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T om Braekeleirs siège depuis sept ans à la tête du BlueHealth Innovation Center (BHIC), qui accompagne professionnels de la santé, startups et étudiants dans la mise en place de solutions digitales innovantes en matière de traitement, de soins et de confort. Il se considère comme un technologue, car il voit dans la technologie plutôt une opportunité qu'une menace. Un... technoptimiste donc! Quelles tendances secoueront le monde des technologies de la santé cette année et dans un futur plus lointain? Tom Braekeleirs aborde premièrement deux grandes tendances sociétales qui influeront certainement sur l'évolution de la HealthTech. Digitalisation donc. En effet, les soins utiliseront toujours plus d'applications digitales. "Des tendances comme le vieillissement de la société, les maladies chroniques ou liées à l'âge constituent une pression supplémentaire pour nos soins de santé. Pour continuer à garantir leur qualité et leur accessibilité, la digitalisation semble être une solution valable, car elle permet des économies d'échelle. D'autres options comme la privatisation des soins de santé (comme aux USA par exemple) ou des coupes budgétaires, sont moins souhaitables. En intégrant des applications digitales, il est possible de soigner autant de patients, mais sans devoir engager davantage de personnel. Le suivi à domicile et la téléconsultation constituent deux exemples déjà d'application qui gagneront en ampleur", poursuit l'intéressé. Selon Tom Braekeleirs toujours, la deuxième grande tendance, c'est le besoin d'entreprenariat dans les soins de santé. "Faire évoluer un projet au delà du seul médecin, du seul hôpital, demande un certain état d'esprit... En Belgique, nous ne manquons pas de médecins entreprenants en termes d'idées (pour un nouvel outil ou une nouvelle technique par exemple), mais être entreprenant, ce n'est pas être un entrepreneur. Ce dernier identifie les problèmes, cherche des solutions et des opportunités et ose les tester et les explorer."Dans le même souffle, Tom évoque deux obstacles récurrents sur la route de l'entreprenariat. "En matière de HealthTech, également de technologie digitale donc, nous sommes très focalisés sur les problèmes potentiels. L'efficacité d'un produit pharmaceutique n'est pourtant jamais sûre à 100%. Le médecin peut lui aussi tomber malade et tout le monde l'accepte. On attend toutefois des applications digitales qu'elles soient toujours opérationnelles. Si l'algorithme s'enraie quelque peu, on organise une réunion de crise le jour suivant."Deuxième pierre d'achoppement: comment amener le projet plus loin que sa phase initiale? "Un moment où la réaction classique est: et maintenant, attendons la réponse de l'Inami", ironise-t-il. "En Belgique, on considère toujours que les soins de santé sont quasiment gratuits et qu'une solution n'est viable que si elle est remboursée par l'Inami. Nous devons au contraire oser explorer de nouveaux business modèles, si nous souhaitons qu'un projet puisse continuer à se développer structurellement sans forcément être dépendant financièrement. L'Inami est l'une des composantes du financement, mais pas la seule... Le patient, le prestataire de soins, l'assureur privé, l'employeur... peuvent également jouer un rôle."À côté de ces grandes tendances sociétales en matière de technologie digitale et de soins, le directeur du BHIC nous éclaire également sur quelques tendances spécifiques dans le monde des startups de la HealthTech à court terme (deux à trois ans) et à long terme (cinq à dix ans). ? Mobilité De la même manière qu'il est impossible de passer à côté de la digitalisation des soins de santé, il en va de même pour les solutions mobiles imaginées par les startups. "Le suivi ambulatoire par exemple.Tout le monde se balade aujourd'hui avec un ordinateur dans la poche ou dans le sac. Autant l'utiliser à des fins médicales également. Les géants du smartphone vont de toute façon surfer sur cette technologie. Il est donc préférable que cette intégration soit bien réfléchie, mais surtout, qu'il existe des solutions spécifiques." Il cite ainsi l'app Fibricheck: "numéro un dans le domaine de la détection de la fibrillation auriculaire et d'autres troubles cardiaques." ? Au niveau socialAu delà de l'aide (para)médicale, les patients manquent également de soutien dans les tâches ménagères (au jardin, à la cuisine...), administratives, ou quand ils doivent se déplacer. Tous ne peuvent pas compter sur un grand réseau. Voilà pourquoi certaines startups ont pensé à des solutions, chacune répondant à une attente particulière. Helpper par exemple, est une plateforme d'aide à domicile en ligne pour et par les voisins, lancée en Belgique en 2017. "De telles applications ne s'adressent peut-être pas directement au soignant ou au médecin, mais il est important de s'en informer, de manière à guider au mieux le patient dans son trajet de soins", assure Tim Braekeleirs. ? Fun De plus en plus d'entrepreneurs des technologie de la santé utilisent la "gamification" pour développer des outils de gestion de la maladie, de traitement ou de revalidation. En appliquant les mêmes tactiques que les développeurs de jeux, il est possible d'augmenter l'observance thérapeutique ou d'acquérir de nouvelles aptitudes. Un exemple connu à ce propos en Belgique: Matti, de la firme gantoise Creative Therapy. Il s'agit d'un tapis de jeu interactif équipé de capteurs de pression et utilisé par les kinés et autres physiothérapeutes. Le tapis permet