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Les personnes qui sont restées sur place sont particulièrement mal loties, au point que les experts de la santé Tim Lang et Martin McKee n'hésitent pas à parler dans les pages du British Medical Journal d'une véritable violation de la convention de Genève, qui interdit explicitement d'affamer la population civile comme méthode de guerre. Souvent qualifiée de grenier de l'Europe, l'Ukraine est un important producteur d'orge, de colza et d'huile de tournesol. Environ 17% des exportations mondiales de maïs y trouvent leur origine, tout comme 12% des exportations de blé et 30% des exportations de graines de tournesol. Aujourd'hui, la guerre vient évidemment mettre des bâtons dans les roues à ces activités commerciales internationales. Environ 25% du blé et 43% du maïs récoltés la saison dernière sont restés en rade, le principal port du pays, celui d'Odessa, est à l'arrêt... et les autres pays producteurs ne pourront pas si facilement compenser les pénuries qui en découlent. Les effets de la crise du coronavirus avaient déjà fait flamber les prix des denrées alimentaires: en 2021, le blé et l'orge affichaient une augmentation de 31% et le colza et l'huile de tournesol, de plus de 60%. Tout le monde en ressent les répercussions financières, mais certains pays sont particulièrement vulnérables - ainsi le Liban, qui a perdu le gros de ses réserves de grain dans l'explosion qui a ravagé le port de Beyrouth en 2020, ou encore le Yémen, qui subit déjà les effets cumulés de la guerre et de la sécheresse et qui risque fort, s'il ne peut plus importer de blé, de se retrouver en plus en proie à la famine. Certains bénéficient certes du soutien de programmes d'aide au développement, mais on peut se demander pendant combien de temps ceux-ci parviendront encore eux-mêmes à s'approvisionner. Enfin, même les pays les plus fortunés ont des groupes vulnérables qu'il importe de ne pas oublier. Tim Lang et Martin McKee avancent trois stratégies pour limiter les dégâts. La première est de mettre un frein au gaspillage alimentaire ; en 2018, on estime que 9,5 millions de tonnes de nourriture ont été perdus rien qu'au Royaume-Uni, dont 70% au niveau des ménages. Ensuite, il faut réduire la production de viande. Une étude estime que le passage à une alimentation intégralement végétale permettrait de nourrir 350 millions de personnes supplémentaires. Enfin, les pays devraient tabler davantage sur leur propre production pour développer leurs stocks alimentaires plutôt que de compter, comme c'est si souvent le cas, sur l'importation de produits meilleur marché.