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On sait que le diabète de type 2 est, très globalement, associé à une absorption trop importante de sucres et de graisses par l'intestin qui entraîne l'épuisement progressif des cellules de Langerhans produisant l'insuline dans le pancréas. Ce qui a notamment débouché sur des techniques de malabsorption chirurgicales (les fameux by-pass et autres manchons) qui diminuent drastiquement la quantité de nutriments qui peuvent pénétrer dans les tissus. Des techniques moins invasives, comme celle qui utilise la chaleur pour détruire sélectivement la muqueuse du début de l'intestin, développée à l'hôpital Erasme, tentent d'ailleurs d'obtenir un résultat comparable sans les risques chirurgicaux. D'autres pistes, davantage pharmacologiques, sont également développées. À l'UCLouvain, le Pr Patrice Cani est un spécialiste mondialement reconnu du microbiote intestinal et de l'interaction entre le cerveau et notre " deuxième cerveau ", l'intestin : " Quand nous mangeons, une partie de duodénum se contracte, ce qui aide à faire passer sucres et graisses dans le sang. Dans le même temps, un signal est envoyé par les neurones intestinaux vers le cerveau pour lui signaler cet apport neuf. En feedback, des neurotransmetteurs signalent au pancréas, au foie, aux muscles et à divers tissus adipeux l'arrivée de ces éléments, pour les utiliser ou les éliminer. Mais quand cette communication se dégrade, le message annonçant l'arrivée du sucre passe moins bien. Ce mécanisme impacte également l'action de l'insuline : sans message, l'insuline n'est pas produite en quantité suffisante, ce qui induit à terme de l'insulinorésistance et le diabète s'installe. Jour après jour l'hyperglycémie reste présente et, plus tard, attaque des organes (oeil, vaisseaux sanguins). " Mais pourquoi cette communication connaît-elle des ratés ? Le Pr Cani, qui est associé depuis 20 ans avec Claude Knauf, chercheur à l'Inserm, avait déjà identifié que ce brouillage était provoqué par une hypercontractilité de l'intestin. Mais qu'est-ce qui le provoquait ? Les chercheurs, qui publient leurs résultats dans la dernière livraison de la revue de référence " Gut ", ont observé les différences de constitution de l'intestin ainsi que l'action de prébiotiques au sein du microbiote chez des souris " normales " et des modèles de souris simulant un diabète humain. Ils ont découvert qu'un lipide en particulier était fortement déficitaire chez les souris diabétiques, mais également dans le duodénum des personnes diabétiques, alors qu'il est naturellement présent chez des personnes saines. L'équipe a donc testé l'impact de cette molécule sur l'utilisation des sucres, la contraction de l'intestin et in fine le diabète. Anne Abot et Eve Wemelle, chercheuses dans l'équipe " NeuroMicrobiota " du labo international de Patrice Cani et Claude Knauf ont découvert qu'administrer ce lipide permet de restaurer l'utilisation normale du sucre en agissant directement sur le second cerveau. " Pour l'instant, cela fonctionne chez la souris. Cela fonctionnera-t-il directement chez l'homme ? Des essais cliniques pourraient être envisagés. Mais il ne faut pas nécessairement espérer la panacée. " Il est vrai que l'espoir est vaste : le diabète et ses conséquences cardiovasculaires sont identifiés comme la pandémie du 21e siècle, capable même de faire baisser l'espérance de vie dans certains pays, une première dans l'histoire humaine. Il reste que l'espoir est bon de parvenir un jour à une médication fondée sur ce lipide, puisqu'il s'agit davantage de la restauration d'une fonction qu'une modification d'un mécanisme déficitaire. Plus fondamentalement, l'équipe de chercheurs a dévoilé comment les bactéries de notre intestin jouent un rôle important en modifiant la production de lipides, et dès lors restaurent une communication parfaite entre l'intestin et le cerveau. " Certains de ces lipides sont des messagers essentiels qui agissent sur des cibles très précises du second cerveau (enképhalines ou récepteurs opioïdes). L'avantage réside aussi dans la possibilité de les administrer par voie orale ou d'en modifier la production par l'organisme ", explique le Pr Cani, qui a reçu deux bourses ERC successives pour ses nombreuses recherches sur les bactéries intestinales, qu'il étudie dans le contexte des désordres nutritionnels associés à l'obésité, le diabète de type 2 et le cancer. Cerise sur le gâteau, en utilisant la même approche, l'équipe de chercheurs UCLouvain et Inserm a aussi contribué à la découverte d'un nouveau lipide bioactif diminuant l'inflammation intestinale. Ce lipide est directement produit par certaines bactéries intestinales, aussi identifiées dans cette étude. Soit le lipide, soit une ou plusieurs bactéries pourraient donc servir de cible thérapeutique. N'oublions pas que le diabète de type 2 est de plus en plus décrit comme une inflammation permanente à bas grade.