Échapper à un procès pour tentative de meurtre sur trois policiers en obtenant l'euthanasie sous prétexte que sa vie est un enfer après avoir été lui-même touché par balle et paralysé? C'est ce qu'a réussi à obtenir Marin Eugen Sabau la semaine passée. Jacqueline Herremans (ADMD) rappelle que le seul véritable droit dont un prévenu est privé est la liberté. Il jouit de tous ses autres droits politiques, civils et des mêmes soins de santé...
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"En accord avec la réalisation de l'euthanasie prévue aujourd'hui (mardi 30 août, ndlr), monsieur Marin Eugene Sabu est mort à 18h30 (16h30 GMT) à l'hôpital de Terrassa", dans le nord-est de l'Espagne, a annoncé son avocat dans un communiqué. Marin Eugen Sabau, 46 ans, agent de sécurité roumain, avait tiré en décembre sur trois collègues ainsi qu'un policier, faisant plusieurs blessés mais aucun mort, à Tarragone avant d'être lui aussi atteint par un tir à la colonne vertébrale qui l'avait laissé paralysé. Celui que la presse espagnole a surnommé "le tireur de Tarragone" disait avoir agi car il vivait "un enfer" au travail et accusait ses patrons de racisme. Il était depuis alité à l'hôpital pénitentiaire de Terrassa, près de Barcelone, et réclamait le droit de mourir pour abréger ses souffrances. "Je suis paraplégique", se plaignait-il. "J'ai 45 points de suture à la main. Je ne peux pas bouger le bras gauche. J'ai des vis (dans le corps) et je ne sens plus ma poitrine", alors qu'un juge tarragonais avait penché en sa faveur. Le tribunal ne s'était pas opposé à sa demande d'euthanasie début juillet étant donné que le droit de mourir est un "droit fondamental" et que la loi qui dépénalise l'euthanasie en Espagne vaut également pour les personnes en détention provisoire faisant l'objet de poursuites judiciaires. Les parties civiles souhaitaient au contraire un procès "afin que l'accusé puisse indemniser les victimes". Ainsi s'exprime l'avocat des deux policiers blessés par balle, José Antonio Bitos: "Nos clients ont un sentiment de frustration: on a laissé une personne décider quand et comment elle en finissait avec les poursuites judiciaires."Bien entendu, Me Bitos ne s'oppose pas au droit à l'euthanasie mais au fait qu'il soit exercé avant le procès qui prive ainsi ses clients de voir leur bourreau sur le banc des accusés. Une des conséquences est en effet de priver, non pas ses clients qui sont indemnisés parce que blessés en service par leur administration mais les autres victimes de la fusillade (qui a eu lieu pendant la course-poursuite contre le prévenu) qui sont ainsi privés de tout droit à une indemnisation, selon les parties civiles. La loi autorisant l'euthanasie est entrée en vigueur le 25 juin 2021 en Espagne, en faisant le quatrième pays européen à l'avoir dépénalisée, après les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Jacqueline Herremans, présidente de l'Association pour le Droit de mourir dans la dignité (ADMD), n'est pas particulièrement choquée par ce fait divers, qui pourrait du reste se passer en Belgique. "Il y a eu il y a quelques années en Belgique une polémique à propos de détenus qui avaient demandé l'euthanasie. Certains s'étaient émus qu'ils puissent ainsi d'échapper à leur peine de prison. Ils estimaient si mon souvenir est bon qu'il fallait s'y opposer afin que les condamnés purgent d'abord leur peine jusqu'au terme... Certains avaient osé faire une analogie avec la peine de mort."Me Herremans rappelle que les détenus, en démocratie, ne sont privés que d'un seul droit: la liberté. "Ce principe a été reconnu par la Loi du 12 janvier 2005: principes concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus (Art. 6. § 1er). Le détenu n'est soumis à aucune limitation de ses droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que les limitations qui découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté, celles qui sont indissociables de la privation de liberté et celles qui sont déterminées par ou en vertu de la loi."Puisque l'euthanasie appartient aux soins de santé, s'agissant de ceux-ci c'est le chapitre VII de la loi sur la protection de la santé (art. 88) qui précisent que le détenu a droit à des soins de santé qui sont équivalents aux soins dispensés dans la société libre et qui sont adaptés à ses besoins spécifiques. "Si le détenu, que ce soit sous le régime de la détention préventive ou à la suite d'une condamnation remplit les conditions imposées par la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, aucun élément extérieur, étranger à sa demande d'euthanasie ne doit être pris en compte." Il est donc "euthanasiable". Si on sort du champ de la détention, à titre d'exemple, se demande Me Herremans, "pourrait-on imaginer qu'un créancier d'aliments s'oppose à la demande d'euthanasie de son débiteur voire qu'un proche s'oppose à la demande d'euthanasie d'un pensionné pour un motif non avoué: la fin du versement d'une pension intéressante dont il profitait indirectement? Je suis par ailleurs quelque peu étonnée par la justification donnée par les parties civiles: l'euthanasie les priverait de toute indemnisation. Si le droit positif espagnol est semblable au nôtre, si les poursuites pénales s'éteignent avec la mort du "présumé coupable" (rappelons la présomption d'innocence), les actions civiles restent envisageables. Et si la faute est démontrée, une action en indemnisation du dommage subi en relation avec cette faute reste possible avec la possibilité de saisir le patrimoine laissé par le défunt. Et soit dit en passant, en l'absence de patrimoine, les victimes n'auraient eu aucun espoir de récupérer quoi que ce soit: le travail des détenus en prison est tout sauf lucratif..."