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Alors qu'on associait par le passé insuffisance cardiaque et affaiblissement de la pompe (Insuffisance cardiaque chronique à fraction d'éjection réduite ou ICFER), on constate aujourd'hui qu'environ la moitié des patients présentent une fraction d'éjection ventriculaire gauche contenue dans les limites de la normalité. On parle alors d'ICFEP (insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée). Comparée à ICFER, l'augmentation de pression ventriculaire gauche n'est pas, dans le cas de l'ICFEP, due à une atteinte de la fonction de pompe du coeur, mais bien à un remplissage anormal des ventricules. C'est le relâchement du ventricule gauche au cours de la diastole qui pose problème, ce qui explique que le débit systolique ne peut être conservé qu'au prix d'une hausse des pressions de remplissage." En cas d'insuffisance cardiaque aiguë décompensée, le diagnostique de l'ICFEP n'est pas si difficile à poser ", poursuit le Dr Andreas Gevaert. " Des symptômes de congestion apparaissent, parfois accompagnés d'oedèmes périphériques, de stase pulmonaire, d'orthopnée, de congestion des veines du coup, etc. Dans des situations moins aiguës par contre, on constate parfois seulement un essoufflement à l'effort, à savoir un symptôme aspécifique, ce qui rend le diagnostic plus ardu. Il existe toutefois des signes qui ne trompent pas, comme la comorbidité, que je présente dans ma thèse. L'ICFEP est une maladie traditionnellement associée aux femmes (d'un certain âge) atteintes d'obésité, de diabète, d'insuffisance rénale et de fibrillation auriculaire. Il existe en outre un outil diagnostic, le score H2FPEF, qui permet d'évaluer, sur base de paramètres cliniques et échographiques, les chances de développer une ICFEP. Ce score laisse néanmoins une zone d'ombre. Dans des cas difficiles, l'échocardiographie à vélo peut constituer une solution. Elle permet non seulement de diagnostiquer une ICFEP, mais aussi de dresser un tableau global des facteurs limitant la capacité d'effort : cardiaques, pulmonaires et/ou au niveau des muscles périphériques. "Le développement d'options thérapeutiques en cas d'ICFEP est ralenti par la vision encore limitée de la pathophysiologie. Andreas Gevaert a quant à lui enquêté du côté de la fonction endothéliale.Le Journal du médecin : Comment vous est venue l'idée d'analyser la fonction endothéliale des patients atteints d'ICFEP ?Dr Andreas Gevaert : Il y a quelques années, une théorie a vu le jour. Celle-ci suggérait que la cause de l'ICFEP ne se trouvait pas du côté du tissu musculaire du coeur lui-même, mais bien dans l' endothélium des vaisseaux sanguins qui traversent le muscle cardiaque. En réalité, il existe dans le coeur plus de cellules endothéliales que de cellules musculaires cardiaques ou de car-diomyocytes. Les cellules endothéliales des petits vaisseaux sanguins sont en lien étroit avec les cardiomyocytes. La théorie émise partait du principe que les cellules endothéliales participaient elle aussi au relâchement du muscle cardiaque, en libérant de médiateurs, monoxyde d'azote (NO) en tête. Si les cellules endothéliales, pour l'une ou l'autre raison, ne libèrent pas assez de NO, le relâchement du ventricule pendant la diastole s'en trouverait perturbé, engendrant à son tour un dysfonctionnement du remplissage. Cette théorie faisait sens, mais n'avait pas encore été étudiée cliniquement jusqu'à ce jour.Comment avez-vous procédé et quelles sont vos découvertes ?La fonction endothéliale potentiellement défaillante a été mise en perspective avec les comorbidités susmentionnées en cas d'ICFEP, à savoir l'obésité et le diabète. La composante inflammatoire liées à ces maladies mettrait donc en péril l'endothélium.L'inflammation constitue un phénomène systémique et la fonction endothéliale peut donc être évaluée partout dans le corps. C'est pourquoi nous avons interrompu, chez les patients atteints d'ICFEP, l'afflux de sang dans les doigts, en plaçant une manchette sur le bras et en pompant au-dessus de la tension systolique. Lorsque la manchette se relâchait à nouveau, le flux sanguin était régulé par les médiateurs endothélio-dépendants. Dans le cas d'un endothélium dysfonctionnel, la réaction est moins forte. C'est en effet ce que nous