...

Philippe Leroy, directeur général du CHU Saint-Pierre : " Gustave Derscheid (1871-1952) est un médecin qui a incarné son siècle à travers un combat contre une maladie impitoyable, la tuberculose (TBC). C'est aussi un entrepreneur qui a usé d'ingéniosité et d'entregent pour faire sortir de terre un des premiers sanatoriums du pays (en forêt de Soignes, ndlr). Un pionnier, un humaniste et, pendant la guerre, un résistant. On n'aurait pas pu trouver meilleur patronage pour notre unité qui ouvre une nouvelle page de l'histoire déjà riche du CHU Saint-Pierre (Bruxelles). Les tuberculeux étaient autrefois rejetés en dehors des villes. Aujourd'hui, grâce aux progrès de la médecine, nous pouvons les soigner au coeur de la cité et de notre hôpital : cette ouverture est donc déjà en soi une victoire ! " Et le Dr Marie-Christine Payen, responsable de l'unité Derscheid et cheville ouvrière du projet de préciser : " Le Lancet1 vient de publier un éditorial rappelant que la tuberculose est la maladie infectieuse la plus fréquente et la plus mortelle, avec plus de 1,5 million de décès par an, dont beaucoup d'enfants. "En Belgique, on retrouve 8,6 cas de TBC/100.000 habitants (2017). " Dans notre pays, il n'y a pas de recrudescence, la TBC diminue chaque année, même si on stagne à 900-1000 nouveaux cas par an ", poursuit-elle. Par contre, la situation est préoccupante dans les villes de Bruxelles, Liège et Anvers où il y a une augmentation du nombre de cas et une modification du profil des personnes atteintes."Ces patients font en effet partie d'une population défavorisée : sans domicile fixe, immigrés récents, demandeurs d'asile, personnes en provenance de pays endémiques où la TBC est multirésistante. On dénombre 10-15 cas/an de formes multirésistantes en Belgique. " Cette année, on en compte déjà dix et cette problématique ne concerne pas que les migrants mais aussi les voyageurs. Par ailleurs, les formes multirésistantes doivent être traitées plus longtemps avec des médicaments potentiellement plus toxiques. Avec un risque d'échappement au traitement et de manque de compliance ", note-t-elle.Le CHU Saint-Pierre est un lieu historique d'accueil des maladies infectieuses et notamment de la tuberculose, surtout les formes multirésistantes. " Actuellement, il y a une unité de 15 lits avec environ 100% d'occupation liée à la tuberculose, avec débordement vers d'autres unités. La durée de séjour moyen est de 26 jours, surtout pour la période contagieuse. Le maintien en isolement respiratoire dans un service aigu est difficile, tant pour les patients que pour le personnel soignant, d'où l'idée de créer une unité pilote spécifique, à Bruxelles, ici à Saint-Pierre ", explique le Dr Payen.Le nouveau centre cible donc les patients qui doivent être isolés : TBC multirésistantes, TBC pulmonaire avec contagiosité prolongée mais état clinique stable et les échecs de traitement ambulatoire liés à la précarité.Pour la responsable de la nouvelle unité, les conditions indispensables à un traitement antituberculeux de qualité comprennent une hospitalisation initiale permettant un encadrement médical adéquat et une éducation thérapeutique, et une phase ambulatoire avec un soutien psychosocial et des conditions de vie correctes.L'unité Gustave Derscheid a donc été conçue dans le respect des normes internationales pour les infections à transmission aérienne, tout en aménageant des espaces de vie humanisés. Ainsi, l'unité de dix lits se déploie sur deux étages reliés par un ascenseur propre : le premier est divisé en deux couloirs accueillant d'un côté les personnes souffrant d'une TBC multirésistante et de l'autre d'une TBC sensible ; le deuxième étage est occupé par les salles dédiées aux activités récréatives et psycho-éducationnelles (bibliothèque, ordinateurs, ergothérapie, sport...) et par une terrasse.L'ambition des responsables de cette unité est en effet de mettre ces longs séjours à profit pour contribuer à la réinsertion sociale des patients (développement des compétences, cours d'alphabétisation...). Ils espèrent également que la possibilité qui leur est donnée de pouvoir se balader sur deux étages soulagera les contraintes inhérentes à l'isolement.La réflexion qui a présidé à l'élaboration de ce projet n'a pas fait l'économie des questions relatives à l'éthique, à l'enfermement et à la privation de liberté. " Ce centre est un projet éthiquement humain qui s'inscrit dans notre logique belge. Ce n'est pas le retour des sanatorium ! Saint-Pierre concentre les patients à risque depuis des années et il faut remercier toutes les équipes parce que ce n'est pas évident de côtoyer des patients multirésistants. Le Dr Derscheid serait fier de voir qu'on a adapté son travail aux nécessités du temps ", se réjouit le Pr Jean-Paul Van Vooren, président du Fares." Je suis très fier que le Service des maladies infectieuses élargisse son champ d'activités. Ce n'est en effet pas la réouverture d'un sanatorium, c'est une autre vision de la prise en charge des personnes souffrant de tuberculose. Nous voulons construire pour chaque patient un projet de vie, avec une dimension d'éducation et de réadaptation, dans une population défavorisée et en décrochage social ", conclut le Pr Stéphane De Wit, chef du service des maladies infectieuses.