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Il n'est pas rare qu'un traumatisme crânien soit à l'origine de lésions cérébrales baptisées traumatic brain injuries (TBI), lesquelles peuvent affecter les neurones et la glie d'une ou plusieurs régions cérébrales. En fonction de la localisation des dommages, différents types de séquelles neuropsychologiques pourront apparaître. Mais d'autres séquelles, aux conséquences tout aussi délétères, peuvent s'y s'ajouter : des déficiences endocriniennes post-traumatiques dont l'histoire de la médecine retiendra que la fréquence et l'impact sur la santé sont largement passés inaperçus jusqu'au début du 21e siècle.Une étude épidémiologique menée dans 13 pays européens et publiée en 2006 dans Acta Neurochir (Wien) évalue à 235 cas sur 100 000 individus l'incidence annuelle du TBI. C'est le tribut à payer aux accidents de la route et du travail, aux chutes chez les seniors et, dans une moindre mesure, aux sports de combat. En outre, les soldats au front constituent une population à risque de TBI en raison des ondes de choc engendrées par les explosifs. " À ce jour, il n'existe qu'une seule étude sur le sujet. Datant de 2013, elle émane de chercheurs anglais et montre, au sein d'un échantillon de 19 militaires ayant été proches d'une explosion, une prévalence de 32% d'hypopituitarisme ", indique Hernan Valdes-Socin, chargé de cours adjoint à l'Université de Liège et chef de clinique au sein du service d'endocrinologie du docteur Albert Beckers, au CHU de Liège.Dans un travail de 2015 répertorié en Annales d'Endocrinologie, Hernan Valdes-Socin et ses collaborateurs se sont intéressés à 65 patients avec TBI. Il apparut que 23 d'entre eux, soit 35%, étaient en proie à des troubles neuroendocriniens isolés ou combinés. Furent ainsi enregistrés 15 cas de troubles somatotropes, sept de troubles gonadotropes, sept de troubles corticotropes, un d'hypo-prolactinémie et un de diabète insipide. En fonction des études et des tests utilisés, on constate une certaine variabilité dans la prévalence des différentes séquelles neuroendocriniennes de TBI. Toutefois, il apparaît que les déficits les plus fréquents touchent, dans l'ordre, l'hormone de croissance (GH), les gonadotrophines - hormones lutéinisante (LH) et folliculostimulante (FSH) -, l'hormone corticotrope (ACTH) et la thyréotrophine (TSH). Plus occasionnellement, on observe une carence en prolactine (PRL) ou en hormone antidiurétique (ADH). " Que l'hormone de croissance soit la plus touchée peut sans doute s'expliquer par le fait que les cellules qui la produisent représentent environ la moitié des cellules de l'hypophyse et sont situées en abondance dans sa partie latérale " commente le docteur Valdes-Socin.Le dysfonctionnement neuroendocrinien décrit dans les cas d'hypopituitarisme peut trouver son origine dans des lésions de noyaux hypothalamiques, dans une section partielle ou totale de la tige hypophysaire (rupture des axones des cellules de l'hypothalamus transmettant l'influx nerveux à la partie postérieure de l'hypophyse), ainsi que dans une nécrose de l'antéhypophyse. Ces différentes causes peuvent évidemment se combiner.En 2014, la revue Critical Care Medicine a publié les résultats d'une méta-analyse canadienne reposant sur 66 études rétrospectives et prospectives incluant 5.386 patients adultes avec TBI, présentant un ou plusieurs dommages au niveau de l'hypophyse antérieure. Il ressort de ces travaux qu'un tiers des patients étaient atteints d'un déficit neuroendocrinien. Les principaux facteurs de risque conduisant à l'hypopituitarisme étaient la sévérité des lésions cérébrales, une fracture du crâne et l'âge avancé des sujets. Par ailleurs, selon une méta-analyse publiée en 2015 dans Archives of Disease in Childwood, 15% des enfants souffrent d'hypopituitarisme à la suite d'un TBI, ce qui fait de