystrophique, nous savons qu'il s'agit du gène du collagène VII, mais dans le cas de xeroderma pigmentosum, c'est un peu plus compliqué. Cela signifie-t-il que le gel vous permet d'arrêter la maladie? Disons que si une maladie est liée à la mutation d'un gène conduisant au manque d'une protéine, grâce à ce gel, vous pourriez utiliser le virus afin de réintroduire le bon gène. Par exemple, l'entreprise Krystal Biotech, avec laquelle je collabore, fabrique ce vecteur et l'a utilisé avec un gène permettant de traiter la mucoviscidose. En l'occurrence, le traitement a été administré par inhalation. Il semble que cela soit sans danger et les premiers résultats semblent montrer que le traitement aide les patients atteints de mucoviscidose. Il s'agit donc d'un autre exemple d'une maladie pour laquelle on peut utiliser ce virus. Ce qui est formidable avec ce gel, c'est qu'il peut être utilisé partout dans le monde, en particulier dans les pays en développement, notamment en Afrique? Vous n'avez pas besoin d'équipement de haute technologie pour utiliser le gel, qui peut être appliqué à domicile. Peut-il être utilisé pour traiter l'albinisme? Oui. Il suffit de déterminer le gène que vous souhaitez introduire dans la peau. Nous n'utilisons pas encore ce traitement dans l'albinisme et le xeroderma pigmentosum, mais nous espérons être en mesure de le faire une fois que nous aurons identifié le gène que nous pourrons utiliser. Krystal Biotech propose également un traitement anticancéreux dans lequel le virus est muni de deux types de gènes de cytokines. La société mène actuellement un essai précoce au cours duquel elle injecte le virus dans les cancers dans le but de les faire disparaître. Cela provoque essentiellement une très forte réaction immunitaire. J'ai discuté avec la Pre Pastushenko de la possibilité d'injecter le virus avec ces deux gènes de cytokines dans les tumeurs cutanées malignes que les patients atteints de xeroderma pigmentosum développent. En ce moment, Ievgenia et ses collègues excisent ces cancers, alors que ce serait formidable de pouvoir simplement y injecter le virus, au lieu de devoir recourir à une intervention chirurgicale. Vous travaillez par ailleurs dans un centre médical pour vétérans de l'armée américaine de Palo Alto. Les Gafam investissent-ils dans la médecine et sont-ils intéressés par ce type de maladie? Ils s'intéressent surtout aux maladies les plus courantes, comme le diabète et l'hypertension artérielle. Mais aux États-Unis, il existe des incitations financières pour travailler sur les maladies les plus rares. Certains facteurs peuvent rendre la participation des entreprises financièrement intéressante. C'est ainsi que Krystal Biotech a contribué à cette thérapie génique. Nous avons développé un partenariat. L'intelligence artificielle vous aide-t-elle dans vos recherches? Non, pas pour l'instant. Peut-être à l'avenir, mais pas encore. C'est un domaine passionnant, mais je ne l'utilise guère. L'intelligence artificielle est un domaine impitoyable en termes de compétition. J'essaie de trouver des domaines moins compétitifs, où il est plus facile de progresser. Mais il s'agit certainement d'un type d'outil novateur et puissant. Recevez-vous un financement de l'OMS ou des Nations unies? La majeure partie de mon financement provient du gouvernement américain, et je reçois par ailleurs des fonds d'organisations de patients. J'en reçois également de sociétés comme Krystal Biotech, qui contribue à développer de nouvelles thérapies. Je dispose donc d'une variété de sources de financement différentes. Ievgenia Pastushenko m'a ouvert à la dermatologie internationale et m'a particulièrement incité à aider les enfants et les adultes atteints de maladies de la peau en Afrique. Je souhaite contribuer à créer un centre d'épidermolyse bulleuse en Tanzanie, un peu comme le fait la Pre Pastushenko dans le cas du xeroderma pigmentosum et l'albinisme. Je suis en train de postuler auprès de certaines organisations de santé mondiales afin d'obtenir un financement. Dans ce type de recherche, la coopération est essentielle? Oui. En ce qui concerne la recherche et les études, l'une des choses les plus intéressantes est d'avoir la chance de travailler avec des personnes du monde entier. Surtout lorsque vous travaillez sur une maladie rare, il est important de faire équipe avec plusieurs centres afin de pouvoir oeuvrer avec un plus grand nombre de patients. Le fait d'être confronté à une mentalité différente peut-il poser problème? Certains ont des idées différentes et parfois concurrentes. Mais nous travaillons tous dans le même but, à savoir aider les patients atteints d'épidermolyse bulleuse. Nous souhaitons tous que les thérapies des autres fonctionnent. Nous souhaitons que le plus grand nombre de thérapies parviennent aux patients.