Les bactéries sont généralement considérées comme des organismes microscopiques relativement primitifs... et pourtant, il en existe une qui est non seulement grande, mais aussi étonnamment spécialisée. Tellement spécialisée, pour tout dire, qu'il pourrait bien s'agir du chaînon manquant entre procaryotes et eucaryotes!
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Il y a une dizaine d'année, le spécialiste en biologie marine Olivier Gros découvre en Guadeloupe des organismes filiformes qui se développent sur les feuilles de mangrove en décomposition d'un marigot local. Ce n'est toutefois que cinq ans plus tard qu'il prend conscience avec son équipe que ces filaments sont en réalité des organismes unicellulaires et plus précisément des bactéries... mais des bactéries jusqu'à 5.000 fois plus grandes que la moyenne, dont la longueur peut atteindre deux centimètres. Les microbiologistes ont longtemps cru que les bactéries étaient forcément des organismes de petite taille, parce qu'elles ont recours, pour absorber les nutriments et éliminer les déchets, à un processus de diffusion qui s'accommode mal de longues distances à parcourir à travers le cytoplasme. Vers la fin des années 90, ils ont dû revoir leur copie lorsqu'a été découverte dans des sédiments au large de la côte namibienne une bactérie dont la taille pouvait atteindre un demi-millimètre. Dans la foulée, ils ont rapidement découvert comment l'espèce avait contourné le problème de la distance de diffusion excessive: son volume est occupé presque entièrement par une vacuole remplie de liquide qui repousse le cytoplasme contre la paroi cellulaire. De ce fait, les processus de diffusion n'ont finalement à franchir que cette fine couche pariétale. Comme le cytoplasme de cette bactérie nouvellement découverte était parsemé de grains de soufre, elle a reçu le nom de Thiomargarita namibiensis ( Thiomargarita signifiant "perle de soufre"). Elle utilise le soufre comme donneur d'électrons pour convertir des liaisons carbone inorganiques en liaisons organiques. Lorsque Jean-Marie Volland, un jeune collaborateur d'Olivier Gros, a commencé à s'intéresser de plus près à l'espèce encore sensiblement plus grosse découverte en Guadeloupe, il a posé un constat similaire: la bactérie était vraisemblablement apparentée à l'exemplaire namibien et comportait une vacuole remplie de liquide représentant 75% de son volume total. Elle a reçu le nom de Thiomargarita magnifica. Le jeune chercheur a toutefois encore fait une autre découverte remarquable: alors que le matériel génétique des bactéries flotte généralement librement dans leur cytoplasme, Thiomargarita magnifica dispose d'une série d'organites qui semblent abriter son génome. Jean-Marie Volland propose de donner à ces structures le nom de pepins (un néologisme anglais dérivé du français "pépins"). Les bactéries étaient jusqu'ici considérées comme des procaryotes - des cellules sans noyau - par opposition aux eucaryotes dotés d'un noyau, un groupe qui comprend aussi bien les levures que les organismes plus complexes. Thiomargarita magnifica vient toutefois changer la donne. Le fait qu'elle possède bel et bien des organites qui évoquent un noyau cellulaire n'est certes pas le premier indice qu'il existe parmi les bactéries différents niveaux d'évolution et que la frontière entre procaryotes et eucaryotes est plus ténue qu'on ne le pensait, mais c'est vraisemblablement le plus convaincant. " La découverte de Thiomargarita magnifica suggère qu'il existe peut-être encore d'autres bactéries plus grandes et plus complexes qui ont jusqu'ici échappé à notre attention alors qu'elles sont visibles à l'oeil nu", souligne Jean-Marie Volland dans la conclusion de son article, actuellement en attente de peer-review sur bioRxiv.org. "La mise au jour de leurs caractéristiques biologiques spécifiques, de leur métabolisme énergétique et de la nature exacte des pepins pourrait nous permettre d'avoir une idée plus claire de la manière dont a évolué la complexité biologique."