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Des scientifiques de l'Université de Genève (UNIGE) ont découvert une protéine impliquée dans l'évolution d'un " foie gras " vers un cancer. En cas d'alimentation trop riche, les cellules du foie accumulent le surplus sous forme de graisses, trouble appelé communément " maladie du foie gras ". Une inflammation et une accumulation de tissus fibreux peuvent ensuite se développer et même donner naissance à une cirrhose ou à un cancer. Ces dysfonctionnements, au départ asymptomatiques, passent souvent inaperçus ou sont considérés comme bénins." On sait déjà qu'un foie gras peut s'enflammer et évoluer vers un cancer, mais on connaît très mal les mécanismes moléculaires responsables de ces pathologies. Jusqu'à présent, les études se sont surtout concentrées sur les mutations génétiques associées au cancer du foie, mais cela n'a débouché sur aucun traitement efficace. C'est pour cela que nous sommes partis à la recherche d'autres altérations qui pourraient expliquer la progression d'un foie gras vers un état inflammatoire et un cancer ", explique Michelangelo Foti, qui a dirigé ces travaux, publiés dans la dernière livraison de " Gut ". " Nous avons d'abord découvert que la protéine S100A11 favorisait l'inflammation et une accumulation de tissus fibreux dans le foie ", note Cyril Sobolewski, premier auteur. " Des tests supplémentaires ont montré que plus S100A11 est exprimée, plus grave est le cancer. "La possibilité de détecter cette protéine grâce à une simple prise de sang permettrait d'envisager la détection précoce d'une inflammation du foie et de sa progression vers le cancer, dont l'évolution à bas bruit constitue l'un des paramètres de dangerosité. " Plus tôt le patient est pris en charge, plus ses chances de survie sont grandes, souligne Michelangelo Foti. "De plus, S100A11 pourrait constituer une cible thérapeutique prometteuse", indique Cyril Sobolewski. "La prochaine étape serait de fabriquer un anticorps spécifique capable de piéger la protéine pour empêcher son effet cancérigène. "" Le cancer du foie est effectivement un cancer très difficile à soigner, notamment parce qu'il est détecté tard. Le taux de survie à cinq ans avoisine les 15 %. Un cinquième des cas provient d'une maladie non alcoolique du foie. Disposer d'une protéine circulant dans le sang qui puisse permettre de le dépister, par exemple chez des patients à risque, comme diabétiques ou obèses, serait d'une utilité certaine ", jauge le docteur Eric Trepo, hépatologue au service de gastro-entérologie de l'hôpital universitaire Erasme (ULB)." Mais à ce stade, il n'est pas certain du tout que cette protéine puisse constituer un biomarqueur fiable de la maladie afin d'anticiper son traitement. Cette étude est réalisée uniquement sur la souris et pas chez l'homme. Même si nous sommes des mammifères, ainsi que les souris, le cancer que l'on développe chez ces animaux pour les besoins de l'étude pourrait varier notablement de celui que les patients développent. De plus, on ne sait pas exactement si cette protéine joue un rôle causal dans le cancer. Elle est davantage présente chez les patients cancéreux, mais le lien causal n'est pas établi. C'est donc un travail remarquable, très élégant, mais qui est préliminaire à ce qui pourrait devenir une bonne méthode de détection, voire de traitement ", conclut le Dr Eric Trepo." Rien ne sera certain tant que ces observations n'auront pas été validées chez l'être humain. Certes, dans une sous-analyse, les chercheurs ont montré que cette protéine pouvait être présente en plus grande quantité dans certaines tumeurs hépatiques chez l'être humain et était présente dans le sérum de leur modèle de souris qui développent une stéatose et des tumeurs. Ils n'ont cependant pas analysé son éventuelle présence dans le sang chez l'être humain et à quel stade. L'hypothèse d'une corrélation est donc possible, mais elle n'est pas démontrée", commente le Pr Nicolas Lanthier, du service d'hépato-gastroentérologie des cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain)." Les mécaniques oncogénétiques peuvent être similaires chez l'animal et chez l'humain, mais cela demande à être vérifié. Peut-être ne sont ce que les cancers particulièrement agressifs qui présentent une élévation du taux de cette protéine. Cette recherche est donc une condition nécessaire à l'isolement d'un biomarqueur qui puisse servir à déceler la maladie plus tôt, mieux caractériser les tumeurs du foie qui n'ont pas toutes le même comportement voire de mieux les traiter. " Pour le spécialiste, ce type de recherche est néanmoins très utile : " Creuser l'hypothèse d'une voie protéique pathologique, c'est évidemment une bonne idée. Ce type d'approche peut déboucher sur une meilleure caractérisation de la tumeur ainsi qu'une thérapie ciblée ou une immunothérapie, une nouvelle technique thérapeutique qui a déjà donné des résultats importants dans la lutte contre plusieurs cancers, comme le mélanome. Dans cinq ans, on dira peut-être que cette étude a ouvert une voie qui a donné des résultats. Mais c'est très prématuré de le dire actuellement", estime le Pr Nicolas Lanthier.Le cancer du foie est à l'origine du décès de plus de 700.000 personnes par an dans le monde. La maladie du foie gras touche déjà près de 30% de la population mondiale, et 3 à 5% présentent la forme sévère appelée stéatohépatite non-alcoolique ou NASH.