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S aâd Kettani : La citation qui m'a fait fantasmer étant jeune, que je cite en extrait gourmand dans mon livre, est tirée de L'assommoir de Zola, lorsque Gervaise apporte l'oie à table. Tellement bien raconté que l'on voit la graisse qui fond. Autre souvenir, cinématographique, qui m'a marqué quand j'avais cinq ans, ce fut la vision d'un film sur Brillat-Savarin, le gastronome. Je m'étais dit que je voulais devenir comme lui ! Le Journal du médecin : Vous avez été chef cuisinier ? Oui dans les Ardennes, à La Roche notamment où j'ai grandi. Et durant mes études de journaliste à l'Ihecs, je travaillais le week-end comme cuisinier pour un traiteur, et la semaine en tant que chef de rang le soir au restaurant Marchal de Mons, à côté de la cathédrale Sainte-Waudru, afin de payer mes études. Ensuite j'ai été journaliste au Nord-Éclair. Vous aimez " beaucoup historier, décorer un plat avec des morceaux d'agrumes ou de tomates ", c'est ce que vous faites avec ce livre en fait ? Un peu. La difficulté de ce livre, qui voulait éviter le style Larousse gastronomique, était de réunir des morceaux choisis. Des tapas si vous voulez, avec une certaine tension narrative qui m'a amené à découper le livre en quatre parties. Goosto n'a pas de prétention d'exhaustivité ni d'être spécialisé. J'ai fait ce livre constatant que beaucoup de personnes s'intéressaient à la cuisine, mais que peu de gens avaient de connaissances, non seulement de la gastronomie (car la mode est à la cuisine, aux recettes) ; j'estime en effet que la gastronomie est une culture : celle des grands restaurants, du service qui se perd. Je consacre un chapitre à la salle, car c'est important à mes yeux. Aujourd'hui, l'on rentre dans un restaurant où l'on vous jette votre assiette : c'est dommage. Le plaisir de manger c'est aussi celui d'être bien servi, de ritualiser la chose. Un bon maître d'hôtel théâtralise : en l'écoutant raconter le menu, on a déjà faim. Vous dévoilez aussi quelques trucs de garçon... Oui, car j'ai moi-même été serveur et critique gastronomique. Si le serveur dit " vous prendrez un dessert ? ", la réponse sera non. Par contre, si le même apporte la carte, laisse le temps aux clients, ils hésitent. Si on les presse, ils vous disent non. À propos de desserts, le café gourmand, c'est le dessert de l'hypocrite. L'invention du siècle ! Ce sont sans doute les desserts qui sont sans doute les plus prisés aujourd'hui. Qu'est-ce que le boutehors ? Ce sont les desserts du Moyen Âge et de la Renaissance. Ils sont pris à l'extérieur, dans une autre pièce d'où le nom : il s'agit souvent de pâtes de fruits qui servent à faire digérer. On le trouve encore dans les menus de la fin 19e notamment à la cour impériale de Vienne, que je cite dans l'ouvrage. Les desserts étaient soit salés soit sucrés et terminaient un repas. Restait le boutehors, une collation que les hommes prenaient hors de table. L'ancêtre du pousse-café que l'on prend au salon. Les desserts arrivent d'Italie grâce à Catherine de Médecis ? La fourchette et les desserts italiens. Auparavant, le couvert était du genre rustique : on ne mangeait pas dans une assiette, mais sur un pain, sur lequel l'on versait la viande d'où vient l'expression compagnon : on partage le pain. La fourchette a été introduite d'abord par les Indiens puis les Arabes, transiter par l'Italie et Catherine de Médicis l'a amené en France. Son fils, Henri III, la popularise à cause de la fraise que les nobles salissaient, mangeant avec leurs doigts. Les hommes n'avaient pas d'assiette, mais avaient déjà un plateau ! Question savoir-vivre : on ne coupe pas sa salade ? On la plie, on la tourne, mais on ne la coupe pas. En principe, elle doit être "réduite" par le restaurant. Dans le passé, les couteaux n'étant pas en inox étaient attaqués par le vinaigre. Vous distinguez la découpe de la viande entre France et Belgique ? Je connais les deux façons : et j'avoue que la découpe est plus affinée en France : l'araignée, la basse araignée, au contraire de la Belgique où l'on parle de pelé royal. Le boucher français est plus précis. Même au niveau de la qualité de la viande, cela me paraît meilleur en France : le blanc bleu belge n'est pas persillé, présente très peu de graisse, mais n'est pas goût par rapport au charolais à la salers ou au boeuf irlandais. Une bonne viande est issue d'une vache de réforme, qui a eu un veau, est âgée de quatre et six ans et possède une certaine maturité. La viande est persillée, contient de la graisse à l'intérieur, ce qui lui donne du goût. Dans le cas du boeuf de Kobe, la viande est quasiment blanche, car ce n'est que du persillé : les Japonais poussent le procédé à son paroxysme. Même l'Angus irlandais est une bonne viande, car c'est aussi une vache de réforme. On ne la trouve jamais en supermarché, car ici dans les grandes surfaces ce n'est pas du boeuf, mais du taurillon : du jeune taureau non castré de huit mois entre le veau et le boeuf sans trop de goût : ce que les clients veulent. Une viande qui n'a pas de goût. Une bonne viande a au moins quatre ans, provient de la vache et ne se vend que chez les bouchers, qui ont leur propre filière. Qu'est-ce que l'Umami, la cinquième saveur que vous décrivez ? Tous les gastronomes la connaissent. C'est la cinquième saveur dont Brillat-Savarin est le premier à parler, sans être suivi. Un scientifique japonais a procédé à des recherches à ce sujet au début du 20e siècle et s'est aperçu qu'il existait bien une cinquième saveur (sucré, salé, amer, acide sont les quatre autres) que l'on retrouve dans certains aliments et notamment dans l'oignon. Étant de culture arabe et occidentale, ma grand-mère marocaine qui était un cordon-bleu mettait de l'oignon râpé dans son tajine. Raison pour laquelle, dans une soupe, il convient de mettre de l'oignon ou de l'échalote, qui va exalter les parfums. L'umami (qui signifie goût délicieux en japonais) est en fait du glutamate monosodique que les industriels de l'agroalimentaire utilisent notamment dans les chips. Raison pour laquelle il est difficile d'arrêter un paquet commencé : car, au niveau du cerveau, cela déclenche l'appétence.