avons constaté chez les patients frappés d'ICFEP, contrairement aux volontaires sains du même âge et du même sexe.Quelle est la pertinence de ces résultats pour les prochaines directives en matière d'ICFEP ?Certaines molécules sont déjà en développement. Elles influent sur la libération de NO. Une étude sur des suppléments en nitrite et en nitrate est ainsi en cours. Une autre recherche porte sur le potentiel des activateurs de la guanylate cyclase. Ces nouvelles approches visent à fournir davantage de NO aux cardiomyocytes. J'ajoute que des recherches antérieures sur le dinitrate d'isosorbide - donneur de NO-chez des patients atteints d'ICFEP n'avaient pas donné les résultats attendus. Le problème selon moi, c'est que l'on met encore tous les patients atteints d'ICFEP dans le même sac.Que voulez-vous dire ?Les patients atteints d'ICFEP ont probablement des profils très différents. Ils ne doivent donc probablement pas être traités tous de la même manière. Il va aussi de soi qu'ils ne seront pas soignés en intervenant sur une seule voie. Dans ma thèse, je me suis efforcé de classifier les patients atteints d'ICFEP, sur base de la comorbidité. L'intelligence artificielle nous a permis d'analyser les caractéristiques de base de 180 patients atteints d'ICFEP, et de les répartir en différents groupes, sans préjugés. Cette technique nous a permis de définir trois catégories, nécessitant potentiellement un traitement différent : un groupe à la fonction endothéliale fortement touchée, un autre avec une fonction endo-théliale normale et le dernier au milieu des deux. Nous sommes ainsi arrivés à des conclusions intéressantes : dans le groupe à la fonction endothéliale normale, cela n'a, a priori, pas de sens d'administrer des médicaments qui améliorent cette fonction, puisque le problème se situe ailleurs.Vous avez enquêté sur l'effet de l'effort physique sur l'ICFEP. D'où vient cette idée ?Chez les patients atteints d'ICFER ou de maladie coronarienne, l'exercice physique améliore la fonction endothéliale. C'est pourquoi cette piste semblait intéressante à creuser dans le cas de l'ICFEP. Malheureusement les résultats se sont avérés assez décevants. La capacité d'effort s'en voyait certes améliorée, mais pas la fonction endothéliale après douze semaines, en tout cas pas chez les patients chez qui nous avions diagnostiqué auparavant un dysfonctionnement endothélial.Comment traite-t-on actuellement l'ICFEP ?La clé, et nous l'oublions trop souvent, c'est l'exercice physique. Comme nous l'avons expliqué, cela améliore la capacité d'effort chez les patients atteints d'ICFEP, mais aussi la qualité de vie. Le programme de revalidation n'est hélas pas encore remboursé par l'Inami, mais cela ne saurait tarder, je l'espère. Chez les patients obèses, la perte de poids permet elle aussi d'augmenter la capacité d'effort, comme les études l'ont montré. Le mieux, c'est de combiner les deux : exercice physique et perte de poids. En cas de décompensation aiguë, on prescrit des diurétiques, mais ce traitement n'influe pas sur la survie. Dans l'étude clinique d'un sous-groupe, la spironolactone a amélioré la fonction diastolique du ventricule gauche. Une option à envisager pour les patients ne souffrant pas d' hyperkaliémie ou d'insuffisance rénale.Par le passé, ICFER et ICFEP s'appelaient respectivement insuffisance cardiaque systolique et diastolique. Pourquoi avoir abandonné progressivement cette terminologie ?Les dysfonctionnements observés chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque concernaient rarement uniquement la systole ou la diastole. Il y a des chevauchements entre les deux syndromes. La plupart des patients atteints d'ICFEP présentent aussi des atteintes subtiles de la fonction systolique. La LVEF reste chez ces personnes néanmoins normale. De nos jours, il est également possible de mesurer le drain (ou déformation du ventricule au cours de la systole) par échographie. Cette méthode, plus précise que la mesure de la LVEF, permet d'observer ces anomalies systoliques. En outre, l'échocardiographie à vélo montre que la contractilité du ventricule gauche augmente moins vite à l'effort que chez les participants sains. A l'inverse, chaque patient atteint d'ICFER présente une certaine forme de dysfonctionnement diastolique.