aux enfants atteints de troubles de l'acquisition de la coordination (TAC) de maîtriser plus facilement certains gestes. "Ces outils issus du monde du jeu trouvent également leur utilité lors des formations, comme PlayItSafe, qui enseigne de manière ludique les procédures de sécurité dans les hôpitaux." ? InteractifNotre mode d'utilisation des logiciels, via le laptop, la souris ou le clavier, n'est pas assez intuitif. "Nous continuons à utiliser des interfaces dépassées.L'interaction avec la technologie va énormément changer la donne au cours des années à venir. La Réalité virtuelle (RV) ou mélangée en sont des exemples concrets. Regarder, c'est une aptitude naturelle, mais nous avons dû apprendre l'ordre des lettres sur le clavier. Les exemples dans les soins de santé existent déjà. Oncomfort utilise ainsi des lunettes de RV pour la sédation virtuelle et la gestion du stress. Ces solutions sont même présentes dans le bloc opératoire. Le projet SARA utilise ainsi la réalité augmentée pendant les opérations, pour faire chevaucher le rendu 3D d'images médicales, d'autres informations et l'anatomie du patient. Une évolution intéressante de la neurochirurgie." ? Axées sur les donnéesLe traitement du langage naturel (TLN), une forme d'intelligence artificielle (IA) permettant d'extraire des informations importantes de manière structurée, s'avère prometteur à court terme et pourrait influencer la manière dont les institutions de soins collectent et utilisent les données, poursuit Tom Braekeleirs. "Les hôpitaux utilisent déjà cette technique pour extraire des MRDP (mesures des résultats déclarés par les patients) de l'historique médical. Pour une IA efficace, il faut des données de qualité. Ces données sont difficiles à traiter une fois introduites dans le système. En fait, il importe d'intervenir dans la phase précédente, c'est-à-dire dans la manière dont les données sont introduites. La méthode la plus utilisée actuellement dans les programmes d'EMR pour accueillir des données est le champ de note. De nombreuses startups s'appliquent aujourd'hui à mieux structurer ces données dans les dossiers patients, pour faciliter leur traitement par les systèmes d'IA." Exemples en Belgique: Lynxcare, ibis.ai, Tiro.health ... ? Automatisation L'intelligence artificielle nous permet d'automatiser certaines tâches autrefois réalisées par les humains. "À court terme, l'IA aura une place cruciale dans l'imagerie médicale", assure Tom Braekeleirs. "Les systèmes d'intelligence artificielle analyseront la majeure partie des images et épauleront ainsi le radiologue." Selon l'intéressé, l'automatisation n'aidera pas seulement au soutien diagnostique, mais également à la détection précoce des cancers. " Ces derniers temps, le scan CT des poumons a très souvent été utilisé pour détecter et traiter le Covid-19. Celui-ci pourrait très bien servir à la détection précoce du cancer du poumon, comme c'est déjà le cas dans plusieurs pays européens. Notons également que l'IA se place au service de l'être humain, et pas l'inverse. Quand nous parlons d'automatisation, il faut toujours rappeler cette nuance et permettre les débats éthiques de circonstance." ? PersonnalisationComment personnaliser l'expérience du patient? "Cette question va gagner en pertinence à l'avenir", reconnaît Tim Braekeleirs. De nombreuses données aujourd'hui à disposition, dans le DMI par exemple, permettraient pourtant de personnaliser davantage cette expérience, plus qu'aujourd'hui en tout cas. "Exemple: un patient arrive à l'hôpital. Au moment où il entre dans l'établissement, vous savez déjà la raison de sa présence puisqu'il a pris rendez-vous (sauf bien entendu s'il se présente aux urgences). Par la reconnaissance de son numéro de plaque, il serait par exemple possible de lui indiquer le meilleur parking en fonction de l'endroit où il sera traité dans l'hôpital. La quantité de données permettra par ailleurs de personnaliser la thérapie. Les patients n'ont pas tous les mêmes besoins, ni le même parcours."? Adoption des données Tom Braekeleirs: "Les entreprises axées sur les données sont américaines ou asiatiques. L'Europe est soumises au cadre stricte du RGDP. C'est une bonne mesure, mais elle ne doit pas servir de prétexte pour ne pas lancer des projets. C'est le cas actuellement, avec des entreprises européennes qui se laissent ôter le pain de la bouche par des concurrentes ailleurs dans le monde. On peut s'attendre à ce que sous peu, la loi posera des cadres précis permettant d'intégrer des données dans des scénarios concrets. De quoi, espérons-le, apaiser la peur initiale liée à l'utilisation des données." ? Bien-être Les initiatives de HealthTech ou les startups offrant une solution pour améliorer le bien-être général et plus seulement médical seront de plus en plus nombreuses à l'avenir. Jusqu'il y a peu, les applications de bien-être (mental) n'étaient pas toujours prises au sérieux, jusqu'à ce que les spécialistes commencent à y voir un intérêt. La startup Moonbird a ainsi travaillé en étroite collaboration avec des coachs spécialisés dans la respiration, des psychologues et des neurologues de renom comme le Pr Steven Laureys, pour étudier précisément comment leurs appareils, apps et autres algorithmes pouvaient aider les personnes à respirer correctement et à réduire le stress et l'angoisse. Une initiative couronnée de succès, puisque la startup a engrangé 1,5 milliards d'euros de bénéfices. La crise du Covid-19 a rappelé une fois de plus l'importance du bien-être général et mental.