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Le petit musée James Ensor d'Ostende se double désormais d'un centre d'interprétation dernier cri, ou dernière criée en l'occurrence pour la Reine des plages... Ensor lui fut roi de sa ville, dans laquelle il eut la visite de personnages prestigieux dont les souverains Albert et Élisabeth, Malraux, Permeke ou Kandinsky. " Un homme au caractère pas facile, qui me parla de musique pendant deux heures plutôt que peinture" s'étonna Stéphane Zweig venu en visite chez le grand artiste. Un personnage qui pourtant fut décrit comme son seul ami pendant un temps par son concitoyen Léon Spilliaert. Celui qui suivit les cours à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles pendant trois ans, période qui lui ouvrit les yeux, avant de rentrer à nouveau au port d'Ostende pour le reste de sa vie, est désormais l'objet d'autre chose que du simple magasin de souvenirs et de coquillages dont James Ensor hérita de son oncle et qu'il vient habité en 1917, lequel tenait lieu de musée jusqu'ici. Car une nouvelle annexe dans l'hôtel Providence-Régine, entièrement rénové et qui a conservé à l'extérieur son lustre (il ne s'agit pas d'éclairage) néoclassique du milieu du 19e siècle, le complète depuis cet été. Au rez-de-chaussée, se situe désormais l'entrée du musée, qui immerge d'abord le visiteur dans l'univers, l'oeuvre et l'histoire d'Ensor, en divers petits salons. L'histoire de l'hôtel d'abord, dont les propriétaires étaient les voisins de James: un lieu que l'artiste fréquenta souvent. Ensuite, une borne interactive situe les oeuvres authentiques (aucune ne l'est: ni dans la maison ou le centre d'interprétation) du musée Getty de Los Angeles (dans le cas notamment de L'entrée du Christ à Bruxelles), à celui de...Téhéran notamment. La thématique L'univers d'Ensor donne à voir le film réalisé par un autre Ostendais, Henri Storck, à la fin de la Première Guerre et consacré au peintre, tandis que l'atelier (qui se situait dans un immeuble en face de l'hôtel) est reconstitué. Les enfants peuvent y accéder d'une manière ludique, dans une mise en scène qui leur dédie un parcours tout à fait original: hommage également à l'espièglerie jamais démentie d'Ensor. Des reproductions de ses tableaux reprenant des vues d'Ostende sont par ailleurs accrochées. Dans un petit film d'animation, Raoul Servais (encore un Ostendais), montre à quel point Ensor défendait le petit peuple notamment lors de la révolte des marins pêcheurs en 1887, laquelle fut réprimée dans le sang. Usant des dernières techniques digitales, l'expo propose également une salle où des tableaux célèbres comme Les masques, prennent vie lorsque l'on s'en approche: cette sorte de farce aurait sans doute plu à ce grand amateur du bal du Rat Mort, et qui, pourtant, s'il dépeint sa ville, lui en voulait d'avoir détruit son père. Lequel, ingénieur cultivé, mourra prématurément par excès d'alcool et de bagarres, et laissant derrière lui un petit James aux prises avec trois femmes: sa mère, sa grand-mère et sa soeur, voire plus tard sa nièce... D'où cette absence de sexualité sans doute chez un peintre pour tant pas avare du sujet à voir Les bains de mer présenté dans la nouvelle partie expo temporaire, en 1890 et dont les références sexuelles sont analysées, ou L'appel de la sirène en 1893: on y voit un Ensor très féminin n'osant descendre de sa roulotte, frileux et apeuré, face à une baigneuse qui lui tend les bras depuis les flots. Cette première expo temporaire qui rend un hommage bienvenu à la ville qui lui dédie cet écrin, montre également un petit tableau remarquable d'une cabine de bain peint à l'âge de 16 ans, lequel présente la maîtrise, l'étoffe et la sensibilité d'un Boudin. D'autres peintures et dessins de jeunesse (la toile La villa Albert) notamment entourent deux peintures vues d'Ostende - l'une des dernières années: Le canal près d'Ostende et une Marine de jeunesse - dont la lumière explique pourquoi Ensor, malgré le passé paternel, resta toute sa vie attachée à cette ville où il vécut, y compris durant les deux guerres. Quant au musée originel, on y accède par un petit couloir vers la maison, rénovée certes, mais tout en reconstituant à nouveau intact l'univers dans lequel Ensor a vécu. La devanture du magasin de souvenirs, au bout de la rue commerçante d'Ostende la Kapellestraat à quelques maisons de la digue, sis dans une belle maison coincée entre deux hideux immeubles d'après-guerre, ressemble à un cabinet de curiosité où trônent bien sûr des masques (c'est de saison! ), un homard géant, une carapace de torture ou la scie d'un requin du même nom. Quelques peintures, le frac du peintre, et déjà l'escalier mène au premier étage. Encore une volée d'escaliers avant de pénétrer dans le saint du saint les deux pièces ou vivait le maître, dans une atmosphère... confinée: la salle à manger d'abord, et le Salon bleu ensuite, décorés de tableaux, de tapis, où les bibelots alternent avec les peintures dont L'autoportrait au chapeau fleuri, lequel fait son retour au vrai salon. Un salon où le roi des plages recevait ses invités célèbres, lesquels devaient tous faire antichambre dans l'ancien magasin de souvenirs, jusqu'à ce qu'il soit fait signe au fidèle serviteur August Van Yper de les introduire au Salon bleu. Et oui, le célèbre Ostendais était royal jusque dans son port...