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A l'instar de son premier tome intitulé Lily, raconte-moi, terres brûlées et colonies amères, le Dr Alain Busine propose un livre volumineux mais facile et très agréable à lire. Un volume construit de façon telle qu'il n'est pas nécessaire d'en avoir parcouru le premier volet pour s'y plonger. Comme il nous l'a déjà prouvé, c'est sans a priori raciste mais en conservant les propos de l'époque dans leur jus que le gynécologue-obstétricien nous présente la mentalité d'une époque. Des années folles où des idées progressistes côtoient un racisme social au sein des mêmes esprits. Une époque où les Africains font partie de l'Art déco mais pas encore de la société civile et où des constats ne semblent pas discutables, si ce n'est en Angleterre. Pourquoi en effet ne pas administrer des coups de bâton à ces "grands enfants" que sont les Africains alors que les élèves belges des écoles reçoivent des coups de règle lorsqu'ils désobéissent? Il en va de même pour les rémunérations et les conditions de vie. On améliore la qualité des soins, la nourriture, l'éducation et le logement alors que les salaires se comparent tout au plus à de l'argent de poche. Une colonie où les Pères blancs - qui ne seront pas épargnés dans ce recueil - enseignaient la soumission à la race blanche. Il n'en demeure pas moins que cette Belgique-là se veut aventureuse et ingénieuse avec un savoir-faire reconnu aux quatre coins du monde. Les moyens de transport s'améliorent nettement et la diversité des routes, du rail et des airs permettent une expansion commerciale de la colonie sans précédent. L'argent coule à flot et quand l'argent va, dans un climat politique non contesté, tout va. Dans ce livre nous présentant la coexistence des Belges et des Congolais, rien n'est vraiment noir ou blanc. Le rapport à autrui et l'intersubjectivité sont ici régulièrement questionnés. On retrouve cette approche dans le commerce de Melina à Léopoldville où le grand-père du Dr Busine se rend lors d'un passage dans la capitale. C'est également le cas lors d'une scène de convulsion précédant un accouchement prématuré par césarienne ou lors de la rencontre d'Haroun Zadjiev avec le grand-père de l'auteur. Cela peut-être aussi l'odeur des bébés que l'on respire alors que le Reichstag est incendié. Des huis-clos où le métier premier de l'écrivain rejaillit à propos. Dans une partie ressemblant à une bulle au milieu de l'ouvrage, l'auteur met soudain un pied dans le mythique et un autre dans le mystique. Lorsque son père, élève brillant aux cours de latin-grec au collège Saint-Jean-Berchmans et devenu student turbulent en fac de droit à l'ULB, se rend en Grèce avec son ami Hector, on croit voyager entre deux mondes. Serait-ce un clin d'oeil au Mépris du cinéaste Jean-Luc Godard où nos personnages rencontreront la belle voiture, la statue grecque ou un décor merveilleux? Serait-ce le récit halluciné d'un derviche tourneur ayant abusé du Retsina? Assurément, Alain Busine nous emmène dans un récit mouvementé, retraçant avec brio des ambiances et des lieux gourmands de variété. Le livre se situe dans une période oscillant entre 1926 et 1946. Vingt ans où fleurissent bien des antagonismes. On y retrouve la Grande Dépression, les beaux combats féministes ou syndicaux, la montée du fascisme, l'arrivée au pouvoir d'Hitler. Un autocrate pré-Poutinien qui annexera alors des territoires sans que personne ne s'en offusque vraiment. Le tome se termine au lendemain de la guerre qui marqua le soudain intérêt des USA et de l'URSS pour l'Afrique. Difficile de ne pas faire de lien entre l'annexion de la Crimée et des territoires de l'est de l'Ukraine, ni avec l'arrivée de Meloni en Italie. Le tout dans un contexte d'inflation galopante. Un monde qui baigne alors dans un antisémitisme qui éprouve bien des parallèles depuis la recrudescence des idées complotistes. Les matières premières telles que le cuivre ou encore l'uranium congolais sont dans toutes les mémoires et font tout autant écho. Avec intelligence, le Dr Busine fait interagir les membres d'une famille, ou encore des voisins, aux idées progressistes ou rexistes des uns et des autres. Les tensions ou les lâcher-prises se suivent dans une relation des plus humaines. "Quand on a vécu en Afrique, on est marqué à vie par ce continent tout comme par ses odeurs", observe Alain Busine. C'est dans un cadre historique "le plus précis possible" qu'il laisse divaguer son esprit et son imagination autour de photos et de cartes postales. Si son vécu, le récit de ses parents et grands-parents, la mémoire de sa mère, le passé de résistant de son père au sein du groupe G ont fortement enrichi ce roman, ce sont aussi les ambiances de voyages dans les pays d'ailleurs qui viennent nourrir son écriture. Lily, raconte moi, entre deux âges a nécessité plus de 1.000 heures de travail. Les lecteurs le retrouveront sur Amazon et dans certaines librairies du Brabant dans l'attente que cette trilogie soit éditée, enfin, par un éditeur de renom. On peut contacter l'auteur via sa page éponyme sur Facebook.