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Un certain nombre de gènes de susceptibilité ont été identifiés dans les formes sporadiques de la sclérose latérale amyotrophique (SLA). Par exemple, SMN1 et ATXN2 seraient impliqués dans une augmentation du risque de développer l'affection. Abstraction faite de ces probables prédispositions génétiques, l'hypothèse traumatique paraît actuellement la plus solide pour expliquer la survenue de SLA sporadiques, du moins de certaines d'entre elles. Ont été également suspectés l'exposition à des pesticides ou à des métaux lourds, le tabac, une alimentation grasse, des vaccinations multiples, les entérovirus, le stress oxydatif, les facteurs de croissance, une origine virale, un indice de masse corporelle inférieur à 25, le sport de haut niveau, le dopage, l'excès de glutamate (neurotransmetteur excitateur le plus important du système nerveux central) ou encore une intoxication alimentaire par le bêta-N-méthylamino-L-alanine (BMAA). "Ces hypothèses reposent essentiellement sur des arguments épidémiologiques, mais association d'événements ne signifie pas pour autant relation de cause à effet", insiste le PrGaëtan Garraux, neurologue, responsable du groupe MoVeRe au CHU de Liège et au Giga-CRC In Vivo Imaging de l'Université de Liège. Toutefois, il estime que l'implication du BMAA comme l'un des facteurs causaux est en revanche étayée par de solides arguments scientifiques, par un "lien mécanistique" entre le fait de résider sur l'île de Guam, où le BMAA est présent dans une farine traditionnellement consommée par les habitants, et celui de développer des maladies neurodégénératives. Sur cette île, la population est davantage sujette tant à la SLA qu'à du parkinsonisme ou à des démences. "Comme le phénotype varie, bien que les habitants soient tous exposés a priori au même facteur, probablement faut-il incriminer l'influence de susceptibilités génétiques différentes pour expliquer la variété des affections neurodégénératives surreprésentées sur l'île", dit encore Gaëtan Garraux. Mais comment agirait le BMAA? L'hypothèse communément émise est qu'il serait incorporé à la place d'un autre acide aminé, la sérine, dans certaines protéines. Dès lors, ces dernières pourraient changer de conformation et former des agrégats conduisant à la mort neuronale. Les études anatomopathologiques autopsiques ont révélé la présence d'agrégats de la protéine TAR DNA-binding protein 43 (TDP-43) dans plus de 95% des formes phénotypiques de SLA sporadiques, dans les SLA héréditaires sauf celles qui sont liées à une mutation au locus des gènes SOD1 et FUS, ainsi que chez environ 45% des patients atteints de démence fronto-temporale sans SLA. Initialement, des dépôts de cette protéine avaient été identifiés dans certaines formes de démence fronto-temporale. Elle siège habituellement dans le noyau cellulaire et participe à la transcription de l'ADN. Dans nombre de SLA comme dans certaines démences fronto-temporales, TDP-43, dont la conformation spatiale est modifiée, se délocalise dans le cytoplasme où elle s'accumule, formant ainsi des agrégats qui sont considérés aujourd'hui comme un marqueur spécifique de la neurodégénérescence dans ces affections. "Cause ou conséquence?", s'interroge néanmoins Gaëtan Garraux. Ainsi que le fait également remarquer le Pr Claude Desnuelle, du CHU de Nice, "est-ce le déplacement de la protéine depuis le noyau vers le cytoplasme qui est délétère en entraînant un manque de TDP-43 dans le noyau, ou bien cette accumulation n'est-elle que le témoin inoffensif de l'action maligne d'un autre coupable?" En 2016, un article publié dans la revue Nature Medicine et dont le premier auteur était Wenzhang Wang, de la Case Western Reserve University à Cleveland, suggérait cependant que les dépôts de la protéine prenaient directement part au développement de la SLA parce que, commentait le Pr Desnuelle, " ils sont en fait anormalement localisés dans les mitochondries (organites intracytoplasmiques) où TDP-43 se fixe à l'ADN mitochondrial avec pour conséquence une perturbation de l'assemblage de la chaîne