Le nombre de victimes du terrible séisme qui a frappé le sud-est de la Turquie et la Syrie le lundi 6 février continue d'augmenter. Les dégâts matériels sont énormes. Jeudi dernier, le pédiatre et urgentiste Gerlant Van Berlaer (UZ Brussel) s'est rendu dans la zone sinistrée avec B-Fast. Le journal du Médecin/Artsenkrant a pu l'interviewer depuis Kirikhan, où l'hôpital de campagne belge est en cours de construction.
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"La première idée était d'installer notre hôpital de campagne à Iskenderun, mais ce plan a entre-temps changé. Nous l'avons finalement déployé à Kirikhan. Le service des urgences de l'hôpital est la seule installation médicale qui fonctionne encore dans toute la région. Le scanner fonctionne et les générateurs d'électricité sont également intacts. Une chance dans le malheur: le technicien de l'hôpital est indemne, mais l'homme a perdu tous les membres de sa famille", décrit brièvement le Dr Van Berlaer. L'hôpital de Kirikhan compte 210 lits, explique le médecin urgentiste et pédiatre bruxellois. " Le service des urgences traite 1.800 (! ) patients par jour, 20 à 30 bébés y naissent chaque jour. Ce sont souvent des Syriens car Kirikhan, ville de 110.000 habitants, compte beaucoup de réfugiés syriens." Lorsque je demande au médecin de faire une esquisse de la situation, il fait référence à l'hôpital en question. "Il est encore debout, comme un certain nombre de bâtiments dans la ville. Cela me fait penser à Banda Aceh (tsunami de 2004 en Indonésie, NdlR) et d'autres zones sinistrées: les vieux monuments y sont restés aussi. La qualité des matériaux de construction utilisés est en grande partie déterminante. Vous pouvez le voir ici aussi. Des collègues ici m'ont montré leurs habitations: elles sont toujours là, mais elles présentent des fissures. C'est pourquoi tout le monde ici dort à l'extérieur ou dans des voitures. La nuit, les gens essaient de se réchauffer avec de petits feux. Ici, le mercure descend jusqu'à -3 degrés." Lorsque nous avons pu parler au médecin samedi matin, le deuxième contingent de Belges, chargé de la logistique de l'hôpital de campagne, était sur le départ. Cet hôpital de campagne est à peu près de la taille d'un terrain de football. "Pour amener ici tous les composants de l'hôpital de campagne, avec ses 24 tentes médicales et ses 40 tentes de soutien, sept avions militaires sont nécessaires. Comme déjà mentionné, l'hôpital de Kirikhan est toujours là, mais personne ne peut y être hospitalisé. Tous les autres hôpitaux de la région sont inutilisables. En d'autres termes, l'hôpital de campagne belge sera la seule infrastructure médicale dans la zone élargie." L'objectif était alors de rendre l'hôpital de campagne opérationnel d'ici au jeudi 16 février, date de réception de votre journal du Médecin. À cette fin, une équipe de médecins et d'infirmiers sera envoyée par avion. "Après une catastrophe comme celle-ci, vous avez beaucoup de victimes de traumatismes. Nos collègues turcs aux urgences à Kirikhan ont fait de leur mieux pour prodiguer les premiers soins. Cependant, je m'attends à voir beaucoup de 'patients de la deuxième vague' dans l'hôpital de campagne: des cas d'infections de toutes sortes, des problèmes cardiaques, des patients diabétiques, des patients chroniques qui cherchent de l'aide, des personnes qui ont perdu leurs lunettes, des patients sous dialyse aussi. Il s'agira de procéder à un bon triage car nous l'avons constaté en venant, les routes sont pleines de personnes fuyant la zone sinistrée. Pour transporter des patients vers des hôpitaux encore opérationnels, les ambulances doivent souvent faire quatre heures de route ou plus pour les atteindre, mais les hôpitaux d'Adana ou de régions plus éloignées se remplissent aussi rapidement. C'est pourquoi, en plus d'un bloc opératoire, d'une unité mère-enfant et d'une salle d'accouchement, nous prévoyons