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Forte hausse de l'activité industrielle en Chine, croissance en février la plus forte depuis dix ans... Les commentaires récents de la presse sont sans équivoque, à l'image des indicateurs économiques publiés. Pas étonnant que les actions chinoises soient généralement présentées comme un investissement prometteur. Avec pour argument supplémentaire que ces actions sont toujours sous-représentées dans les indices boursiers internationaux. On pourrait dès lors assister à un réajustement, ce qui entraînerait des achats automatiques et donc une hausse des cours. Quelques spécialistes se montrent cependant moins enthousiastes que leurs confrères, dont la maison Lazard. Argument: la grande volatilité de la bourse chinoise, qui "fluctue souvent au gré des évolutions politiques". Et le gestionnaire d'actifs de rappeler la volonté du président Xi Jinping, qui règne aujourd'hui sans partage, d'affaiblir les entreprises qu'ils jugent trop puissantes, y compris dans le cadre du programme de "prospérité commune". C'était en 2021 et nul n'a oublié la chute de moitié des actions chinoises cette année-là! Aujourd'hui, les tensions persistantes avec Hong Kong et Taïwan incitent toujours à la prudence, tandis que la crise de l'immobilier n'est pas terminée, juge James Donald, responsable des marchés émergents chez Lazard. Qu'en penser? Nous avons interrogé Haiyan Li-Labbé, gérante spécialisée en actions chinoises chez Carmignac, le gestionnaire de fonds français. "On a observé cinq facteurs de risque au cours des deux dernières années, qui ont lourdement pesé sur les cours des actions chinoises", analyse-t-elle: "les changements réglementaires, la crise immobilière, la politique de "zéro covid", la vie politique locale et tout particulièrement la réélection de Xi Jinping, ainsi que les tensions géopolitiques, spécialement avec les États-Unis". Carmignac considère toutefois que quatre de ces éléments sont intégrés dans les cours des actions chinoises. Même si, en réalité, ces quatre premiers risques sont largement derrière nous, estime la spécialiste. En ce qui concerne par exemple les mesures réglementaires, voilà maintenant plus d'un an que les sociétés internet n'en font plus l'objet. On s'attend d'ailleurs à ce que célèbre Jack Ma, fondateur d'Alibaba, puisse revenir en Chine. Plus globalement, les entreprises internet ayant eu des ennuis ont réalisé des réformes, en réduisant notamment leur position dominante. Et quid de la crise immobilière? "Elle est derrière nous", insiste Haiyan Li-Labbé. "Cela ne signifie cependant pas que la croissance du secteur va reprendre: le pays ne peut plus dépendre de l'immobilier pour soutenir sa croissance économique. Du fait de la politique de l'enfant unique, la demande va structurellement baisser, d'autant que quelque 90% des Chinois sont aujourd'hui propriétaires". Le marché secondaire restera fort actif, mais guère la construction. Il reste des entreprises lourdement endettées, c'est vrai, mais plutôt de moindre poids, car d'importantes consolidations ont été réalisées. L'immobilier n'est plus en mesure d'ébranler le secteur financier, conclut la gestionnaire de Carmignac. Avec la fin de la politique "zéro covid", la consommation des ménages repart sur les chapeaux de roue, a-t-elle par ailleurs observé sur le terrain, puisqu'elle est récemment rentrée d'un séjour de 17 jours en Chine. Cette consommation est surtout celle des produits de base et des loisirs. Les restaurants sont pleins, comme les trains et les avions. On imagine que les achats de voitures et de smartphones suivront, comme les voyages à l'étranger. Sur le plan politique, on se souvient que la réélection de Xi Jinping pour un troisième mandat à la tête du parti communiste, en octobre 2022, avait fait mauvaise impression auprès des investisseurs occidentaux. Ceux-ci craignaient un durcissement de la politique "zéro covid", tout comme de nouvelles mesures négatives à l'encontre de certaines entreprises. Résultat: tant le géant de l'Internet Baidu que celui de l'e-commerce Alibaba chutaient aussitôt de plus de 12%! Le décor a toutefois bien changé depuis et pas seulement par l'abandon du "zéro covid", explique Haiyan Li-Labbé. Le nouveau Premier ministre Li Qiang "a un super profil. C'est quelqu'un de très pragmatique et de très pro-business. C'est lui qui a introduit Tesla en Chine, ce qui a formé l'ensemble de l'industrie du véhicule électrique dans le pays. On espère donc de sa part de très bonnes réformes dans les années à venir, en faveur des entreprises."Tout baigne donc? Restent les tensions géopolitiques, le seul facteur de risque que l'on ne peut pas considérer comme appartenant au passé, reconnaît la gestionnaire de Carmignac. Pour elle, une invasion de Taïwan est toutefois impensable. La Chine vise toujours la réunification, mais de manière pacifique. D'autant qu'elle "n'a objectivement pas les moyens d'attaquer Taïwan dans les années à venir: le pays possède quelque 300 vaisseaux militaires, mais il en perdrait les deux tiers à l'occasion d'une attaque, ce qui le laisserait très vulnérable".Il existe deux autres freins, qui résulteraient de sa mise au banc par l'Occident. "Toute l'aviation chinoise est à 90% basée sur des produits étrangers, soit en direct avec Airbus et Boeing, soit indirectement: l'avion chinois Comac est construit avec 90% de pièces étrangères. D'autre part, la Chine détient 800 à 900 milliards de dollars d'obligations d'État américaines et elle ne va pas répéter l'erreur de la Russie en perdant ces avoirs!"Si la spécialiste de Carmignac juge les actions chinoises attrayantes au niveau de leur valorisation, la maison Lazard évoquée plus haut est plus circonspecte. Elle observe que le rapport cours-bénéfice est de l'ordre de 11 ou 12, semblable à celui des autres actions émergentes. Par contre, le rendement de dividende est historiquement plus faible, tout comme la rentabilité des capitaux investis, matérialisée par ce fameux indice ROE très suivi dans le monde financier: de nombreuses sociétés chinoises affichent un ROE faible, souligne James Donald. Une remarque que l'on faisait déjà voilà 20 ans, soit écrit en passant! En un mot comme en cent, si la Chine présente de réelles opportunités d'investissement, notamment parmi les entreprises de moindre taille, il faut y être encore plus sélectif que sur les autres marchés émergents.