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Pianiste de talent, Joachim Caffonnette connaît très bien le Sounds pour y avoir (du temps de Sergio Duvalloni et Rosy Merlini lesquels ont officié derrière le bar durant 35 ans) non pas fait ses gammes, mais ses débuts en concert et joué très régulièrement 15 années durant. Né au cours du confinement, au moment où les lumières s'éteignaient dans ce club de jazz désormais légendaire (qui a vu notamment se produire toutes les pointures belges bien sûr, mais aussi John Scoffield ou Mark Turner), ce projet un peu fou a été lancé via un crowdfunding, lequel a réuni en quelques semaines plus de 35.000 euros pour plus de 300 donateurs, dont des musiciens de jazz connus, voire encore étudiants. Pas étonnant dans un pays, véritable vivier de jazzmen, où paradoxalement les lieux où se produire, à Bruxelles notamment, se font de plus en plus rares... Le journal du Médecin: Dans ce quartier d'Ixelles centre, il y eut Le Bierodrome qui proposait du jazz, Le Grain d'orge qui donnait plutôt dans le rhythm and blues comme le faisait au départ le Sounds. Vous faites revivre un de ces lieux alors que l'on était plutôt dans une tendance à la disparition de ce genre d'endroits? Joachim Caffonnette: Un fait contre lequel je me bats depuis longtemps. J'ai été président des Lundis d'Hortense durant trois ans, et, au cours de mon mandat, ma volonté fut constamment d'aider ces lieux, en tentant de sortir de la Jazz Station, laquelle programme un concert par semaine, afin de programmer dans d'autres lieux, en les valorisant et les aidant financièrement, car le modèle économique en est très compliqué: c'est un bar où l'on peut demander une entrée certes, mais qui ne va jamais couvrir les frais, ni rétribuer les musiciens. La scène jazz bruxelloise et belge paraît-elle toujours aussi vivante et vibrante? Elle est encore plus foisonnante qu'il y a 20 ans. En moyenne, 25 musiciens sortent de chacune des cinq académies de jazz belges... Ceci alors que l'on ne dénombre que trois clubs à Bruxelles. Le manque de lieux s'explique-t-il uniquement pour des raisons économiques? Oui, car c'est une économie peu subventionnée: le plus gros contrat-programme en jazz, c'est chaque année 200.000 euros pour un label ou l'autre ou Les lundis d'Hortense. Si l'on compare cela au théâtre ou à la musique classique c'est peanuts! Avec le Sounds, nous avons réfléchi à un modèle qui puisse tenir la route. Le but finalement serait-il de redémocratiser le jazz? Notre projet se veut transversal dans tous les sens du terme, aussi bien au niveau de l'offre artistique que du public auquel l'on s'adresse: nous avons envie d'avoir ce côté estudiantin, car les étudiants en jazz sont nombreux, et parce que l'on note un engouement des jeunes en général pour cette musique, quoi qu'on en dise. J'ai à l'époque rencontré Emmanuel André, l'un des membres du collectif à l'origine du projet et professionnel de la communication, dans un club éphémère qui s'appelait Bravo, victime des problèmes économiques que peut rencontrer ce genre d'endroit: un lieu incroyable qui proposait des jam-sessions par exemple le mercredi et qui affichait complet jusque 4 h du matin. Nous avons pu observer comment les différents publics s'y croisaient dans une osmose que nous voudrions recréer. Nous avons donc réfléchi également à une politique de prix d'entrées en fonction des budgets de chacun. Par ailleurs, la jam du mercredi sera gratuite. Nous comptons par ailleurs programmer une fois par mois, un orchestre de swing traditionnel, du rhythm and blues qui était présent dès l'origine au Sounds, du jazz manouche et par ailleurs de l'avant-garde la plus pure. Il y a donc un renouvellement du public? En effet. Lequel semble dépoussiérer cette musique qui a pris une tournure élitiste, ce qu'elle n'était absolument pas au départ. Le fait que le jazz soit rentré dans les conservatoires et les salles de concert démontre le respect que cette musique a acquis et, en même temps, cette institutionnalisation a contribué à la rendre plus élitiste et lui a conféré une image très bourgeoise. Au niveau artistique, le but du Sounds est de proposer effectivement ces jam-sessions où tout le monde se rencontre, où chaque musicien qui connaît les standards a l'occasion de se produire devant un public. Quelle a été l'incidence des confinements pour les musiciens de jazz qui est avant tout une musique qui se joue en live? C'était horrible. Personnellement, ce fut une grosse remise en question: le projet du club s'est d'ailleurs fait jour entre les deux confinements. Ce qui m'a occupé l'esprit. Mais en temps normal, je fais plus de cent dates par année... Au début, nous l'avons tous pris comme une façon de se poser, de pratiquer... mais quant cela a commencé à durer, le fait de ne plus pouvoir jouer, de ne plus avoir de public, de ne plus interagir avec d'autres musiciens, s'est révélé assez dramatique. Et encore, en Belgique, nous avons été soutenus, contrairement à l'Angleterre où c'est la catastrophe ou aux États-Unis où des musiciens qui avaient pignon sur rue sont retournés vivre chez leurs parents.