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Le lien entre Groninge et les Stones? Le fait que ces derniers se soient produits sur le Drafbaan Stadspark en juin 1999, à l'époque où le groupe n'est déjà plus - et depuis longtemps - qu'une machine à fric. Mais revenons au début de l'histoire du groupe, qu'Unzipped éclaire de façon approfondie, mais hagiographique, depuis ses débuts. Charnière centrale des Stones au cours de leur "long-playing", le duo de copains Mick Jagger- Keith Richards, lesquels, après s'être perdus de vue durant leurs années d'adolescence, se croisent dans le train pour Dartford où ils vivent, et découvrent leur goût commun pour le blues. Ils ne se quitteront plus et joignent très vite les Stones, rapidement stabilisés autour de cette paire par Charlie Watts le batteur, Bill Wyman le bassiste, Brian Jones à la guitare rythmique et, au départ, tête pensante et leader du groupe. L'appartement exigu d'"Edith Grove" à Chelsea, grand de trois pièces, où le quintet mène une vie de patachons seulement préoccupés par la musique, est reconstitué dans son bordel originel: comme dans chaque espace de l'exposition, l'aspect visuel (constitué de photos pochettes, notes, journal de Keith Richards, instruments, affiches et vidéos) est rehaussé d'extraits audio d'interviews des membres actuels du groupe. Déjà célébrés en 1964 (qui les voit participer à l'inoxydable émission Juke-Box Jury de la BBC), les Rolling Stones font l'objet de campagnes de marketing de la part de leur manager Andrew Loog Oldham - ce en quoi ils sont aussi symboliques de l'histoire du rock - qui les présente comme les anti-Beatles, les rebelles du rock naissant: alors que Jagger est diplômé de la prestigieuse London School of Economics... et que c'est plutôt John Lennon l'adepte du coup de poing. Au milieu des instruments de Brian Jones (l'oblongue guitare Vox Dulcimer dont il joue sur Lady Jane entre autres) et des six cordes acoustiques de Richards, l'expo insiste sur l'importance des Stones pour la reconnaissance du blues: comme en témoignent dans une vidéo Muddy Waters et Buddy Guy, rencontrés par les membres du groupe dès leur première tournée américaine en 64, ce sont ces jeunes "blancs-becs" anglais qui les feront découvrir aux rednecks ricains amateurs de musique. L'influence des Stones sur la mode se fera également sentir dans les années 60 au coeur du Swinging London, le groupe faisant appel au niveau du look à des couturiers tels que Giorgio di Sant' Angelo. Au niveau artistique, Warhol ( Stinky Fingers en 1971 et Love You Live 6 ans plus tard - il fera des portraits de Mick, présents dans l'expo), notre compatriote Guy Peellaert (pour l'album It's Only Rock'n'roll en 1974) voire Jeff Koons notamment plus tard (pour la Licks World Tour en 2002) signeront les couvertures de disques et affiches des Rolling Stones. Hélas, après l'intervention de Peellaert, l'inventivité et l'exploration (contrairement à Bowie qui au moins à continuer à chercher) se limiteront désormais pour Jagger et sa bande... à la pochette. D'ailleurs, aucune critique de disques n'émaille le propos qui projette par la suite, commenté par Martin Scorsese himself, des extraits des différents films consacrés au groupe: du Cocksucker Blues de Robert Frank montrant les archétypes d'excès (sex and drugs and... ) propre à un groupe de rock (et encore, certains aspects furent censurés par le groupe), au Sympathy For The Devil plus politique de Jean-Luc Godard, en passant par celui réalisé par Scorsese lui-même en 2008, captant dans Shine a Light, l'énergie dégagée, une fois sur scène, par ces rockers vieillissants. Cette séquence cinématographique n'omet pas non plus le tragique Gimme Shelter, sans pour autant s'appesantir sur la couardise du groupe au moment de l'assassinat d'un spectateur noir par les Hell's Angels, lors de ce concert filmé par les frères Maysles à Altamont. Autre oubli de l'exposition, l'épisode de la mort mystérieuse de Brian Jones, fondateur du groupe. Quant à Bill Wyman, dans l'espace qui fait la part belle aux harmonicas de Jagger (12! ), guitares (Les Paul, Fender Telecaster...) de Keith Richards, de Ron Wood et à la batterie de Charlie Watts, pas de trace de la basse de celui qui fut pendant plus de 31 ans le bassiste historique du groupe! À la place, trône celle de Darryl Jones, l'un des "collaborateurs" musicaux des Stones depuis le départ de Wyman. Voilà le pauvre Bill "instrumentalisé": le processus (process en anglais) paraît stalinien, et nous ne parlons pas ici des concerts de Moscou. Cette expo, très "in your face", reproduit à l'identique un studio d'enregistrement des Stones, celui de l' Olympic Sound Studios (à l'époque ou Jagger et Richards produisaient eux-mêmes leurs disques sous le nom de The Glimmer Twins) avec instruments et consoles, évoque leur fameux studio mobile, fait appel au producteur récent du groupe, Don Was, lequel explique, par le truchement d'une vidéo, leur façon bien à eux d'enregistrer. Plus anciennes, les photos, sur le vif pour une fois, d'Helmut Newton prises aux studios Pathé-Marconi de Boulogne-Billancourt en 78. Elles flanquent les souvenirs de Ron Wood concernant Keith Richards, lequel ne supportait pas au cours de ces sessions que les autres dorment quand il était réveillé, allant jusqu'à casser une porte afin de réveiller le guitariste rythmique! À l'instar d'une émission au nom prédestiné imaginée par le groupe fin des années 60 pour la BBC et intitulée The Great Rock'n'roll Circus - d'abord interdit à la diffusion par les Stones eux-mêmes qui trouvaient leur performance nulle lors de cette dernière apparition de Brian Jones, à côté de celle des Who, finalement sorti en 1996 (tiens, pas un mot sur Marianne Faithfull dans l'expo), mais invisible à Groningue -, Unzipped décrit, au travers des costumes et falbalas de scène exhibés (conçus entre autres par Alexander McQueen ou Jean-Paul Gautier), un groupe tombé dans le barnum des concerts, bien loin du blues d'origine. Quant au show mythique de Forest National en 1973, on a juste droit à la pochette de son enregistrement ; pas de traces par contre de celui hystérique de Schaerbeek sept ans plus tôt. Le tournant (dans les tournées) s'opère au moment de Steel Wheels en 1989, durant laquelle se déploie une scène gigantesque, sorte d'usine à gaz au sens propre, où il devient évident que la musique, devenue dispensable depuis maintenant près de 50 ans, ne suffit plus: d'autant que le groupe prend de l'âge... La scène finale de cette plongée dans l'univers stonien les donne à voir, via un procédé immersif, en concert, se produisant devant 500.000 personnes à La Havane en 2016. Le groupe y évoque d'ailleurs ces belles américaines antédiluviennes, usées jusqu'à la corde, utilisées par les Cubains depuis le début des années 60: comme elles, les Stones "roulent" toujours. Les voilà à présent qui terminent quasi fossilisés au musée, ce qui n'est jamais bon signe. Car, à l'image de leur fameux logo dont l'exposition ne révèle pas l'origine, imaginé par John Pasche (sur une idée de Jagger qui cherchait une "marque" pour le groupe) dont Unzipped exhibe pourtant les affiches conçues pour la tournée européenne de 1970, les Rolling Stones commencent vraiment... à tirer la langue.