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Depuis longtemps, Alexandre Heeren, professeur de psychologie à l'UCLouvain, rêvait d'un livre sur l'éco-anxiété spécifiquement dédié aux soignants. "Cet ouvrage répond à une demande des professionnels de la santé, des directeurs d'hôpitaux psychiatriques, des enseignants et directeurs d'école... Il n'y avait rien pour les pédopsychiatres, les médecins généralistes, les éducateurs... Or, il y a une urgence", précise-t-il. "Éco-anxiété, changement climatique et santé mentale" offre donc aux praticiens, quelle que soit leur spécialité, un tour d'horizon des connaissances théoriques actuelles autour des défis posés par le changement climatique et la crise écologique sur la santé mentale, assorties de recommandations pratiques de prise en charge. Une série d'intervenants de divers horizons géographiques et professionnels y partagent leur expertise sur les impacts directs et indirects du changement climatique sur la santé mentale, sur l'éco-anxiété et les autres émotions ressenties face aux défis climatiques (éco-émotions), sur les recommandations de prévention et d'intervention individuelle et communautaire auprès des populations à risque, sur les prises en charge des personnes souffrant d'éco-anxiété invalidante et sur le rôle des contextes familiaux, locaux, culturels et historiques sur ces interventions. Enfin, un large chapitre s'attarde sur les approches nouvelles centrées autour de l'environnement et du lien avec le vivant telles que l'activité physique en espace naturel ou leur simple fréquentation et l'écothérapie. "Cette troisième partie s'intéresse à un sujet émergent", commente Alexandre Heeren. "Il y a plein de nouvelles pistes importantes en termes de prévention mais aussi de réduction de l'éco-anxiété et de participation à la protection de l'environnement. Par exemple, Paquito Bernard et son équipe à Montréal remobilisent les personnes déprimées en déployant davantage la mobilité douce (vélo, transports en commun...), ce qui a un effet bénéfique sur la réduction des gaz à effet de serre et sur la santé. Chez les personnes hospitalisées, cela accélère parfois la remise sur pied, la sortie, et maintient les bénéfices au long cours. Dans un hôpital psychiatrique, ce chercheur a ainsi créé un potager pour pousser les patients à aller dehors, à être en contact avec la nature. Cette approche permet aussi de favoriser le lien social, de réapprendre à s'organiser, de lutter contre l'inactivité, ce qui est essentiel dans la dépression... Il y a des effets bénéfiques en cascade. Le Pr Bernard donne des pistes pour aider les praticiens dans la mise en place d'activité physique en espace naturel auprès de leurs patients.""Une autre piste simple pour les médecins généralistes consiste à inviter les gens qui sont en transport en commun, à descendre trois arrêts avant, à passer par un parc pour marcher... c'est bénéfique pour les patients au long cours et aussi pour la cause environnementale. Ce sont des petites recommandations mais qui peuvent avoir un impact considérable. C'est important, on a des problèmes de santé publique et d'économie de la santé, et des choses extrêmement simples à mettre sur pied sont bénéfiques et porteuses pour le futur", indique-t-il. L'écothérapie est actuellement en plein développement. Ce terme englobe l'hortithérapie (recours au jardinage et aux plantes dans un but thérapeutique), l'agriculture de soin, les thérapies assistées par l'animal, la sylvothérapie, la thérapie de pleine conscience en nature, la thérapie en marchant, l'écopsychothérapie, l'orothérapie (ressources de la montagne)... "Dans la littérature scientifique, beaucoup de choses émergent sur ce sujet. On a fait un état des lieux succinct de ce qui est validé et testé, on donne quelques pistes d'exercices et les limites, il ne faut pas exagérer non plus les bienfaits de la nature. Les prescriptions de nature ne sont pas encore bien documentées: on sait que la nature a des bienfaits, mais on n'a aucune explication précise du mode d'action", met en garde le psychologue. Enfin, le dernier chapitre rédigé par l'ASBL Écotopie, un laboratoire d'écopédagogie, entend accompagner et penser les éco-anxiétés et invite à voir le problème dans sa dimension complexe et systémique. Alexandre Heeren termine cet ouvrage collectif en plaidant pour une approche 'One Health' de la santé mentale. "Il était important de conclure en disant qu'il faut changer de paradigme, c'est une opportunité. Comme le disait Winston Churchill, 'On ne gaspille pas une bonne crise'. La santé en général, et la santé mentale en particulier, est à un tournant. On a un problème de santé publique assez important, on est sous-financé, les soignants sont épuisés avec des taux de burn out spectaculaires, il est compliqué d'accéder à des soins de santé mentale de qualité, les listes d'attente sont parfois longues, c'est cher... et d'un autre côté, il y a une crise économique et écologique. 'One Health' a été appliqué à la pandémie, mais ici, c'est aussi une opportunité de ralentir le rythme, de voir les choses différemment. On peut agir sur la qualité de l'alimentation, verduriser l'espace public... Plein de pistes sont encore en germe qui pourraient être bénéfiques pour tout le monde.""Au fil des pages, on découvre donc que la crise écologique peut, en soi, constituer une véritable opportunité d'accompagner le secteur de la santé mentale vers une transition, non seulement écologique, mais aussi plus égalitaire, solidaire, juste, et surtout existentiellement soutenable tant pour les soignants que les soignés", insiste-t-il. "Promouvoir des soins ancrés plus localement, davantage en phase avec le vivant et centrés sur le collectif plutôt que sur l'individu, sont autant de leviers de transformation de notre système de soins de santé mentale que de véritables embryons des scénarios des transformations nécessaires de notre société.""À l'aube de cette transformation écologique des soins de santé mentale, le défi le plus urgent est aujourd'hui de conscientiser et de former les professionnels de la santé mentale à l'hétérogénéité de ces enjeux et ces possibilités", conclut-il. "Au-delà de l'éco-anxiété, on ne se rend pas toujours compte des impacts directs du dérèglement climatique. Valence vient de nous le rappeler, mais on l'a déjà vu en Belgique lors des inondations. Le Giec atteste de l'augmentation de l'intensité et de la fréquence des événements climatiques extrêmes et les psychiatres, notamment urgentistes, ont des sueurs froides. Ils ne sont pas prêts, les urgences psychiatriques sont des services relativement petits qui n'ont pas une capacité d'absorption aussi grande. Les pompiers, les ambulanciers, ne sont pas non plus armés pour les aspects de santé mentale, or ces événements vont se multiplier. Il y a donc là un enjeu de formation dont on n'a pas encore saisi toute l'ampleur. Le plus important est la formation du personnel médical et paramédical".Ce guide pratique et concis est une bonne entrée en matière pour s'informer, se former et pour pouvoir ensuite encourager les patients et intervenir.