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La crise du coronavirus a eu un impact important sur la vie sociale des jeunes et sur leur santé mentale et physique. L'enquête sur le bien-être mental des jeunes menée auprès d'un échantillon de 1.000 Belges francophones et néerlandophones âgés de 16 à 25 ans le montre bien. 82% des jeunes ont été fortement impactés. Plus d'un jeune sur deux ont rencontré des difficultés d'ordre mental ou psychologique, un sur quatre a connu des moments très difficiles au niveau financier, et 45% d'entre eux indiquent avoir vécu des sentiments de panique, des crises d'angoisse, un sentiment de solitude ou encore une perte d'appétit ou un manque excessif de sommeil. Quant aux problèmes physiques, quatre jeunes sur dix précisent avoir souffert de maux de tête, de dos, de ventre ou de palpitations cardiaques. Et ce sont les filles qui en sont davantage victimes: avec un ressenti de peur, de solitude, de stress et d'inquiétude pour leur avenir, et avec une consommation plus importante d'antidépresseurs. Toujours selon l'étude, la crise du coronavirus a néanmoins eu quelques aspects positifs car on a pu constater un rapprochement avec la famille dans certains cas. Pour la moitié des jeunes, une vie plus agréable et paisible s'est ressentie suite aux restrictions de contact. "La santé mentale doit devenir une priorité de notre santé publique", exprime Xavier Brenez, CEO de l'Union nationale des Mutualités libres (Mloz) " Nous savons que c'est un parent pauvre et que la crise a malheureusement mis en avant ses faiblesses", poursuit-il. "La pandémie nous a tous impactés dans notre santé physique et mentale, mais elle a plus impacté certains groupes que d'autres, comme les personnes avec des incertitudes financières et les personnes isolées. Par ailleurs, ce sont surtout les jeunes qui en ont le plus souffert, payant un lourd tribut en termes de santé mentale."Quand on est jeune, on aspire à plus de liberté et on fait face aussi a toutes sortes de pressions, comme le lancement dans une vie affective et professionnelle. Cette pression, combinée avec la crise sanitaire, l'isolement social et la privation de liberté, a créé un certain nombre d'incertitudes sur l'avenir. Comme l'exprimait le Dr Hans Henri Klugge (directeur régional pour l'Europe à l'OMS) dans son intervention lors du symposium: " Il ne faut pas seulement faire un constat de ce que nous avons vécu, mais il faut trouver des solutions. Nous devons investir dans la génération suivante parce que nous savons que ces problèmes vont s'installer dans le temps, vont prendre du temps, et nous devons prendre une série d'initiatives pour éviter d'avoir une génération sacrifiée."Si certaines actions ont porté leurs fruits chez nous comme la téléconsultation, permettant plus de consultations psychologiques chez les jeunes de 16 à 25 ans, cela reste insuffisant par rapport aux besoins, estime Xavier Brenez. Car beaucoup de jeunes sont encore sur des listes d'attente que cela soit dans les centres de santé mentale ou chez les psychologues indépendants. La santé mentale doit être reconnue au même titre que la santé physique, estime-t-il d'ailleurs. " Il faut veiller à faire des actions préventives importantes, notamment durant les études secondaires." En effet, l'adolescence est un âge clé. 50% des problèmes de santé mentale se déclarent vers l'âge de 14 ans. " Il est important de faire de la détection précoce et de prévoir les traitements adéquats. Il y a tout un travail de démystification à faire également en matière de santé mentale, d'où l'importance de faire de la littératie en santé dans ce domaine-là, et l'importance d'avoir des processus intégrés entre les différents professionnels de la santé et de la santé mentale." Cependant, les soignants ne sont pas nécessairement bien armés . "A ce niveau-là, il est nécessaire de les former, de mettre à disposition des outils de bonnes pratiques", ajoute Xavier Brenez . L'accessibilité des services de proximité est également un point important et ce spécifiquement pour les groupes cibles plus impactés qui demandent des réponses adaptées. " Et même si le gouvernement a débloqué 100 millions pour tout ce qui est du service de santé mentale, ces ressources restent insuffisantes. Dans l'avenir, il faudra prévoir plus de ressources financières qui se traduiront dans une meilleure offre structurée, que ce soit pour la première ligne ou pour des situations plus critiques", insiste le directeur général des Mutualités libres. Enfin, on ne peut que plaider pour une meilleure collaboration entre les gouvernements fédéral et régional, au niveau des services de santé mentale, conclut Xavier Brenez . "Il est important d'avoir une coopération, pour éviter une rupture dans la chaîne des soins de santé mentale." Le Dr Véronique Delvenne, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent, cheffe de service de pédopsychiatrie à l'Huderf, et professeure de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'ULB, a présenté lors de ce symposium, l'impact de la crise sur les jeunes et les actions à prendre de son point de vue de pédopsychiatre. Dans cette crise sanitaire, le Dr Delvenne est amenée à rencontrer les problèmes les plus sévères. Des problèmes qui existaient déjà avant la pandémie mais qui se sont amplifiés avec la crise. Selon l'OMS, avant la crise du Covid, 20% des jeunes présentaient déjà des problèmes de santé