la population pédiatrique une autre population à risque de déficits neuroendocriniens.L'hypophyse antérieure sécrète notamment l'hormone de croissance (GH), qui stimule la production d'IGF-1 par le foie, la prolactine (PRL), la thyréotrophine (TSH), qui stimule la production de thyroxine (T4) par la thyroïde, l'hormone corticotrope (ACTH), qui stimule la production de cortisol par les glandes surrénales, ainsi que les hormones lutéinisante (LH) et follicu-lo-stimulante (FSH), qui stimulent la production de testostérone et d'oestrogènes par les gonades. L'hypophyse postérieure, elle, libère l'hormone antidiurétique et l'ocytocine, lesquelles sont sécrétées par les noyaux paraventriculaire et supraoptique de l'hypothalamus.Selon la nature des déficiences neuroendocriniennes observées, quelles sont les conséquences d'un hypopituitarisme, en l'occurrence consécutif à un TBI ?Si la déficience est somatotrope, le tableau clinique s'exprime principalement à travers une perte musculaire et de masse osseuse, un accroissement du tissu adipeux, une asthénie, de la fatigue, un risque d'ostéoporose, un risque cardiovasculaire accru et l'augmentation subséquente de la mortalité qui y est liée.Lorsqu'elle est chronique, la déficience thyroïdienne centrale, elle, a pour principaux corollaires la fatigue, la frilosité, une sécheresse cutanée, de la constipation, des troubles de l'humeur et de la mémoire, de l'irritabilité ou encore une irrégularité menstruelle.Hypotension, fatigue, faiblesse musculaire, tendance à l'hypoglycémie, dépression, irritabilité, vulnérabilité au stress, pertes de mémoire sont les principaux attributs de la déficience corticotrope partielle ou totale. " En cas d'insuffisance surrénalienne aiguë (crise addisonienne), les patients avec traumatisme crânien ou hémorragie cérébrale ne répondent guère aux mesures habituelles de réanimation ", indique par ailleurs le docteur Valdes-Socin. Et de préciser dans un article paru en 2009 dans la Revue Médicale de Liège : " Si ce déficit est reconnu à temps par le praticien, réanimateur, anesthésiste ou neurochirurgien, alors une prompte administration de corticoïdes s'accompagne d'une récupération hémodynamique du patient. "Chez les femmes comme chez les hommes, la déficience gonadotrope centrale entraîne une perte de libido et une atrophie progressive des ovaires ou des testicules. S'ensuit une impuissance chez l'homme et une aménorrhée chez la femme. On peut également relever de la fatigue, de la dépression et une réduction de la masse musculaire. À terme se profile le spectre de l'infertilité et de l'ostéoporose.Le déficit en prolactine, quant à lui, a pour seule conséquence dommageable l'impossibilité de la lactation chez la femme. Aussi est-il peu recherché en clinique.Dans une minorité de cas, le TBI débouche sur un diabète insipide en raison de la section partielle ou totale de la tige hypophysaire à la suite d'une fracture à la base du crâne. Dans un premier temps se développe généralement un syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique (SIADH) induite par un relargage hormonal de l'hypophyse postérieure. Dans un deuxième temps apparaît un diabète insipide causé par l'absence de sécrétion d'hormone antidiurétique. " Le SIADH occasionne une hyponatrémie, principal facteur de risque de destruction neuronale, tandis que le diabète insipide, par l'hypernatrémie qui lui est associée, nuit au bon fonctionnement des neurones et à l'établissement de connexions efficaces entre eux, ce qui est à l'origine de troubles cognitifs et peut favoriser de graves troubles de la conscience coma ", souligne Hernan Valdes-Socin.Encore trop souvent méconnus des praticiens, les effets neuroendocriniens des traumatismes crâniens nécessitent d'être recherchés et de faire l'objet d'une prise en charge adaptée. Nous en parlerons dans notre prochain numéro.