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Les consultations préconceptionnelles ont clairement leur place dans le cadre des soins proactifs et préventifs que nous promouvons aujourd'hui. Pourtant, elles ne sont pas encore une pratique courante: la plupart des femmes ne consultent leur médecin traitant ou leur gynécologue qu'après un test de grossesse positif. Or, lorsque l'accompagnement prénatal débute à ce stade-là, nous perdons déjà un laps de temps important. Au cours des huit premières semaines suivant la conception, l'embryon développe tous ses organes. Durant cette phase précoce de la grossesse, les influences exogènes (virus, médicaments, consommation d'alcool, etc.) sont les plus risquées, et un certain nombre de facteurs maternels déterminent le développement immédiat et ultérieur de l'enfant. Le Pr Léonardo Gucciardo, chef du département d'Obstétrique et de Médecine prénatale à l'UZ Brussel, estime que les médecins généralistes peuvent jouer un rôle clé en faisant un meilleur usage de cette "fenêtre d'opportunité" préconceptionnelle. "Une grossesse qui peut débuter dans des conditions optimales reste la meilleure prophylaxie", affirme-t-il. Ainsi, chez les femmes en âge de procréer, il faut poser activement la question: prenez-vous une contraception ou avez-vous un désir de grossesse? Dans le second cas, un certain nombre de questions peuvent être abordées [1]. "En commençant par les problèmes médicaux actuels, s'il y en a, et les traitements possibles. Il va de soi que les maladies actives telles que l'asthme, le diabète ou la maladie de Crohn doivent de préférence être équilibrées et stabilisées le plus possible avant la grossesse. En ce qui concerne les médicaments à risque [2], l'obstétrique fait la distinction entre les médicaments incompatibles avec la grossesse, parce qu'ils provoquent des malformations, et ceux qui augmentent le risque de complications.""Dans cette seconde catégorie, nous ne pouvons pas penser tout noir ou tout blanc", précise le Pr Gucciardo. "Le message n'est certainement pas toujours d'arrêter les médicaments. Parfois, nous pouvons passer à une molécule plus sûre pour le foetus, sur laquelle la littérature est plus abondante, mais seulement si cela ne compromet pas la santé de la mère." Il s'agit notamment des antiépileptiques, des inhibiteurs de la poly- arthrite rhumatoïde et des immunosuppresseurs, mais aussi des psychotropes, dont l'utilisation a fortement augmenté au cours de la dernière décennie. "Certains antidépresseurs ou médicaments contre les troubles anxieux peuvent entraîner une toxicité périnatale et nécessitent une surveillance accrue du nouveau-né. Certaines mères veulent arrêter brutalement leur traitement ; elles ne veulent rien prendre qui puisse potentiellement nuire à leur bébé. Mais elles sous-estiment le risque d'entrer elles-mêmes dans un épisode dépressif majeur ou de faire une psychose aiguë, ce qui est beaucoup plus dramatique pour l'enfant", relève le gynécologue. "C'est une question d'équilibre. Comment obtenir les meilleurs résultats en matière de santé? Idéalement, nous nous concertons avec le spécialiste concerné avant la conception pour savoir s'il est possible d'envisager un changement ou une réduction progressive du médicament."Les suppléments doivent ensuite être débutés en temps voulu. Prenons l'exemple de l'acide folique, qui doit protéger contre les anomalies du tube neural déjà au début de l'organogenèse, ainsi qu'au fer. "Chez les patientes souffrant d'anémie chronique ou dont les réserves en fer sont limitées, l'hémoglobine continuera à diminuer tout au long de la grossesse, en raison de la dilution progressive du sang", explique le Pr Gucciardo. "Plus les valeurs d'hémoglobine sont élevées au début de la grossesse, plus le risque de complications associées à une anémie sévère est faible, comme les problèmes de croissance du foetus et la menace d'une naissance prématurée."Outre un bilan hématologique général, les analyses sanguines suivantes sont utiles pendant la période préconceptionnelle: - Un dépistage sérologique (avec l'avantage supplémentaire que la détermination des anticorps CMV en dehors de la grossesse est remboursée) ; - L'identification des anticorps irréguliers ; - Un contrôle de la fonction thyroïdienne ; - Chez les patientes non caucasiennes, un dépistage des hémoglobinopathies (drépanocytose, thalassémie) ; - Chez les patientes présentant des fausses couches à répétition (?3), une mise au point pour thrombophilie et lupus [2]. C'est également le moment idéal pour parcourir les vaccins recommandés ou pour détecter des problèmes non connus. "Mesurez la pression artérielle et auscultez le coeur et les poumons. Un examen de la thyroïde et des seins permet de déceler d'éventuels nodules ou anomalies. Faites également un frottis du col, si cela est indiqué, car pour des raisons psychologiques, il est toujours préférable