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La prévalence de l'hypopituitarisme consécutif à un traumatisme crânien à l'origine d'un TBI (traumatic brain injury) a été très longtemps sous-estimée. Lorsque des lésions touchent l'hypothalamus, l'anté-hypophyse ou, par le biais d'une section partielle ou totale de la tige hypophysaire, l'hypophyse postérieure, le patient peut présenter un tableau de déficiences neuroendocriniennes de nature somatotrope, thyroïdienne, corticotrope, gonadotrope, lactotrope ou encore un diabète insipide occasionné par un déficit sécrétoire de l'hormone antidiurétique (ADH).Les troubles qui en résultent peuvent parfois être très sévères et dans la phase aiguë d'un TBI, par exemple, engager le pronostic vital, en particulier en cas d'insuffisance surrénalienne.Le TBI est encore trop souvent appréhendé à travers ses seules séquelles physiques, psychosociales et cognitives, au mépris de ses séquelles endocriniennes. Pour montrer le chemin qu'il reste à accomplir, le docteur Hernan Valdes-Socin, chargé de cours adjoint à l'Université de Liège et chef de clinique au sein du service d'endocrinologie du professeur Albert Beckers, au CHU de Liège, cite le cas d'un triathlète de 22 ans victime d'un TBI après avoir été fauché par une voiture alors qu'il roulait à vélo. "Ce patient avait connu de multiples hospitalisations alors qu'il était en revalidation, mais son état demeurait très insatisfaisant", rapporte-t-il. " Deux ans après l'accident, demande nous fut adressée de procéder à une évaluation endocrinienne parce qu'il avait une hypotension rebelle. Par ailleurs, on observait une diminution drastique de sa pilosité. Il apparut qu'il souffrait d'un déficit en hormone de croissance, en testostérone et en hormone corticotrope. Bref, il présentait un hypopituitarisme dû à un dysfonctionnement de l'hypophyse antérieure. Après substitution hormonale, son état s'améliora. "Voilà qui plaide en faveur d'une approche multidisciplinaire du TBI, à laquelle serait systématiquement associé un endocrinologue dès que le patient a été victime d'un traumatisme modéré à sévère selon l'échelle de Glasgow, indicateur le plus usité de l'état de conscience. Ainsi que le souligne le docteur Valdes-Socin, une insuffisance hypophysaire doit toujours être suspectée lorsque survient un traumatisme crânien d'une certaine sévérité, telle qu'évaluée par l'échelle de Glasgow. À ce propos, il écrivait, dans un article publié en 2009 dans la Revue Médicale de Liège, qu'il serait erroné de " considérer comme "syndrome postcommotionnel" la symptomatologie insidieuse des anomalies endocriniennes s'exprimant par de l'asthénie, une perte de libido, une dépression, une perte musculaire, etc. ". Et de préciser que l'hypopituitarisme peut déterminer une aggravation de l'état psychique et physique des patients concernés, lequel, indiquet-il, " est potentiellement réversible après une substitution adéquate des différentes lignées hypophysaires atteintes ".En phase aiguë d'un TBI, il est cependant difficile de démêler l'écheveau. Car toute la question est de savoir quand les déficits neuroendocriniens constatés résultent du traumatisme lui-même ou d'interactions médicamenteuses liées à la prise en charge du patient en service de réanimation - anesthésiques, antidouleurs, médicaments de régulation de la tension artérielle... Néanmoins, dépister un éventuel déficit corticotrope est vital, de même qu'identifier et traiter de façon idoine les phénomènes de dysnatrémie. En effet, en cas de section de la tige hypophysaire, se manifestent d'abord une hyponatrémie (syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique - SIADH) et ensuite une hypernatrémie (diabète insipide) respectivement en raison d'un relargage, puis d'une production déficitaire d'hormone antidiurétique.En 2013, une étude réalisée à partir d'un modèle de TBI chez le rat a mis en évidence un taux de survie à 14 jours significativement supérieur chez les animaux traités au moyen d'hydrocortisone par rapport à des congénères s'étant vu administrer de la méthylprednisolone versus un placebo. " Ces résultats semblent prometteurs pour la clinique humaine, mais nécessitent une validation chez l'homme via des études prospectives randomisées en double aveugle ", commente le docteur Valdes-Socin.Faire la part des choses n'est pas aisé non plus dans la phase chronique du TBI. Il est classique que les patients soient sous antidépresseurs, reçoivent des opioïdes, des neuroleptiques, etc. " Prenons l'exemple des neuroleptiques", dit l'endocrinologue du CHU de Liège. " Ils augmentent la prolactine. Or, celle-ci induit un hypogonadisme. Dès lors, étudier quelqu'un qui est sous neuroleptiques, c'est se retrouver dans l'impossibilité d'interpréter son taux de prolactine et son axe gonadique." De même, les opioïdes utilisés pour combattre la douleur chronique sont à l'origine du syndrome OPIAD (Opioid Induced Androgen Deficiency) qui peut se traduire, comme son nom l'indique, par une déficience en androgènes.On estime à un an après la survenue d'un traumatisme crânien la période jusqu'au terme de laquelle certains déficits neuroendocriniens sont potentiellement réversibles. Durant ce laps de temps, environ 60% des patients récupèrent des fonctions neuroendocriniennes normales. Dans la phase chronique d'un TBI, c'est donc après 12 mois qu'une évaluation endocrinienne et neuropsychologique s'impose. " Le dénominateur commun de la plupart des déficiences endocriniennes est l'asthénie inexpliquée", dit le docteur Valdes-Socin. " Elle constitue un signe d'appel à ne pas négliger. " Toutefois, les déficits en ADH (diabète insipide) se manifestent spécifiquement dans le métabolisme hydrique et leur diagnostic relève de l'évidence pour le praticien - le patient urine de façon anormalement abondante.La prise de sang, confirmée par des tests dynamiques, est au coeur de l'exploration d'éventuelles déficiences hypophysaires. Le test à l'insuline et le test au glucagon, en particulier, sont cependant à proscrire chez des patients en proie à des crises d'épilepsie, un diabète avéré ou encore une cardiopathie ischémique. " En phase aiguë d'un TBI, l'imagerie médicale qui est disponible en pratique clinique courante n'est pas fiable pour établir un diagnostic d'hypopituitarisme consécutif à un traumatisme crânien", souligne Hernan Valdes-Socin. " En effet, en imagerie par tomodensitométrie et par résonance magnétique conventionnelle, les lésions hypophysaires peuvent passer inaperçues dans deux tiers des cas. L'autre tiers regroupe des personnes pouvant présenter un infarctus de l'hypophyse antérieure, une section de la tige hypophysaire ou des hémorragies au niveau soit de l'hypophyse postérieure, soit de l'hypothalamus. Mais il convient de préciser qu'il y a peu d'études systématiques et poussées de l'imagerie hypophysaire dans le TBI. " En chronique, l'hypopituitarisme peut se traduire quelquefois par une selle turcique partiellement vide, visible en imagerie.La prise en charge de l'hypopituitarisme chronique repose sur la prescription de traitements de substitution, chaque hormone ayant son analogue thérapeutique. Les questionnaires soumis aux patients avec TBI déficients en GH et supplémentés par hormone de croissance dévoilent une amélioration sensible de leur qualité de vie, avec moins de fatigue et plus d'entrain. Les résultats de la supplémentation hormonale sur les performances cognitives, elles-mêmes dépendantes des lésions neurologiques préalables, restent plus difficiles à cerner et nécessitent plus d'études et de recherches sur les aspects neuroendocriniens du TBI.