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Aujourd'hui âgée de 83 ans, Irmel Kamp a grandi de l'autre côté de la frontière, à Aix-la-Chapelle. Son père, historien amateur, s'était mis dans la tête de répertorier toutes les maisons des Cantons de l'Est qui avaient utilisé dans leur façade le zinc, extrait des mines de La Calamine.Sa fille reprendra le projet et immortalisera ces constructions, l'un de ses trois projets clôturés (d'autres sont toujours " en cours " comme ceux qui concernent le patrimoine industriel de la Wallonie ou l'architecture du nord de l'Italie).Les deux autres projets aboutis concernent l'architecture moderniste de Tel-Aviv et celle de Bruxelles ensuite.Dans les années 80, la photographe allemande passera quatre années à tirer le portrait des bâtiments de la ville israélienne, en grands formats et en noir et blanc, sa marque de fabrique : elle y montre le passage du temps sur ces immeubles. Ils disent le rêve abîmé d'une société au départ kibboutzim.Évidemment, les immeubles qu'elle photographie, allégés de presque toute présence humaine et qui sont saisis dans un état de quasi-sidération, datent des années 30, ce qui, de manière allusive, rappelle la tragédie en cours en Allemagne et à venir durant ses mêmes années. En regardant ses immeubles, vient à l'esprit le roman Austerlitz de Sebald, qui évoque la Shoah de façon également distanciée, mais certaine.Cette façon de photographier des lieux vidés d'humains, mais pas d'humanité, cet archivage, ce " devoir de mémoire " architectural, rappellent les oeuvres de Thomas Struth, des époux Bernd et Hilla Becher ou les paysages d'un Andreas Gursky. Tous des photographes d'outre-Rhin qui témoignent du souvenir de la beauté, redonnent âme aux bâtiments, évoquent le paysage de la vie et du temps, mais aussi se réfèrent au romantisme allemand d'un Caspar Friedrich.Une sorte de souvenir de la beauté qui, chez Kamp, n'est pas dénué de culpabilité lorsqu'elle portraiture les bâtiments art moderne de la ville israélienne.Avec son projet postérieur, durant les années 90, et qui concerne Bruxelles, elle cherche cette fois un " exotisme " proche, ou plutôt une non-germanité dans une ville à l'urbanisme éclectique, dirons-nous pour rester poli, qui voit des maisons van de Velde flanquées d'autres Art nouveau, une villa De Koninck ou la maison Brunfaut à côté d'immeubles sans âme, des bâtiments à l'abandon vivre une nouvelle relation organique parfois avec une nature qui reprend ses droits. A noter qu'Hitler était un grand admirateur de Bruxelles, dont il avait fait archiver les bâtiments par ses photographes, certains immeubles étant pris en exemple pour la future Germania. Son architecture préférée ? Celle du palais de justice !Là encore dans ses grands formats, qui détaillent les similarités et les différences entre Tel-Aviv et la capitale belge (un modernisme épuré et fonctionnel, face à un Art déco de paquebot ou plus chamarré), Irmel Kamp démontre qu'elle a l'oeil : ce regard qui capte les merveilles délaissées ou en passe de l'être comme la brasserie Wielemans, le bâtiment de l'INR, ou le garage Citroën à Yser, qui 20 ans plus tard, deviendront le Wiels, le Flagey, ou Kanaal : des édifices qui vivent désormais d'autres vies culturelles tout en gardant leur âme.Comme si cette résurrection avait été annoncée par la photographe...