de le faire en dehors de la grossesse." Il est également préférable de détecter et de traiter les problèmes dentaires (de gencives) avant la conception: "Une mauvaise santé dentaire peut affecter l'activité utérine et conduire à des accouchements prématurés, en raison de l'inflammation chronique dont elle s'accompagne", explique le Pr Gucciardo. Le facteur le plus documenté et le plus décisif pour une grossesse en bonne santé est sans doute le poids de départ de la mère. Si l'IMC est trop bas (< 18) ou trop élevé (> 30), il existe un risque accru de diminution de la fertilité, de complications de la grossesse et de risques pour la santé de l'enfant. "Pesez et mesurez votre patiente pour pouvoir aborder ce sujet. Des conseils sur le mode de vie, axés sur des ajustements durables et réalisables, ou une consultation chez un diététicien, peuvent vraiment faire la différence", souligne le Pr Gucciardo. "Et le fait d'impliquer le partenaire dans ces nouvelles habitudes saines augmente considérablement le taux de réussite."Il est logique que l'alcool, le tabac et les drogues fassent l'objet d'une politique de tolérance zéro pendant la grossesse, mais ce message ne suffit pas. "Il est important de dépister un éventuel problème de dépendance et de proposer un plan d'accompagnement si nécessaire", explique Léonardo Gucciardo. "Si la femme veut arrêter de fumer, vous pouvez prendre rendez-vous avec un tabacologue. Si la femme consomme du cannabis ou d'autres substances, il faut essayer de comprendre les raisons psychologiques sous-jacentes."Katrien Beeckman, sage-femme et chercheuse à l'UZ Brussel, a développé le projet Inami "Born in Belgium Professionals". Il s'agit d'un outil numérique gratuit qui permet de dépister les vulnérabilités psychosociales chez les femmes enceintes. À l'aide d'un questionnaire validé scientifiquement, on questionne les femmes sur des items tels que l'isolement social, les problèmes financiers ou l'instabilité du logement, la violence, l'anxiété et la dépression. "Une fois que les éventuels besoins psychosociaux de votre patiente ont été identifiés, la plateforme aide à concevoir un parcours de soins personnalisé, avec la possibilité d'une concertation pluridisciplinaire", explique le Pr Gucciardo. Tout se fait dans le respect de la législation RGPD. Tout comme une dépression non traitée chez la mère peut avoir de graves conséquences pour l'enfant, le stress maternel augmente également le risque de complications (avant et après l'accouchement). "Le stress pendant la grossesse entraîne de nombreuses adaptations négatives, telles que l'activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) avec une augmentation des niveaux de cortisol, ce qui accroît le risque de maladies hypertensives chez la mère", explique le Pr Gucciardo. "En outre, un cercle vicieux peut s'installer, avec la production d'hormones qui peuvent exciter l'utérus, induisant ainsi des contractions prématurées."Un stress incontrôlé peut également entraîner des modifications épigénétiques chez le foetus. Cela peut se manifester avant la naissance par des problèmes de croissance intra-utérine, mais aussi plus tard, sous la forme d'obésité, de maladies cardiovasculaires et d'altération du développement neuro-cognitif (par exemple, un TDAH). "Nous observons alors des changements mesurables et objectifs dans le cerveau, qui résultent du stress et des modifications qu'il peut apporter à certaines séquences de gènes", commente le gynécologue. Il est difficile de parler aux femmes enceintes de leur niveau de stress excessif sans les culpabiliser. "Cela doit être fait en toute sécurité. L'idéal est d'entamer cette conversation avant la conception", commente le Pr Gucciardo. "Nous évaluons le niveau de stress à l'aide d'un questionnaire. Si nous constatons que la mère subit une pression mentale élevée, nous lui proposons un plan d'accompagnement pour apprendre à gérer cet excès de stress de manière autonome, grâce à un programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR)."La pleine conscience présente de nombreux avantages avérés pour la santé personnelle, mais une récente recherche clinique randomisée [3] a montré que les bébés des femmes qui pratiquent la pleine conscience se portent également mieux. Lorsque les mères restent suffisamment zen pendant leur grossesse, le cerveau du foetus se développe mieux et le risque de problèmes de croissance foetale et de troubles hypertensifs diminue. Au cours des deux années de suivi de l'étude, on observe de meilleurs résultats neurocognitifs chez les enfants en bas âge dont les mères pratiquent la méditation. Des avantages similaires sont d'ailleurs attribués au régime méditerranéen par rapport au régime occidental standard. "C'est un état d'esprit. Si vous prenez mieux soin de votre bien-être physique et mental, vous pourrez également mieux prendre soin de votre enfant", conclut le Pr Gucciardo.