mentale dont 4 à 6% nécessitaient une intervention clinique mais plus d'un quart de ceux-ci ne la recevait pas. Une augmentation de 50% de cette demande était prévue par l'OMS entre 2015 et 2025, sans la crise. "D'après le rapport CSS publié en juin, durant le premier confinement, il y a eu très peu d'interventions cliniques et la demande a explosé fin de l'année 2020", explique le Dr Delvenne . "Il y a eu beaucoup d'urgences, de débordements au service psychiatrique de l'Huderf à ce moment-là, et depuis, les demandes sont nombreuses et sévères", témoigne-t-elle . "Suite à ces débordements, nous nous sommes battus pour qu'une série de mesures soient prises au niveau politique: une augmentation des politiques de réseaux, des lits de jours, ...et ces mesures se poursuivent à l'heure actuelle. Bientôt des programmes de psychologues de première ligne et de psychologues spécialisés vont être implémentés.""On peut considérer qu'en santé mentale, il y a différents niveaux d'intervention", explique la pédopsychiatre. " Il y a le niveau d'aide informelle, ensuite les services de soins primaires et puis les services de santé mentale et enfin ceux de pédopsychiatrie universitaire. Pendant le confinement, les services d'aides et les services sociaux, étaient souvent en télétravail. Les contacts sociaux étaient réduits. De plus, il y a eu une rupture scolaire. La conséquence de tout cela a été une augmentation des urgences pédopsychiatriques de 150% à 250%. Le pic a été maximal entre novembre et avril. On a eu des troubles anxieux, dépressifs, des tentatives de suicide, des automutilations, une augmentation des troubles de conduites alimentaires, de la maltraitance intrafamiliale, mais aussi des hospitalisations contraintes pour des jeunes de moins de 18 ans", ajoute le Dr Delvenne. "Les hautes pathologies ont augmenté durant la crise et les autres partenaires d'intervention ne pouvaient pas gérer ce genre de pathologie. C'est pourquoi les hôpitaux étaient en situation de souffrance."Durant la crise, une étude transversale a été menée à l'Huderf par le service de psychiatrie, sur des enfants de 7 à 17 ans, avec des outils cliniques diagnostiquant les troubles sévères. Chez ces enfants, un seuil de 20% a été atteint, présentant des scores cliniques de dépressions modérées à sévères, avec surtout des symptômes d'angoisse et de dépression. " Un score corrélé à celui des parents car il y a un parallélisme entre l'état des enfants et des parents", précise le Dr Delvenne ."Mais du côté professionnel aussi la crise a été difficile", se rappelle-t-elle. " On a tous vécu la situation en tant que citoyen, mais à cela s'ajoutait la charge psychosociale des hôpitaux, le manque d'infirmiers, beaucoup plus important maintenant que l'année dernière, des lits qui sont fermés, l'absentéisme dû à la maladie, le surmenage, le stress, le débordement, des contraintes et des logiques hospitalières qui sont d'ordre budgétaire et des démissions", détaille Véronique Delvenne ."Des études ont prouvé que si on investissait plus dans des programmes entre zéro et trois ans, le retour sur investissement, en terme de capital humain, serait plus important que si on le faisait chez des adolescents ou des adultes", affirme le Dr Delvenne . "Une autre étude de la 'London school of Economic' a montré que le poids de l'intervention au niveau des jeunes mères et en périnatalité est essentiel au bien-être de la société de demain, sachant que la crise a fait augmenter les violences intraconjugales et familiales, la précarité et a aggravé aussi la fragilité des systèmes. C'est donc important de maintenir cet effort en petite enfance", insiste-t-elle ."Car l'anténatal et les mille premiers jours sont les plus importants", ajoute-t-elle . "Tout aspect toxique dans cette période peut être nocif sur la construction du cerveau du bébé. Une mère déprimée, en violence conjugale, aura un impact majeur sur la suite. Les incidents périnataux et postnataux, et tout ce qu'on appelle les événements de vie adverses dans la petite enfance, à savoir des négligences, de l'abus, des parents malades mentaux, des violences domestiques...ont un impact majeur." Une personne qui a plus de six événements problématiques dans la petite enfance, a plus de probabilités de mourir 20 ans plus tôt. Elle aura trois fois plus de risque d'avoir des problèmes de maladies pulmonaires, 14 fois plus de risque de faire une tentative de suicide, cinq fois plus de développer une dépression et onze fois plus de risque de consommer des drogues intraveineuses . "Et 67% de la population a au moins un évènement de vie difficile dans sa petite enfance", ajoute la pédopsychiatre. "Donc plus on multiplie les événements compliqués, plus la charge pathologique est élevée. C'est là que se construit aussi la psychopathologie de demain. C'est donc un appel adressé au ministre de ne pas geler les budgets de la petite enfance qui sont essentiels à la génération future, à ceux qui auront 20 ans dans 20 ans."L'intervention précoce c'est aussi le repérage des troubles neuro-développemenaux précoces, durant l'adolescence, en âge de transition . "C'est le repérage de symptômes qui peuvent paraître légers, mais qui peuvent être à l'aube de certaines pathologies plus sévères si on n'intervient pas précocement", précise le Dr Delvenne. "Or ces programmes de prévention précoce sont fragilisés dans le contexte de la crise actuelle", affirme-t-elle.