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Début décembre 2020, une enquête en ligne a été réalisée sur les sites du Vif et de Knack à l'initiative de Bodytalk, un magazine de santé grand public édité par Roularta Health Care. Le questionnaire a sondé la volonté des répondants de se faire vacciner, mais aussi leur confiance dans les pouvoirs publics, dans les informations diffusées à propos de la crise du coronavirus et dans la possibilité d'un retour à la "vie normale" d'avant la pandémie. Ils ont également été invités à donner leur avis sur quelques théories du complot. Au total, l'enquête a été complétée par 2.926 personnes - 1.642 francophones et 1.284 flamands, dont une centaine de médecins et de pharmaciens. L'échantillon comportait environ autant de femmes (49,3%) que d'hommes (50,7%) ; 67% des répondants étaient âgés d'au moins 55 ans (un peu moins de 4% en avaient moins de 35) et les trois quarts (76%) affichaient un niveau de formation élevé (baccalauréat, master ou programme post-master). Un tiers étaient pensionnés. Pas moins de 73% des répondants - 84% parmi les plus de 65 ans - suivent quotidiennement l'actualité du Covid dans la presse classique. Un cinquième déclarent s'y intéresser sans nécessairement en prendre connaissance tous les jours... et 3% en ont ras-le-bol et ne suivent tout simplement plus ce volet de l'actualité. Les plus jeunes (moins de 35 ans) semblent s'y intéresser le moins. La confiance dans les médias est modérément positive, avec une note de 6/10 des deux côtés de la frontière linguistique. Les virologues qui s'expriment dans la presse font un peu mieux que la moyenne, récoltant une note de 7,6/10 en moyenne (7,3 en Belgique francophone, 8 en Flandre). Les réseaux sociaux, par contre, sont une source d'information peu populaire: les répondants ne sont que 7% à suivre l'actualité de la pandémie sur Facebook ou Twitter. Même les jeunes ne s'y laissent pas prendre: à peine 8% des moins de 35 ans s'informent par cette voie. Sans surprise, la confiance dans ces plateformes est aussi très faible, avec une cote moyenne de 3,9/10. Notons cependant que les personnes qui ont un niveau de formation moindre accordent davantage de crédit à ce qu'elles lisent sur les réseaux sociaux (5,2/10) que celles qui ont bénéficié d'une éducation plus poussée (3,3/10). Dans l'ensemble, les répondants flamands semblent plus enclins que leurs homologues francophones à faire confiance aux autorités, aux chiffres de Sciensano et au discours de la majorité des médecins à propos du coronavirus. Les plus âgés se fient aussi plus aux sources officielles que leurs cadets. Les répondants les plus éduqués (titulaires de post-master) sont les plus grands fans des chiffres officiels de Sciensano. La majorité des sondés ne croient pas aux théories abracadabrantes concernant l'émergence du coronavirus ("un coup monté pour prendre le contrôle du monde") ou les vaccins ("Bill Gates va y faire introduire une micropuce"). Les rares convaincus se retrouvent plutôt au sud de la frontière linguistique: une cinquantaine de francophones (3%) et 28 Flamands (2,2%) pensent que Bill Gates veut faire ajouter une puce aux vaccins pour contrôler la population. Ce sont principalement des personnes peu qualifiées (diplôme de secondaire uniquement) qui gobent ce genre d'histoire. De façon plus générale, la méfiance est plus palpable dans le Sud du pays, où 28,2% des répondants (vs. 9,7% en Flandre) pensent que les vaccins contre le Covid vont surtout servir à remplir les poches de l'industrie pharmaceutique. Interrogé sur cette différence d'attitude entre régions, le professeur de pharmacologie Jean-Michel Dogné (Université de Namur), également membre de la task force coronavirus, ne semble pas étonné: "Les citoyens francophones sont spontanément plus méfiants vis-à-vis des instances gouvernementales - sans doute un peu parce qu'ils sont tournés vers la France et suivent ce qui se passe là-bas." Or la France est justement le pays d'Europe où le mouvement antivaccination est le plus marqué (lire encadré). D'après le Pr Dogné, le fait que les vaccins soient défendus par des politiciens comme le ministre Vandenbroucke dérange aussi davantage côté francophone. Lui-même anime presque quotidiennement des webinaires pour sensibiliser les prestataires de soins en Belgique francophone (et notamment les médecins et pharmaciens) aux vaccins contre le Covid et à leur importance. "Les