respiratoire et donc de la principale fonction mitochondriale de production énergétique". De surcroît, selon Séverine Boillée, la production même des ARN messagers serait problématique dans les neurones porteurs de mutations du gène TDP-43, perturbant ainsi la synthèse des protéines requises pour le bon fonctionnement cellulaire. "Les modèles actuels soulignent le rôle central d'une interaction pathogène entre TDP-43 et les mitochondries pour le déclenchement de la toxicité dans les protéinopathies TDP-43", indique en outre Gaëtan Garraux. Très rarement, une SLA dite paranéoplasique est la manifestation neurologique d'un cancer implanté dans l'organisme. La physiopathologie de cette forme de SLA demeure inconnue, mais on subodore qu'elle soit le fruit de réactions immunitaires croisées. En effet, on observe dans certains syndromes une réaction immune dirigée contre le système nerveux. Dans le cas présent, l'explication demeure purement hypothétique. "On ne connaît pas encore précisément les facteurs biologiques qui font le lien entre ce type de SLA et certains cancers", commente le Pr Garraux. Point positif: en traitant précocement le cancer, la progression des manifestations neurologiques pourrait être enrayée. Pour les SLA sans lien avec un tableau tumoral préexistant, la médecine se révèle très démunie. Pour l'heure, une seule molécule a fait la preuve d'une certaine efficacité: le riluzole. Elle retarde quelque peu l'évolution de l'affection chez les malades qui y sont réceptifs. "On pense qu'un excès de glutamate figure parmi les mécanismes conduisant à la mort neuronale, explique Gaëtan Garraux. Le riluzole est un médicament antiglutamatergique remboursé par l'Inami pour la seule indication du traitement de la SLA." Une fois en excès dans le milieu extracellulaire, le glutamate serait impliqué dans la physiopathologie de plusieurs maladies, dont l'accident vasculaire cérébral, en raison de la toxicité qu'il présenterait pour les neurones. Outre le riluzole, la prise en charge de la SLA est actuellement focalisée sur ses symptômes - kinésithérapie et médicaments antispastiques face aux problèmes moteurs, myorelaxants et antalgiques pour gérer les douleurs, orthophonie pour les troubles de la parole et de la déglutition, accompagnement psychologique... Par ailleurs, la ventilation non invasive est appelée à suppléer la fonction respiratoire à partir du moment où celle-ci amorce son déclin. En France, la prise en charge de la SLA est confiée à un réseau d'une vingtaine de centres de référence spécialisés et pluridisciplinaires. Depuis leur apparition dans les années 1990, le délai entre la survenue des premiers symptômes de l'affection et son diagnostic est passé de 18 mois à moins de sept mois. En Belgique, des centres spécialisés bénéficiant d'une reconnaissance de l'Inami existent, mais sont rares. "Ils concourent à améliorer le confort de vie des patients et probablement à accroître leur espérance de vie", indique Gaëtan Garraux. De surcroît, l'Inami a désigné quelques centres de référence "conventionnés" des maladies neuromusculaires en vue d'assurer le diagnostic et le traitement de ces pathologies, parmi lesquelles, en plus de la SLA, figurent entre autres les myopathies, les amyotrophies spinales progressives, la myasthénie et les polyradiculoneuropathies. Ces centres n'ont pas cependant l'exclusivité de la prise en charge diagnostique et thérapeutique des patients. Eu égard à la diversité phénotypique de la maladie, un des enjeux majeurs de la recherche sur la SLA est d'en établir une classification nosographique précise et de ranger les patients en groupes plus homogènes. L'identification de marqueurs biologiques ou radiologiques pourrait y contribuer. D'autre part, la mise en évidence de gènes concourant à la maladie et l'élucidation des cascades biologiques impliquées dans sa genèse et son développement sont de nature à baliser des voies thérapeutiques potentielles. Action sur le microenvironnement des neurones, interventions en vue de favoriser la régénérescence neuronale, thérapies cellulaires..., autant de pistes qui sont explorées.