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Paul Verbanck se livre d'abord à un éclairage du Covid long, précisant que le terme désigne "la persistance de différentes manifestations plus de trois mois après les symptômes de primo-infection. Cela concerne près d'un tiers des personnes infectées par le virus".Le journal du Médecin: À quelles manifestations faites-vous allusion? Pr Paul Berbanck: Il s'agit d'un profil de symptômes particuliers survenant plus de quinze jours après l'infection initiale. Par ordre décroissant de fréquence, je citerais volontiers, d'une part la triade classique constitué de fatigue, troubles cognitifs et douleurs. D'autre part, les symptômes impliquant des modifications du système nerveux autonome: fluctuations brutales de la pression artérielle et du rythme cardiaque, troubles brutaux du péristaltisme intestinal, etc. La fatigue touche 100% des patients. Il s'agit d'un sentiment d'épuisement vraiment impressionnant, avec besoin d'assistance physique, rendant la vie quotidienne impossible. Peut-on faire un parallèle avec le burn-out? En ce qui concerne l'épuisement, oui dans une certaine mesure. Mais les patients souffrant de Covid long font clairement le lien avec l'infection Covid et réfutent toute relation avec le travail ou d'autres facteurs psycho-sociaux. Non seulement ils ne font aucune corrélation de cause à effet avec le travail mais, au contraire, ils se plaignent de ne pas être capables de reprendre une vie active. Quid des troubles cognitifs? Ils concernent 90% des patients et sont décrits comme un "brouillard mental". À l'analyse, ces personnes présentent des trouble majeurs de la concentration qui rendent difficile toute tâche mentale. Dans une proportion importante de sujets, ceci se matérialise par des difficultés de la manipulation du langage, y compris parfois de la langue maternelle, et touche aussi bien le langage parlé que le langage écrit. De tels troubles font souvent suspecter une aphasie causée par un accident vasculaire cérébral, ce qui n'est toutefois jamais objectivé par l'imagerie cérébrale (scanner, IRM). Comment se présentent les douleurs? Des douleurs se manifestent chez 80% des patients. Au niveau de la tête, elles sont différentes des migraines et s'apparentent davantage à des céphalées de tension irradiant à tout le scalp. Elles sont souvent banalisées. Elles se traduisent aussi par des sensations de brûlures violentes de part et d'autre du thorax. Évocatrices de problèmes cardiaques, elles inquiètent alors les patients, qui se rendent aux urgences dont ils sortent avec un bilan négatif. Et les symptômes de dysautonomie? On peut signaler ici les modifications du rythme cardiaque (palpitations ou bradycardie, voire l'alternance des deux), de la pression artérielle (hypo- ou hypertension), du transit intestinal (diarrhée ou constipation), de l'hydratation cutanée (peau moite ou peau sèche), du rythme veille-sommeil. Citons également les apnées centrales du sommeil, différentes des apnées pharyngées, ainsi que la turgescence veineuse périphérique, touchant aussi bien les membres supérieurs qu'inférieurs. Quels sont les traitements utilisés jusqu'ici? Outre les antalgiques classiques (allant du paracétamol aux opioïdes), les patients qui sont prêts à tout pour se soulager mènent de véritables croisades, lesquelles ont conduit à une panoplie de traitements, parfois surprenants! Pour en citer quelques-uns: compléments alimentaires divers, anticorps monoclonaux, antiviraux non enregistrés et obtenus via Internet, plasmaphérèses. Pourquoi une stimulation électrique non invasive du nerf vague? Permettez-moi tout d'abord d'évoquer mon background personnel. Je suis chercheur à l'ULB, toujours actif même si en fin de carrière, et directeur honoraire de l'Institut de psychiatrie et de psychologie Médicale de l'Hôpital Brugmann à Bruxelles. Au cours de ma vie active, j'ai acquis une expérience dans l'utilisation des courants électriques de faible intensité pour stimuler le cortex cérébral, reconnue pertinente dans divers traitements, destinés aux douleurs de différents types ou encore, aux troubles obsessionnels compulsifs, troubles anxiodépressifs et troubles Parkinsoniens. Je me suis intéressé plus récemment à la stimulation du nerf vague, utilisée de longue date pour traiter l'épilepsie réfractaire. La technique traditionnelle nécessite l'implantation de matériel dans le médiastin et la mise en place d'une électrode sur la surface du cerveau. Toutefois, depuis peu, on dispose du matériel nécessaire pour une stimulation du nerf vague en transcutané, rendue possible par le passage du nerf vague sous la peau du cou à partir de la base du lobe de l'oreille. Ceci a permis d'en élargir l'usage en tenant compte de diverses observations montrant que cette stimulation transcutanée du nerf vague (tVNS) permet la prise en charge de syndromes inflammatoires chroniques tels que l'iléite de Crohn ou la polyarthrite rhumatoïde. De là à positionner cette technique dans le Covid long ... Nous sommes partis de l'hypothèse que le Covid long était attribuable à un phénomène inflammatoire de faible intensité. Sur ces bases, notre équipe a réalisé fin 2020, avec le soutien financier de la Région wallonne, une étude clinique pilote (Étude NeuroCov) sur un groupe de patients souffrant d'un Covid long et recrutés par contact au travers de réseaux sociaux (1). Nous avons rapidement été convaincus du potentiel de la tVNS à réduire, de manière souvent spectaculaire, les manifestations du syndrome de Covid long. Cette étude nous a aussi permis de nous convaincre de la réalité du syndrome et d'en cerner les manifestations. Nos observations ont ainsi confirmé que le Covid long est généré par une infection du système nerveux par le coronavirus et certainement pas par une réaction anxieuse aspécifique liée au contexte de l'épidémie. Après la publication de cette étude, nous avons poursuivi la prise en charge de patients à l'aide de cette technique qui nous apparaît comme convaincante. À ce jour, nous suivons environ 250 patients, ce qui nous a permis de développer une réelle compétence dans le domaine. Ceci nous a également convaincu qu'une réduction des symptômes du Covid long est un préalable à d'éventuelles autres formes de prise en charge et au retour à une vie normale. En conclusion? La tVNS est, à ce jour, le premier outil validé dont nous disposons pour traiter le Covid long. Elle a pour avantages d'être simple à utiliser et quasi dépourvue de danger. Son mode d'action repose, selon l'hypothèse la plus probable, sur des mécanismes de neuroplasticité mis en branle par la stimulation électrique de zones critiques du système nerveux. En effet, contrairement à notre hypothèse de départ, aucune modification des quantités sanguines des facteurs inflammatoires, en particulier des différentes cytokines, n'a été observée. Même si toutes les inconnues concernant le syndrome de Covid long n'ont pu être levées, l'étude permet de redonner un espoir de retour à la vie normale à des personnes dont la santé est perturbée par le Covid depuis parfois plusieurs années.