...

Surenchère aidant, outre les triathlons, pentathlons et autres heptathlons, la course vers l'extrême a pris récemment la forme de l'ultra-trail, qui concerne des distances allant jusqu'à 160 km environ (100 miles), voire plus. Avec quel impact possible sur la santé? C'était le sujet du 10ème colloque SportS2 (Service pluridisciplinaire - orthopédie, rééducation, traumatologie - Santé du Sportif), qui s'est tenu au CHU de Liège le 8 octobre dernier. Le Pr Thierry Bury, pneumologue, a d'abord précisé les exigences physiologiques de l'ultra-trail. Une chose est sûre: "l'ultra-endurance" ne s'improvise pas. Outre le matériel et la stratégie nutritionnelle, le sport extrême réclame un profil physiologique adapté (la génétique y tient un rôle important, notamment sur le plan de la VO2max, alias consommation maximale d'oxygène), des capacités mentales particulières (haute tolérance à la douleur, notamment), une excellente méthodologie d'entraînement bien guidé (avec l'intérêt de varier les sports pratiqués) et une stratégie de récupération adéquate. Dans des épreuves d'aussi longues durées, la voie métabolique aérobie est prépondérante, nécessitant un apport important d'énergie, tandis que la voie anaérobie impliquant l'acide lactique perd de l'importance dès que la distance d'une course dépasse environ 400 m. Plus encore: l'énergie sera principalement fournie par les triglycérides corporels. Et ce n'est pas étonnant, lorsqu'on sait qu'une épreuve d'ultra-endurance réclame entre 8.000 et 12.000 kcal/jour, selon le type d'épreuve. Faute d'un stockage physiologique suffisant de glucides, équivalant à maximum 4.000 kcal environ, l'organisme doit s'appuyer sur des apports réguliers et sur le stock d'énergie disponible sous forme lipidique, qui avoisine habituellement les 100.000 kcal chez une personne normopondérale. Sur le plan cardio-vasculaire, la tolérance est bonne en ultra-endurance, avec une fréquence cardiaque généralement comprise entre 150 et 170 battements/minute. Le Pr Arnaud Ancion, chef de clinique de cardiologie au CHU de Liège, rappelle qu'au cours des efforts importants, le coeur subit des contraintes élevées mais inégales: si elles sont in fine peu marquées pour le ventricule gauche, elles le sont nettement plus pour le ventricule droit. Dans ce dernier, la pression augmente fortement par rapport à celle de départ, ce qui augmente son volume et peut le fragiliser. Sa capacité contractile après un effort prolongé est altérée lors d'un nouvel effort, mais cet impact négatif disparaît après quelques jours, et il n'y a donc généralement rien de particulier à craindre. Quant à la cardiomyopathie adaptative d'effort ("coeur d'athlète"), avec une hypertrophie harmonieuse des quatre cavités et une capacité de remplissage plus élevée, elle apparaît généralement après plusieurs mois d'entrainement suffisamment intense. Tout n'est pas rose cependant: "On découvre de plus en plus de cas de toxicité cardiaque en cas d'excès, dont des troubles du rythme faisant suite au développement de lésions fibreuses", explique Arnaud Ancion. Il s'agit le plus fréquemment de fibrillation auriculaire mais, d'après le spécialiste, le stress oxydatif l'induit tout aussi fréquemment chez les personnes sédentaires. Au bilan, il est encore difficile d'affirmer que le remodeling cardiaque observable en ultra-endurance est favorable ou pas. Les big data et leur analyse devraient progressivement aider à y voir clair. Dans le même ordre d'idées, il a été observé que les athlètes présentent plus de coronaires calcifiées mais avec des plaques plus stables et moins de risques d'infarctus, pour des raisons encore peu claires. Enfin, le coeur des femmes pratiquant l'ultra-endurance semble mieux protégé que celui des hommes. L'explication de cette particularité pourrait ne pas être qu'hormonale. Sur le plan locomoteur, les forces d'impact vertical lié à la course (jusqu'à 6 fois le poids du corps) s'associe au stress mécanique pour entraîner un certain degré d'adaptation des tissus biologiques impliqués. Au-delà, diverses lésions et pathologies peuvent survenir, notamment lorsque la fréquence hebdomadaire d'entraînement est trop élevée. Par contre, de nombreux déterminants supposés (comme le stretching, par exemple) ne sont pas démontrés scientifiquement et présentent une grande variabilité individuelle, explique Bernard Godon, spécialiste en médecine physique et grand pratiquant de l'ultra-trail. Les pathologies de l'appareil locomoteur rencontrées le plus fréquemment sont le syndrome fémoro-patellaire, les tendinopathies rotulienne et achilléenne, les fractures de fatigue, la périostite tibiale, l'aponévrosite plantaire et les diverses lésions cutanées et unguéales des pieds. Finalement, les compétitions extrêmes comme l'ultra-trail sont-elles bénéfiques ou néfastes pour la santé? Il y a trop de paramètres pour être affirmatif dans un sens ou dans l'autre. En termes de bénéfices, les pratiquants évoquent souvent le goût de l'effort et de l'accomplissement physique, les longs moments qui favorisent l'introspection, la sensation de se retrouver au coeur de la nature, le tourisme et les rencontres avec d'autres compétiteurs et leur entourage.SportS2 est une entité de l'Université de Liège et de son CHU, qui regroupe des médecins et des paramédicaux spécialisés dans le sport et ses pathologies, y compris la prévention et l'optimisation des performances. À ce titre, elle développe une expertise dans le domaine des connaissances médicales liées au sport, ainsi qu'aux différentes possibilités thérapeutiques des lésions liées à l'activité physique intensive.