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Le " chemsex " (chemicals et sex) désigne " les rapports sexuels entre hommes sous l'influence de drogues prises avant et/ou pendant ceux-ci ". (1) On parle ici de produits de synthèse (GHB/GBL, kétamine, 3MMC-4MEC...), aux effets hallucinogènes, psychostimulants, surtout empathogènes et entactogènes. Les usagers les combinent avec d'autres drogues en fonction d'une temporalité particulière : rapport sexuel, détente, discussion, consommation, rapport sexuel..." Cette pratique est fortement assimilée au milieu gay, aux bisexuels et aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). (...) L'utilisation de substances psychoactives pour améliorer les performances ou sublimer le plaisir lors de rapports sexuels est une pratique ancienne qui ne concerne pas uniquement ces milieux. Le chemsex semble toutefois y avoir pris de l'ampleur ces dernières années. "(2) explique Sandrine Detandt, chercheuse à l'Observatoire du sida et des sexualités.Ce développement récent n'est pas sans inquiéter les professionnels, certains parlant de " bombe à retardement de santé publique ". Quatre motifs d'inquiétude sont cités : l'apparition de consommation par injection (slam) dans des réseaux et chez des profils d'individus chez qui elle était rare, la circulation de certains produits (crystal meth, méphédrone...) en lien avec des pratiques sexuelles intenses, la réorganisation des rencontres sexuelles par l'intermédiaire d'applications géolocalisées et l'augmentation de problèmes de santé (infections sexuellement transmissibles), de santé mentale (dépression, désocialisation) et de dépendances sévères voire d'overdoses et de suicides." De plus en plus de professionnels du secteur de promotion de la santé, des milieux hospitalier et associatif voient une augmentation de ces pratiques et sont très démunis lorsqu'il s'agit d'accompagner ces personnes ", précise Sandrine Detandt.D'où l'idée du site chemsex.be. S'il s'adresse avant tout aux usagers qui souhaitent faire le point sur leur consommation et trouver de l'aide, il vise aussi les professionnels. On y trouve l'explication du phénomène, des différents types de drogues, des combinaisons et de leurs effets, des moyens de réduction des risques, des adresses de dépistage et de soins... Financé par la Commission communautaire française (Cocof), il est le fruit d'une collaboration entre l'Observatoire du sida et des sexualités et Ex Aequo.L'Observatoire mène actuellement, dans la continuité d'une recherche exploratoire quantitative en 2017, une étude qualitative par entretiens à Liège et à Bruxelles, afin de cerner la manière dont les pratiques de consommation de drogues s'insèrent dans des contextes sociaux et des parcours de vie.Parmi les premières conclusions que Sandrine Detandt tire de ses entretiens avec ces consommateurs certaines peuvent étonner. Ainsi, la plupart de ces amateurs de chemsex sont en couple, très éduqués et financièrement aisés, ils s'automédiquent suivant une organisation temporelle de prise des différents produits en fonction des effets attendus et du moment de la soirée : " II y a toute une logique et les doses sont extrêmement contrôlées. Chez les personnes toxicomaniaques que j'ai rencontrées avant, le rapport à la limite était beaucoup plus difficile."Ensuite, ces soirées se caractérisent par des stratégies de réduction de risque assez inédites, estime la chercheuse : " Beaucoup ont des fichiers Excel où ils indiquent le prénom de la personne, le type de drogue et la dose prise, à quelle heure, et l'heure à laquelle ils peuvent en reprendre. Une autre méthode consiste à coller des post-it sur les assiettes pour indiquer le type de drogue qu'elles contiennent. Il y a aussi des boîtes temporelles : on y met ses produits et on indique le jour et l'heure à laquelle la boîte se réouvrira... Il y a beaucoup d'auto-apprentissage, de 'petits savants'... ".Autre particularité, les sessions de chemsex sont souvent très longues (jusqu'à 70h) et ont lieu pendant les week-ends : " Quand ils rentrent chez eux, ils prennent des médicaments pour pallier aux effets des produits illicites et pouvoir être plus ou moins frais pour retourner au travail."" Ce qui est très compliqué, aussi bien pour les chemsexeurs que pour le secteur professionnel, c'est l'étiquetage : ils ne se sentent pas toxicomanes, ils n'en ont effectivement pas le profil, il est rare qu'ils consomment tous les jours. Ils me disent avant tout qu'ils sont dépendants au sexe ", observe-t-elle. Or, il y a finalement très peu de sexe dans ces sessions. Ils sont plutôt dans un état de sidération, d'extase sensorielle, et sont limités dans leurs capacités sexuelles (d'où la prise de citrate de sildénafil acheté en ligne)."Enfin, certains témoignent d'un côté très triste de ces soirées où, au milieu des autres, ils se sentent infiniment seul. L'émergence des applications géolocalisées a profondément modifié les rapports sociaux, l'arrivée de la PrEP (prophylaxie préexposition) a parfois tendance à se substituer au sexe safe... " Finalement, on est très seul avec nous-mêmes, chacun y pallie comme il peut et, dans la communauté gay, cela se matérialise différemment, par des pratiques totalement inaccessibles pour les professionnels. Ce qui est dramatique, c'est que beaucoup de ces usagers se sont vu refuser l'accès à un soin ou une rencontre parce qu'ils ne rentraient pas dans le profil. C'est l'un des buts du site, faire connaître la problématique du chemsex aux professionnels ", conclut Sandrine Detandt.