Le 27 décembre, on célébrera le 200e anniversaire de la naissance de Louis Pasteur, symbole de la lutte victorieuse contre les épidémies et considéré comme bienfaiteur de l'humanité.
...
Michel Morange, professeur émérite de biologie, membre correspondant de l'Académie royale de médecine de Belgique et auteur de nombreux ouvrages sur les sciences de la vie, signe une biographie "vivante" du découvreur du vaccin contre la rage, ni hagiographique ni à charge, sans qu'elle soit pour autant pasteurisée. Le journal du Médecin: La biographie est nuancée du fait que vous êtes vous-même biologiste? Michel Morange: En tout cas, cela m'a aidé à bien comprendre la personnalité de Pasteur. Si on devait résumer Pasteur et sa carrière, on pourrait dire que c'est celle d'un chercheur au sens moderne du terme: il passe son temps au laboratoire, il est obsédé par ses idées et ses expériences. Le fait d'avoir été chercheur et d'avoir, d'une certaine manière, connu un mode de vie semblable, a contribué à le comprendre. Lequel n'est pas tendre avec les médecins... La médecine de l'époque faisait preuve d'un certain conservatisme, à la fois dans les idées puisqu'ils étaient attachés à certains modèles qui finalement ne laissaient aucune place à la possibilité que des micro-organismes soient responsables des maladies. En outre, Pasteur lui-même connaissait mal le milieu médical et commettait de nombreuses erreurs. Par exemple, de temps en temps, il évoquait des remèdes de bonne femme, courants dans les familles. Le genre de commentaires qui ne plaisait pas du tout aux médecins. Des remèdes de rebouteux qui démontrent que, toute sa vie, Pasteur reste un montagnard du Jura? En tout cas, il n'oublie pas le métier de tanneur de son père, un métier d'artisan, et gardera toujours une certaine admiration pour les savoir-faire artisanaux et un certain savoir populaire qui n'est pas encore scientifique. Il conservera également une méfiance par rapport à la noblesse notamment, même s'il aime les honneurs: il se méfie de tout ce qui est donné à la naissance... Oui. Louis Pasteur hérite de son père qui avait été un soldat de Napoléon Ier. Il est effectivement tout à fait opposé aux gens qui font appel à leurs origines, à leur classe, pour affirmer leur autorité. Pour lui, il n'y a qu'une source d'autorité: le travail, et les résultats qui en découlent. Effectivement, politiquement, il est plutôt impérial que révolutionnaire. Il aime l'ordre, se range plutôt du côté des Versaillais dans l'épisode de la Commune. Aujourd'hui, on le considérerait comme un petit indépendant? En cela, il est resté un artisan, fidèle à son milieu d'origine. En effet, il ne comprend pas les ouvriers, ces nouvelles classes, leurs revendications sociales... Par contre, il dialogue toujours très facilement avec les gens du métier, les artisans. À ses yeux, la science ne rejette pas ce savoir traditionnel, simplement elle l'enrichit et le développe parce qu'elle possède des techniques, développe des concepts qui permettent d'aller plus loin. Mais la science ne s'oppose pas au savoir populaire. Revenons à la tannerie paternelle, puisque c'est de là qu'il tire son soin, son attention à la propreté, et ce côté minutieux qui fait de lui, quelque part, un épidémiologiste? Effectivement, il emprunte les pratiques déjà présentes dans son milieu familial. Et d'ailleurs, de façon erronée, on dit souvent que c'est la peur des microbes qui faisait que Pasteur prenait des précautions. Du point de vue scientifique, il est aussi d'une certaine manière un artisan, qui bricole au début de sa carrière, avant son accident vasculaire cérébral, ses instruments, et les adapte. Il aime cette pratique du métier scientifique. Il y a d'ailleurs chez lui le souci d'une application pratique de ses recherches... Oui. Néanmoins, il réserve toujours la priorité à la connaissance scientifique: c'est lorsqu'elle a mûri qu'elle peut servir et conduire à des applications pratiques. Vous montrez comment son approche de la problématique du ver à soie, souvent oubliée dans son parcours, a encore été utilisée, notamment dans la recherche contre le sida. En quoi l'approche de Pasteur reste-t-elle actuelle? Les méthodes qu'il appliquait dans le domaine des vers à soie sont, je crois, toujours utilisées, malgré les moyens modernes et les maladies. Pasteur a cherché à savoir si la maladie était ancienne: il s'est rendu dans les musées et y a découvert des cocons anciens qui lui ont permis de déterminer si la maladie avait récemment fait irruption ou si elle était déjà présente localement et s'était simplement développée. Cette approche qui consiste à découvrir l'origine d'une maladie, ses racines, de savoir si elle est nouvelle ou ancienne, est novatrice et a été utilisée dans le cas du virus du sida. C'est dans cette approche "préhistorique", d'archéologue des maladies, que Pasteur est un pionnier. En tout cas, la méthode développée par Pasteur est révolutionnaire et a connu de multiples applications ultérieures. Pasteur semble animé par un fort sentiment anti-allemand, qui se traduit notamment dans une attitude peu fair-play vis-à-vis de Robert Koch et de ses découvertes... Pasteur a été très vexé, d'abord par le fait que Koch a procédé à une expérience qu'il aurait pu faire sur le charbon, d'isolement de cultures in vitro, de réinsertion aux animaux. Ensuite et surtout, cette expérience montrait comment il fallait faire pour isoler les micro-organismes pathogènes et démontrait que le micro-organisme isolé est vraiment responsable de la maladie. Dans son article de 1876, Koch expliquait l'ensemble du processus: Pasteur va l'imiter, ce qu'il ne reconnaîtra jamais. Ses succès ultérieurs sont dus au fait qu'il a emprunté la méthode de Koch. Tout en faisant semblant de dire que Koch a fait un très bon travail, il va toujours mettre l'accent sur les détails de son oeuvre et pas sur l'essentiel... Plus grave, il a une idée qui paraît tout à fait choquante: inoculer le choléra à des condamnés à mort dans le Brésil de Pedro II. Cela évoque Mengele, 70 ans plus tard... Pasteur souhaitait qu'on fasse des expériences sur les condamnés à mort en leur injectant des microbes du choléra afin de démontrer que Koch s'était trompé dans sa découverte de la bactérie. Le pire, si l'on peut dire, c'est qu'en plus, l'objectif de Pasteur n'était pas de faire progresser la médecine, mais de montrer que son adversaire avait tort. C'est d'autant plus critiquable que justement en France, il ne pouvait légalement pratiquer ce genre d'"expérience". Il s'agissait donc pour lui de contourner la loi de son pays pour pouvoir s'adonner à des pratiques jugées répréhensibles en France. Même s'il s'agit d'une pratique en cours pratiquement jusqu'à l'époque de Pasteur, elle nous choque, à juste titre...