Environ 20% de la population présente un trouble du sommeil. En consultation, l'insomnie partielle ou totale est probablement la plainte la plus fréquente. Primaire ou secondaire, aigüe ou chronique, comment bien la prendre en charge?
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Sur le plan clinique, un trouble du sommeil est qualifié comme tel lorsqu'il combine deux éléments: · Des plaintes liées au sommeil: difficulté d'endormissement (plus de 30 minutes), réveil nocturne ou précoce avec impossibilité de se rendormir, sommeil non réparateur, sensation d'étouffement, ronflements, troubles du comportement nocturne (somnambulisme, mouvements de jambe), etc. ; · Des plaintes liées au fonctionnement diurne, conséquences des plaintes ci-dessus: fatigue, somnolence, troubles cognitifs (de la mémoire, de la concentration), irritabilité, etc. "Il n'est pas toujours évident de différencier les troubles du sommeil primaires et secondaires", explique le Pr Matthieu Hein, directeur du service de psychiatrie et du Laboratoire du sommeil de l'Hôpital Erasme. "Un grand nombre de pathologies peuvent impacter la qualité du sommeil et/ou provoquer les mêmes symptômes que les plaintes liées au fonctionnement diurne. Dans l'autre sens, tout ce qui est à l'origine d'un déficit de sommeil peut, à terme, faire le lit de pathologies cardiovasculaires, psychiatriques, métaboliques, etc." L'enjeu est donc de faire un diagnostic différentiel en identifiant l'origine d'un trouble du sommeil et en excluant d'autres causes. Il existe quelque 85 pathologies du sommeil. "En consultation de médecine générale, l'insomnie est probablement la plainte la plus fréquente", observe le Pr Hein. "La clinique et l'interrogatoire du patient sont à la base d'un bon diagnostic et, par conséquent, d'une prise en charge thérapeutique adéquate."Il faut d'abord savoir si l'insomnie est d'apparition récente. Si oui, elle est souvent liée à un stress aigu, un évènement de vie difficile (séparation, deuil, perte d'emploi, diagnostic d'une maladie grave, etc.) ou même heureux comme un mariage ou un voyage. Le plus souvent, la personne retrouve spontanément un bon sommeil quand la cause du stress disparaît ou que le choc émotionnel s'atténue. En revanche, si le trouble du sommeil persiste plus de trois mois, l'insomnie est considérée comme chronique. Il existe plusieurs types d'insomnie [1]. "Si l'insomnie est secondaire à une éventuelle comorbidité ou pathologie sous-jacente (dépression, reflux gastro-oesophagien, symptômes de ménopause, apnées du sommeil, etc.), il faut bien sûr la déceler et la traiter. D'où l'intérêt d'interroger le ou la patiente sur d'éventuelles autres plaintes physiques." Car douleur(s), pyrosis, démangeaisons, soif, nycturie, toux, dyspnée, obstruction nasale ou encore sueurs nocturnes peuvent non seulement altérer la qualité et/ou la quantité de sommeil, mais aussi mettre sur la voie d'un autre diagnostic. Il est aussi utile de faire une revue médicamenteuse, car certains traitements (cardiovasculaires, notamment) interfèrent avec le sommeil. Il suffit parfois d'adapter les doses ou de changer de molécule pour que la personne redorme normalement. Le traitement varie selon le type d'insomnie et ses causes. Une insomnie par décalage de phase ou un trouble du rythme circadien, par exemple, répondent plutôt bien à la luminothérapie et à la mélatonine. Mais dans la grande majorité des cas, les thérapies cognitivo-comportementales de l'insomnie (TCCI) sont le traitement de première ligne des insomnies. Il s'agit de thérapies brèves - quatre à six séances en moyenne - qui visent à induire de nouveaux comportements bénéfiques en travaillant sur les (fausses) croyances et les connaissances de la personne sur une problématique - ici, le sommeil. Les TCCI sont généralement organisées en ambulatoire par des psychologues ou des médecins formés à ces thérapies et sont dispensées en suivi individuel ou en groupe. Il convient d'être prudent et parcimonieux avec les somnifères et autres benzodiazépines (BZD). "Hormis quelques cas précis [2], les BZD ne sont pas le traitement de première intention des insomnies", rappelle le Pr Hein. "Il ne faut pas non plus les prescrire de façon continue ou prolongée, et certainement pas sans suivi médical! Non seulement ces molécules induisent rapidement des phénomènes d'accoutumance et d'assuétude, mais elles perdent en efficacité au bout d'un mois. Les BZD peuvent aussi induire une insomnie de rebond à l'arrêt, des effets indésirables (somnolence résiduelle, troubles de l'équilibre, etc.) et aggraver, voire provoquer les troubles du sommeil." À prescrire avec mesure, donc. C'est-à-dire à la dose efficace minimale, pendant une période la plus courte possible (maximum trois semaines) et en informant le ou la patiente des risques et effets indésirables de ces médicaments. Dans tous les cas, il importe de relayer auprès de la patientèle les conseils à appliquer au quotidien pour favoriser un sommeil de qualité. · Horaires réguliers: il convient d'aller se coucher et de se lever à heures fixes. Y compris le week-end et pendant les congés. · Sieste : dans la mesure du possible, mieux vaut éviter de faire la sieste quand on souffre d'un trouble du sommeil. Ou alors, n'en faire qu'une seule, de 20 minutes maximum. · Alimentation: les repas riches et copieux, ainsi que les boissons et substances excitantes (alcool, café, thé, boisson énergisante) sont à éviter dès la fin de journée. · Hydratation : il faut penser à boire suffisamment d'eau en journée, afin d'éviter d'avoir trop soif le soir, de boire trop... et de devoir se lever pendant la nuit pour uriner! · Exercice physique: on ne le répètera jamais assez: une activité physique régulière et suffisante est la clé d'une bonne santé mentale et physique. Bouger fait aussi partie intégrante d'une bonne hygiène du sommeil. Attention toutefois à ne pas fournir d'efforts intensifs dans les deux heures précédant le coucher... à l'exception des activités sexuelles (sic). · Environnement: l'idéal est de dormir dans une pièce calme, obscurcie par des rideaux ou des volets, avec une température inférieure à 21 °C. · Écrans et téléphone: s'exposer trop tardivement aux écrans (télévision, ordinateur, smartphone, tablette) peut impacter la production de mélatonine et/ou générer une excitation émotionnelle ou cognitive peu propice à la détente... Et, par conséquent, à l'endormissement. Mieux vaut donc renoncer aux écrans dans l'heure précédant le coucher. Dans le même ordre d'idée, il est conseillé de laisser le smartphone ailleurs que dans la chambre à coucher ou, au moins, le mettre en mode "avion" ou "ne pas déranger". · Lit: le lit doit être réservé exclusivement au sommeil et aux activités sexuelles. Si la personne ne parvient pas à (s'en)dormir, mieux vaut qu'elle se (re)lève, aille dans une autre pièce et s'adonne à une activité calme, voire ennuyeuse (repasser, par exemple), jusqu'à ce que le besoin de sommeil (re)vienne. "On peut aussi conseiller au patient de tenir un "agenda du sommeil"", suggère le Pr Hein. "C'est utile pour objectiver les plaintes, notamment en cas d'insomnie, de troubles du cycle circadien ou d'hypersomnie. Noter les heures de lever et de coucher, le nombre et la durée des sieste(s) ou des réveils nocturnes permet aussi d'identifier des schémas, de repérer certaines "erreurs" et, le cas échéant, de les corriger."Pour finir: quand référer un ou une patiente à un médecin somnologue ou une clinique du sommeil? "En cas d'insomnie réfractaire ou quand vous soupçonnez une pathologie sous-jacente nécessitant une polysomnographie ou test du sommeil. C'est-à-dire les apnées du sommeil, les mouvements périodiques des membres (associés ou non à un syndrome des jambes sans repos), l'hypersomnie centrale (la narcolepsie, par exemple) ou encore pour qualifier des troubles du comportement nocturne type parasomnie. Plus généralement, si un médecin généraliste ne sait plus quoi faire avec un patient atteint de troubles du sommeil, mieux vaut nous l'envoyer plutôt que de "surmédiquer"!"