Musicien prodigue à défaut d'être prodige, le fougueux Californien Ty Segall sort avec "Harmonizer" un excellent septième album solo qui n'a pourtant rien... d'harmonieux.
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Multi instrumentiste prolixe, Ty Segall compte à 35 ans à peine une petite trentaine d'albums au compteur, dans le genre rock bruyant et brillant que pratiquent ailleurs King Gizzard ou Osees dont il est très proche. Tant qu'à faire se dit-il, autant dès lors se construire ses propres studios, Harmonizer, qui donnent leur nom à son septième album solo (il en comptabilise 27 au total notamment au travers de ses side-projects). Un LP qui le voit confronter sa guitare noisy à des synthés souvent râpeux. Bref, avec Harmonizer, on est loin de l'harmonium... Le journal du Médecin: L'instrumental qui introduit le disque Learning me rappelle celui, également introductif, de Van Halen sur l'album 1984... Ty Segall: Cool! Je n'y pensais pas, mais je suis un grand fan de Van Halen. Comme eux à l'époque, on a le sentiment que c'est une façon de signifier à l'auditeur que vous allez explorer un nouveau territoire. Oui, je l'espère, ou peut-être une nouvelle couleur que j'ajoute à ma palette musicale. Votre nouveau studio d'enregistrement dans lequel vous venez de réaliser cet album s'intitule Harmonizer Studios, bien que le son se révèle, à dessein semble-t-il, très sale... Oh merci! Je suppose qu'il y est juste question de contrôle du son. Si vous voulez, parfois, cela sonne sale et parfois très propre. Il y a de la place pour les deux approches sur un album, et j'aime la combinaison des deux extrêmes, et de tout ce qui se trouve entre. Distorsion semble votre mot favori... Je ne sais pas... ce serait plutôt extrême en fait. Combiner deux extrêmes est souvent intéressant. Peut-être n'est-ce pas la meilleure idée ou peut-être que cela échouera, mais au moins ce sera intéressant. Vous ne voulez sans doute pas provoquer, mais surprendre et vous surprendre vous-même d'une certaine façon? Oui, on peut même aller jusqu'à évoquer la provocation. Provoquer l'audience et moi-même en effet. Le fait d'avoir son propre studio modifie-t-il foncièrement le résultat? Oh oui. Vous ne regardez pas constamment l'horloge. Il n'y a pas cette pression qui vous fait ressentir que vous consumez du temps et de l'argent en explorant ces étranges idées qui vous viennent à l'esprit. Ce qui permet d'essayer quantité de choses. Et puis vous pouvez vous réveiller le matin, avoir une idée et descendre au studio pour l'enregistrer. Mais la pression peut aussi engendrer la créativité? Oui, mais je ne crois pas que le fait d'avoir peu de temps et d'argent soit nécessairement bénéfique en termes de créativité: c'est juste de la mauvaise pression. Si vous êtes un groupe que vous avez écrit des chansons et que vous vous rendez dans un studio pour deux ou trois jours, que vous enregistrez en live, alors oui je pense qu'il y a de très grands albums qui ont été enregistrés de la sorte. Mais si vous vous autofinancez et que vous disposez que de deux jours en studio pour l'entièreté du disque... Je l'ai fait, et ce n'est pas marrant. Pourquoi sortez-vous autant d'albums? Aahh la grande question récurrente! ! ! Sous mon propre nom, je n'en sors pas tant que ça, mais je comprends que l'on puisse l'affirmer au regard de mes projets parallèles notamment avec le groupe Fuzz. En fait, j'adore composer et ne peux m'empêcher d'enregistrer. Je pourrais tenter de produire un peu moins de disques et être extrêmement critique de mon travail avant de les sortir... Je n'ai pas vraiment de réponse: c'est juste moi! J'ai peut-être un problème... Faire de la musique et de l'art font partie de ma thérapie comme si je pratiquais du sport. Cela m'aide à rester une personne saine. Sur cet album, vous mixez synthés vrombissants et guitares: Nine Inch Nails fut-il une influence importante pour vous étant jeune? J'adore. Et spécialement leur hit, Closer, qui fut d'une importance essentielle lorsque j'étais enfant. Je ne me souviens même plus de mon âge à l'époque: je devais avoir huit ou neuf ans. J'avais une vieille cassette que j'écoutais continuellement: c'était le truc le plus bizarre et cool que je n'avais jamais entendu! Ce fut une expérience fondamentale musicalement, une porte d'entrée pour des choses plus aventureuses encore, vers d'autres groupes de synthés comme Tubeway Army, plus âpres et possédant un son électronique un peu bruyant. Et même vers Depeche Mode dont j'apprécie énormément les deux premiers albums. Vous êtes né en 1987. Des groupes grunge comme Soundgarden ont-ils été importants durant votre adolescence? J'étais un peu jeune pour le grunge: je me suis intéressé à Nirvana quelques années après la mort de Kurt Cobain via la radio, et puis j'ai écouté des cds de Soundgarden... et peut-être de Pearl Jam mais je n'en suis pas sûr. Parfois, votre guitare sonne comme Lee Renaldo ou Thurston Moore de Sonic Youth... Cool! Je ne prétends pas du tout être un grand guitariste, mais j'aime le côté noisy et user de ce côté bruyant de l'instrument pour tenter d'être émouvant. Je ne fais pas de grands solos, mais j'utilise le bruit dans ce sens. Cela revient à la notion d'extrêmes, pour signifier d'une certaine façon la dynamique ou le changement émotionnel. Parce que, très honnêtement, je ne suis pas un grand guitariste: je ne fais pleurer personne avec mon instrument!