...

Effectivement, la période " Petit rapporteur", "La lorgnette", l'humour de Coluche, des Nuls manquent aujourd'hui, et surtout celui de Desproges: fin, impertinent et drôle. Dans cet ouvrage très illustré et réalisé avec l'aide du fils Bedos, du duo Kervern-Delépine (aux commandes notamment de Groland à l'époque) et de Jean-Yves Lafesse (et ses fameux microtrottoirs), les auteurs dressent un tableau de l'incorrection en France. Celle-ci naît avec mai 68 bien sûr, connaît son apogée sans doute dix ans plus tard avant de connaître un reflux. Le libertaire en musique (Gainsbourg, mais aussi Bobby Lapointe et Georges Brassens, en vrai anarchiste et bien avant Gainsbarre), dans la presse ou les médias radios et télévisuels, se déploie dans les années 80 et résiste tant qu'il fait de l'audience. Canal + est alors un formidable espace de liberté avec les Nuls, les Guignols de l'Info, Karl Zéro et puis Groland. La télé câblée joue de ces programmes, en clair grand public volontairement divertissants et provocateurs, afin d'attirer les abonnés. Très vite l'esprit de fronde et de provoc est récupéré par la télé privée: Droit de réponse se maintient d'abord chez Bouygues car les séances d'engueulade homériques dont l'émission est témoin font de l'audience, avant que Polac décide sans doute en insultant son employeur de jouer les martyrs crucifiés en pleine gloire et de se faire ainsi hara-kiri (en souvenir de ce journal bête et méchant? ). Mais doit-on vraiment regretter cette émission et cette époque où tout le monde s'engueulait (la règle étant plutôt de ne pas se laisser contredire)? Est-il politiquement incorrect de ne pas aimer une partie du politiquement incorrect? On peut tout dire, on peut tout faire par provocation et c'est très bien: du moment que c'est drôle. Et pardon, Hara Kiri (le journal cette fois) et Charlie hebdo son successeur, c'est rarement drôle: c'est juste lourd (bon d'accord, "le roi des cons est mort" lors du décès du roi Baudouin c'était plutôt marrant). Mais bon les blagues de potache, de carabin, les relents hippiesques - je me mets à poil parce que tout le monde est habillé... c'est marrant un temps: quand ça devient la règle... Si la provocation domine, la vraie provoc est donc de ne plus en faire et donc de se rhabiller. Dans une interview publiée dans ce beau livre étonnamment soigné (trop? ), l'avocat de Charlie Hebdo (le livre a été publié avant l'assassinat de Samuel Paty) revendique le droit au blasphème. Certes, sauf que l'insulte à Président résulte encore elle en forte amende, si pas plus: la République serait donc elle aussi une religion? La provocation et le blasphème doivent pouvoir s'opérer alors dans d'autres secteurs que dans les blagues de culte: la liberté d'expression en France, ce n'est pas placer la laïcité et la république comme nouveau texte sacré. Bien sûr, cet ouvrage a ses absents: Les Inconnus, acerbes dans leur critique sociale et d'un plus grand raffinement dans la caricature que " Groland" le bien nommé, ou Le Canard Enchaîné qui se révèle bien plus incorrect et donc acéré que certains grands journaux dans ses caricatures comme dans ses textes. Pourtant, l'incorrection peut être raffinée, qu'on se rappelle Desproges cité plusieurs fois dans l'ouvrage (Gossens l'auteur de Georges et Louis écrivains en a fait son héros - voir page précédente). Oui, bien sûr, aujourd'hui c'est plus compliqué, on l'a vu hélas avec les réseaux sociaux, mais le reflux date d'avant l'explosion de ces derniers: la publicité omniprésente (sauf chez Charlie Hebdo et au Canard Enchaîné bien sûr), a obligé les médias à lisser leur image afin d'atteindre le plus grand nombre: l'esprit libertaire, à l'image du rock a été digéré par la société capitaliste. À voir le dessin de Lagorce, drôle, mais de mauvais goût à propos du harcèlement sexuel, retiré du journal Le Monde par craindre aussi de reflux des annonceurs devant le "scandale" provoqué. Tout serait donc perdu? Non car un petit village d'irréductible résiste encore à la pax correctana: si on imagine mal un Coluche encore passé la rampe aujourd'hui, dans une société puritanisée qui a excommunié le second degré et se "lisse" les plumes dans des tartuffades forcément hypocrites, des interventions comme celle de Corinne Maserio aux récents Césars (on a toujours moins de contrôle sur le direct - cfr Droit de réponse, que les programmateurs en télévision tentent "heureusement de réduire" au maximum) des humoristes comme Stéphane Guillon ou Blanche Gardin bousculent quelque peu la bienséance. Une humoriste que l'on retrouvait à l'affiche d' Effacer l'historique, l'excellent film de Kervern et Delépine, lequel est l'exemple même de ce que doit ou devrait être le comportement incorrect: provocateur, intelligent, mais également drôle...