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Né à Dour en 1937, Jean Cauderlier reste pourtant très contemporain, comme si l'attrait pour l'art le préservait du passage des années. Il en va de même pour Thérèse, son épouse depuis 57 Ans. Médecin généraliste, Jean a toujours exercé dans la région de Baudour jusqu'à l'âge de sa retraite, à 80 ans. La passion pour l'art se développe chez lui dès l'enfance. "Après la guerre, mon père étant garagiste, nous avions le privilège d'avoir une automobile. Et le dimanche, nous faisions des excursions qui nous menaient souvent au littoral en passant par Bruges. Nous nous y arrêtions pour nous rendre à la messe à l'église Notre-Dame et en profiter pour admirer le tombeau de Marie de Bourgogne et surtout la statue de la Vierge de Michel-Ange, la seule sculpture de ce génie présente sur le sol belge." Et le médecin d'ajouter en souriant: "cette messe était en fait le prétexte pour revoir le Michel-Ange."A l'époque déjà, le jeune garçon collectionnait les calendriers avec reproductions de peintures offerts par les banques ou la poste, qu'il collait ensuite sur du papier noir dans des fardes. "Et puis j'ai eu la chance en cinquième secondaire d'avoir un prof qui nous enseignait l'histoire de l'art. Ce n'était pas dans le programme, mais il donnait une heure supplémentaire par semaine, en début d'après-midi. Il accrochait dans la classe des reproductions sous verre qu'il changeait chaque semaine. Grâce à lui, je me suis familiarisé avec l'histoire de l'art, depuis l'Antiquité jusqu'aux impressionnistes." Jean opte tout de même pour l'art... de guérir, par idéalisme précise-t-il. Il souhaitait être médecin dans un sanatorium, car il avait connu en classe des condisciples victimes de la tuberculose, certains de ses copains s'absentant parfois un an, voire deux. Jean opte finalement pour la médecine générale, les sanatoriums disparaissant au cours de ses années d'études suite aux progrès médicaux. Ce qui ne l'empêche pas de commencer à fréquenter les expositions. "En 58, lors de l'Expo universelle, je découvre le pavillon "50 ans d'art moderne". Ce fut une révélation: les futuristes, Matisse, de Chirico, Picasso, Delvaux, Malevitch, le suprématisme... Ma première grande exposition: j'avais 21 ans."Une épiphanie... même si elle ne débouche pas encore sur l'entame d'une collection. Passant pour un original parmi les étudiants, notre amateur continue vaille que vaille à fréquenter les expositions, mais sans négliger des études prenantes et qu'il termine brillamment. "Thérèse que j'ai rencontrée à l'hôpital Pont-Canal de Mons aujourd'hui disparu, sans jamais la croiser à Louvain où elle poursuivait pourtant au même moment des études d'infirmière, est devenue mon épouse. Nous nous sommes mariés en novembre, et au cours de notre voyage de noces sur la Côte d'Azur, nous sommes allés à Vence voir la chapelle de Matisse, au restaurant La Colombe le rendez-vous des artistes, à la Fondation Maeght, et visiter l'atelier Madoura à Vallauris afin de ramener quelques souvenirs."Se faisant, ils acquièrent une assiette signée Picasso qui fut le point de départ de leur collection. "Même jeunes mariés, nous pouvions à l'époque nous permettre d'acheter une telle oeuvre, ce qui serait impensable aujourd'hui. Et c'est dommage pour l'art regrette-t-il qui devient inaccessible pour les vrais amateurs et un paradis pour les investisseurs- spéculateurs".L'assiette trône toujours...dans la cuisine! "Car c'est sa place finalement", s'esclaffe Jean. S'installant dans son nouveau cabinet, le médecin généraliste a très vite la chance de rencontrer au cours de sa vie professionnelle, un jeune artiste local: Christian Rolet. Un patient qui devint rapidement un ami. Admiratif, le médecin n'est en rien un artiste frustré, son art à lui étant celui de la contemplation plutôt que de la création... qui l'éblouit. Surtout, il avoue apprécier par-dessus tout les 60 premières années du 20e siècle. "C'est à ce moment que toutes les découvertes ont jailli dans l'art contemporain. Aujourd'hui l'on fait de très belles choses, mais sans explorer de voies nouvelles..." Ce qui n'empêche pas Jean Cauderlier de se dire attiré par l'oeuvre contemporaine de Fabrice Samyn, découvert il y a trois-quatre ans de cela à la galerie Meessen De Clerq de Bruxelles. Sa collection, il l'a débutée en faisant les galeries bruxelloises et aussi parisiennes. Et à 84 ans, Jean se montre toujours aussi passionné. "Je lis Artpress depuis toujours ", précise fièrement le praticien à la retraite. Son choix ne se porte d'ailleurs pas forcément sur des artistes belges, car il fonctionne uniquement par coup de coeur ... Mais ceci sans jamais mettre en péril le budget du ménage qui comptait quatre enfants "dont il fallait payer les études et pas celles de Picasso...", précise-t-il en riant. Laquelle progéniture s'intéresse à l'art, mais sans plus, gardera certainement la collection, mais sans l'étendre. Le virus est transmis, pas la fièvre... Le vieux couple lui se rend encore souvent à Bruxelles, notamment à la Patinoire Royale, chez Templon, Baronian, ou Rodolphe Janssen... Il fréquente chaque année Art Brussels, la Brafa, le Brussels Art Gallery Week-end. "Mais je n'en reviens pas systématiquement avec une oeuvre", ajoute Jean goguenard. Son dernier achat? Kiki Crevecoeur. Évidemment, l'on est curieux de connaître son avis sur l'art contemporain belge actuel... "Il faut que je ressente une émotion comme dans le cas de Fabrice Samyn. L'art conceptuel ne m'intéresse pas tellement. C'est d'abord la peinture: les couleurs, un certain nombre assemblé sur une surface plane comme le proclamait le peintre Maurice Denis. Ce qui m'a subjugué chez Fabrice Samyn ce sont les douze globes bleus: la couleur, mais le monochrome m'intéresse comme dans le cas de Marthe Wéry."Quant au lien entre médecine et art contemporain, après réflexion, Jean Cauderlier assène que la médecine est une science de l'homme, de l'être, de l'âme. La peinture touche autant à ces trois concepts: le lien est donc à ses yeux étroit. Impossible enfin d'abandonner Jean Cauderlier à la contemplation de ses oeuvres sans lui demander quel artiste en particulier il regrette de ne pas croiser dans sa collection: "Le plus contemplatif à mes yeux, c'est Rothko. Mais en avoir un chez moi, c'est évidemment inimaginable!" (rires)