délibérément des lits dans notre hôpital de campagne pour les patients que nous ne pouvons pas transférer", précise le Dr Van Berlaer. Le Dr Van Berlaer fait une première évaluation en Turquie. Il doit établir les contacts nécessaires avec les autorités nationales et régionales, et s'assurer que toutes les formalités administratives (telles que la vérification des diplômes, etc.) sont réglées. "En tant que Belges, nous avons contribué dans le passé à créer les directives internationales. Il est donc logique que nous les suivions aussi. Il n'est plus admis de mettre en place une sorte 'd'invasion médicale' depuis l'étranger, et d'ensuite repartir alors que les autorités locales n'ont aucune idée de ce qui s'est passé, ni où. Ou, comme en Haïti à l'époque, où des amputations étaient pratiquées par des médecins non spécialisés ou des non-médecins." Il est donc également important de documenter toutes les actions menées. "Suivre les procédures de l'initiative de l'Emergency Medical Teams Initiative crée des obstacles supplémentaires. Ce n'est pas toujours agréable car, en tant que médecin, vous voulez avant tout aider les patients. Mais vous vous investissez dans les structures locales et vous essayez de passer de bons accords pour collaborer avec les équipes locales. C'est maintenant chose faite. Nos travailleurs humanitaires à Kirikhan vont travailler avec des médecins mobilisés depuis d'autres endroits en Turquie. D'ailleurs, toutes les équipes internationales n'ont pas encore été acceptées par la Turquie, il y en a encore sur la liste de réserve", relève l'urgentiste. Et de poursuivre: "La critique selon laquelle nous n'avons pas agi rapidement est, à mon avis, injustifiée. Quand on voit que nous sommes déjà en train de mettre en place l'hôpital de campagne, c'est assez rapide. Il me semble aussi plus judicieux d'investir dans l'assistance médicale plutôt que de disposer de toutes ces équipes de recherche et de sauvetage - qui nécessitent également des investissements substantiels en matière d'éducation et de formation. En se spécialisant, on se complète mieux et on peut également répondre aux besoins locaux de manière plus ciblée." "Mais à côté de la solidarité internationale, il faut aussi avoir une stratégie de sortie dès le premier jour", souligne le Dr Van Berlaer. "Dans notre cas, elle est encore vague pour l'instant. Tant qu'ils auront besoin de nous, nous serons actifs ici. Cela dépendra en grande partie de l'évaluation de la stabilité du bâtiment de l'hôpital. Si notre pays a consacré un budget important à cette opération de secours, il n'est pas non plus extensible. Lorsque la fin des ressources est en vue, on doit en informer le centre de coordination international afin qu'il puisse assurer le suivi et que les besoins d'aide puissent continuer à être satisfaits." "Ce sont des journées extrêmement fatigantes, avec peu de sommeil et des repas à des heures irrégulières", reconnaît le Dr Van Berlaer. "Mais nous constatons également à quel point les Turcs sont accueillants et reconnaissants. On nous offre constamment du thé et des sucreries, les gens nous font signe ou mettent leur main sur le coeur quand ils nous voient. La communication non verbale est également très parlante". " Il est important de travailler en pauses, on tient, ainsi, deux semaines maximum." Combien de temps va-t-il rester? "J'ai fait l'évaluation, les collègues soignants vont arriver, mon rôle ici sera bientôt terminé, mon travail à Bruxelles m'attend." Une dernière question pratique: qu'en est-il de la barrière linguistique avec les patients de Kirikhan? "À l'UZ Brussel, nous avons l'expérience des patients et des langues étrangères, la situation ici est similaire. Chez B-Fast, de nombreux médecins et infirmiers belgo-turcs se sont spontanément manifestés pour apporter leur aide. En outre, des interprètes de l'ambassade belge nous assistent. Cela va certainement bien se passer."