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Femme engagée née avec le siècle, elle a vécu dans le Cuba prérévolutionnaire avant d'émigrer à New York en 27, dans ce quartier de Spanish Harlem bien sûr, où elle vécut près de 35 ans. Cette exposition rétrospective met en lumière la production de cette artiste et personnalité atypique puisque marxiste américaine qui le sera jusqu'à la fin de sa vie en 1984. En 67, elle exécute un dessin intitulé AY AY AY d'après la photo du Che Guevara mort publié par Life Magazine. Chronologique, l'expo, sobrement présentée, montre comment cette peintre débute par des portraits, l'oeuvre de sa vie, où déjà son style s'affirme notamment dans celui expressif et coloré de José. Son combat pour la justice sociale la pousse dans une fraternité jamais démentie à faire le portrait de ses voisins immigrés à New York, dans un style qui évoque à la fois un expressionnisme allemand à la Dix, les corps légèrement déformés des Garçons dominicains, voire de Van Gogh dans cette fille portoricaine sur une chaise qui évoque dans la pose et le contraste des couleurs (sombres dans ce cas-ci) le portait de Madame Ravoux par Vincent. Une peinture pas réaliste, mais du regard vrai, de l'empathie au sujet, d 'une fraternité en effet communiste. Ses portraits - toujours plus psychologiques que physionomistes - de la grande dépression rappellent les photos de la célèbre photographe Dorothea Lange, ses vues de New York durant cette période sont d'une naïveté sombre, d'un Masereel en couleurs ( Nazis murder Jews, hélas visonnaire, date de 1936!). Bref, Alice Neel semble inventer le figuralisme socialiste. Si les portraits sont sa marque de fabrique, le sous-titre de l'expo est les gens avant tout, Alice Neel commet également des paysages qui parfois rappelle Die Brücke ( Le fleuve Harlem à l'avenue Sedgwick), prennent des allures de Hopper sinueux ( 107e et Broadway) mais la ramène très vite à la souffrance humaine, notamment dans cette clinique pédiatrique qui évoque Otto Dix une fois encore: un univers sombre, voire morbide parfois, qui témoigne de la dureté de la vie, de la survie et de la mort. Ses natures mortes sont les tableaux les plus quelconques, toiles un peu molles, mélange de sous-nabi, de Gauguin, van Gogh et Bonnard, des memento mori, symboles de fugacité et absents d'humanité, donc de regard, mais pas d'humour: dans Thanksgiving, la dinde non cuite trône dans l'évier de la cuisine à côté de la vaisselle qui sèche... Bien que traitant l'abstraction d'antihumanisme, Alice s'y essaie plutôt avec bonheur dans une aquarelle Addiction datant de 1931: un bel hommage à Kandinsky. Le X n'est pas que marxisme chez Neel, qui est aussi une artiste révolutionnaire par la perspective féminine de la sexualité qu'elle affiche, en toute crudité et sans sentimentalité: une femme nue urine dans la toilette, son amant se soulageant lui dans le lavabo. Cette vision, pas décharnée mais sans émotion de l'acte, est atténuée dans sa "nudité" par le caractère pas complètement réaliste des figures. Ses nus annoncent et précèdent ceux de Lucian Freud (auto-portrait dans le plus simple appareil, les pinceaux à la main en 1980, quatre ans avant sa mort), et son John Perreault allongé sur sa couche, les jambes ouvertes, a tous les (a)ttraits d'une odalisque masculine. Ses maternités, blanche, hispanique, indienne, noire, et ses femmes enceintes ou accouchant font d'elle une artiste révolutionnaire une fois encore, en tout cas dans son propos. Ces portraits du monde culturel et de la contre-culture dans les années 60, ne la voient pas dévier de son approche de départ: elle qui est restée insensible au pop art, au mouvement Fluxus, ou à l'art conceptuel. Comme chez Dix, son expressionnisme singeant le réalisme se concentre sur le regard ( Max White, Richard). Plus qu'une peinture de genre, celle de Alice Neel est une peinture de gens: capturant leur expression, elle capture l'esprit d'une époque, dont elle fait aussi le portrait. Le sien aussi lorsqu'elle peint cette fille marxiste en 1972, laquelle est peut-être celle que, durant toute son existence, Alice est restée...