citoyens ont davantage confiance dans ces vaccins lorsque c'est leur médecin ou pharmacien qui le leur recommande", assure-t-il. Quant à savoir s'ils seraient eux-mêmes prêts à se faire vacciner dès que ce sera possible, la majorité des sondés (74,6%) répondent par l'affirmative (46% absolument, 28,7% probablement). Lorsqu'on analyse les résultats en fonction des régions, cette proportion atteint 85% en Flandre et 66,5% en Belgique francophone. Si ces chiffres positifs se confirment, le taux de couverture requis de 70% - celui que les experts jugent nécessaire pour maîtriser le Sars-CoV-2 - devrait être atteint sans difficulté en Flandre et au prix d'un petit effort dans le reste du pays, d'autant que les chiffres sont encore plus positifs parmi les répondants les plus âgés, qui représentent aussi le groupe le plus à risque. La campagne d'information est-elle pour autant superflue? Non, évidemment. "Les réactions à l'actualité vaccinale sont émotionnelles", souligne le Pr Pierre Van Damme du Centre d'évaluation des vaccinations de l'Université d'Anvers, également membre de la task force coronavirus. "Les vaccins nous offrent des perspectives, une voie pour nous extraire de la crise... mais si de graves effets secondaires devaient se manifester, la confiance en prendrait inévitablement un coup." En outre, n'oublions pas qu'il ne s'agit ici que d'une enquête non représentative qui a été complétée principalement par des personnes hautement qualifiées, pas par un échantillon reflétant la population belge dans son ensemble. Le timing du sondage aussi a son importance, puisqu'il a été réalisé au moment où on apprenait que PfizerBioNTech était parvenu à développer un vaccin efficace. Vous vous souvenez certainement de l'enquête réalisée l'automne dernier auprès de plus de 800 médecins par le journal du Médecin. À l'époque, il n'était pas encore question de vaccins efficaces et 33% des répondants hésitaient encore à se faire immuniser... mais une telle position peut changer du jour au lendemain avec la perspective d'un vaccin contre le Covid à la fois efficace et sûr, même chez les médecins. Reste que 17% des personnes ayant participé à l'enquête de Bodytalk déclarent ne pas souhaiter ce vaccin (7,4% absolument pas, 9,3% probablement pas). Là encore, comme on pouvait s'y attendre, les citoyens francophones se montrent plus réservés, puisqu'ils sont deux fois plus nombreux que leurs homologues flamands (22,4 vs. 9,3%) à ne pas souhaiter de vaccin contre le Covid. Le Sud du pays reste donc plus méfiant face aux vaccins, comme c'était déjà le cas avant cette pandémie. Si la rapidité des essais de phase 3 sur les premiers vaccins Covid a initialement suscité une certaine méfiance, une courte majorité de sondés préférerait malgré tout recevoir le leur sans délai (36%) ou dans les trois mois (23%). Là encore, on observe une différence marquée entre les groupes linguistiques: en Flandre, près de la moitié des répondants (47,4%) aimeraient être vaccinés le plus vite possible, tandis que leurs homologues francophones ne sont qu'un quart (27,8%) à partager cette position. C'est surtout parmi les plus âgés que l'impatience est palpable. Parmi les personnes qui ne souhaitent pas être vaccinées ou qui se tâtent encore, 64% évoquent pour expliquer leurs réticences la vitesse excessive à laquelle le vaccin a été développé, qui leur fait craindre une évaluation bâclée, et 62% s'inquiètent de possibles effets secondaires graves. Les vrais opposants au vaccin ne représentent toutefois, dans cette enquête, qu'une toute petite minorité (< 3%). La majorité des répondants croient à l'utilité des vaccins en général, mais hésitent dans ce cas précis en raison des questions de sécurité susmentionnées. Enfin, un petit groupe (8%) ne perçoit tout simplement pas le coronavirus comme une menace. Il se compose principalement de sujets relativement jeunes (< 44 ans), qu'il s'agira donc de convaincre de l'importance de l'immunité collective. En dépit de l'optimisme voire de l'enthousiasme face à la vaccination individuelle, à peine six répondants sur dix (64%) pensent qu'elle permettra de revenir à la vie normale d'avant la pandémie, un quart (26%) sont convaincus du contraire et 10% doutent. La vision de l'avenir semble d'autant plus optimiste que le niveau de formation est élevé. Les personnes avec un plus faible niveau d'éducation, souvent plus durement touchées par la crise, tendent à être moins positives.