Le 9 novembre dernier, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles s'est penché sur la santé mentale des jeunes. Pour le Pr Olivier Luminet (UCLouvain), il faut considérer ce sujet comme une priorité absolue pour la prochaine législature.
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Le débat s'est engagé après la projection du documentaire "Tout va s'arranger (ou pas)", réalisé en 2022 par Pierre Schonbrodt. "L'idée était d'avoir une discussion sur la santé mentale des jeunes, avec les députés des commissions Éducation, Enfance et santé et Aide à la jeunesse", explique Olivier Luminet, professeur de Psychologie de la santé à l'UCLouvain et coprésident du groupe 'santé mentale' au Conseil supérieur de la santé (CSS). À partir du témoignage de jeunes en souffrance, le réalisateur tente de comprendre le mal-être d'une jeunesse marquée par deux années de confinement. Trois d'entre eux étaient présents au parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles pour témoigner de l'évolution de leur ressenti. "Ce documentaire très émouvant était une bonne entrée en matière. Il a permis d'avoir ensuite une discussion ouverte sur la situation et les solutions à apporter."Trois points essentiels ont été mis en exergue. "On manque d'indicateurs précis qui permettraient de mieux orienter les campagnes d'intervention et de prévention", souligne le Pr Luminet. "Début 2021, on a mené une grande enquête sur la santé mentale des jeunes qui a révélé des chiffres alarmants. À ce moment-là, la Fédération Wallonie-Bruxelles était vraiment innovatrice, c'était un des premiers lieux où on faisait une enquête aussi systématique sur ces questions, où on parlait de l'impact de la crise sanitaire sur les jeunes. Aujourd'hui, un baromètre de la santé mentale des jeunes existe du côté flamand, mais pas du côté francophone. Il y a donc un besoin urgent de disposer d'un tel baromètre qui permettrait, quelques fois par an, d'investiguer la situation chez les jeunes. Idéalement, les 12-25 ans."La discussion a également porté sur la nécessaire déstigmatisation de la santé mentale. "Socialement, on n'est souvent pas prêt à invoquer un problème de santé mentale. La seule chose admissible, c'est de parler de burn-out, par exemple. Or, dans les pays anglo-saxons, il y a une plus grande ouverture. En Belgique, il serait important de reconnaître que santé mentale et physique vont de pair: il faut insister sur ces liens profonds."Olivier Luminet rappelle les sages propos d'un économiste de la London School of Economics, David McDaid, émis lors de la journée 'Santé mentale et résilience en période de polycrise', organisée par le CSS en mars dernier. "Il a expliqué que tout pays qui néglige la santé mentale s'expose à une série de conséquences: moins bons résultats dans l'éducation, moins de diplômés... Cela impacte le marché du travail, les comportements de santé, diverses consommations (tabac, alcool...), la santé physique, les comportements antisociaux et cela contribue à augmenter les indicateurs de psychopathologie grave (suicide...). Les dégâts ne sont pas circonscrits à un petit groupe de personnes qui iraient moins bien, cela bouleverse tout le système économique.""Avoir moins de diplômés va poser des problèmes évidents plus tard. Le décrochage scolaire n'a pas que des effets immédiats, mais aussi en cascade sur le long terme. C'est pour ça qu'il faut agir assez rapidement. Je voulais insister là-dessus parce que j'ai l'impression qu'au niveau des sphères économiques, une prise de conscience commence à avoir lieu, mais que cela ne percole pas encore suffisamment au niveau politique." Les solutions ne sont pas nécessairement coûteuses, estime le psychologue: "Dans un premier temps, la priorité, c'est d'investir dans la prévention primaire. Le politique a pris conscience des besoins psychologiques de la société: au niveau fédéral, le ministre Frank Vandenbroucke a décidé de rembourser des séances de psychologie et, au niveau wallon, la ministre Christie Morreale a aussi engagé des psychologues. Mais il s'agit de prévention tertiaire, ce qui coûte le plus cher et nécessite les soins les plus longs." Pour Olivier Luminet, la prévention primaire pourrait commencer dès l'école. "C'est vraiment un endroit idéal pour agir. D'une part, en sensibilisant et formant les enseignants à mieux détecter les signes de détresse en classe, avoir des indicateurs qui leur permettraient de repérer des enfants en difficulté psychologique et de les prendre en charge, par le PMS ou des spécialistes.""D'autre part, en ouvrant l'école à des professionnels de la santé mentale pour proposer des groupes de parole où les enfants pourraient, librement et ouvertement, discuter de ce qui leur fait peur, les angoisse... Qu'ils puissent se rendre compte qu'ils ne sont pas seuls dans cette situation. C'est ce qu'on voit dans le film de Pierre Schonbrodt. Pouvoir en parler, c'est déjà une première étape qui rassurera un certain nombre de jeunes qui, sinon, risquent de garder cette inquiétude pour eux et de devenir à terme plus fragiles, dans des situations de stress, par exemple.""Une mesure simple comme introduire des espaces de parole dans les écoles, avec des professionnels qui le mettent en place, cela ne représente qu'un budget de quelques millions d'euros. C'est raisonnable, ce qui est compliqué, c'est que les effets ne sont pas directement observables. C'est sans doute pour ça que les politiques ont accepté d'investir en fin de parcours, en remboursant les psychologues pour la prise en charge des gens qui vont déjà mal...", se désole-t-il. "Investir dans la prévention en santé mentale, c'est non seulement le moyen de rendre notre jeunesse actuellement désabusée plus heureuse, mais c'est en plus le moyen d'assurer une société apaisée. Contrairement à beaucoup de problématiques actuelles pour lesquelles le politique n'a qu'une prise partielle sur les événements, ici, de nombreux leviers efficaces pourraient être activés, et pour des montants plus que raisonnables en comparaison d'autres investissements.""C'est cette idée que chaque euro investi dans la prévention rapporte à la société et évite un nombre important de maladies, aussi bien physiques que mentales. Cette séance au parlement de la FWB a permis une ouverture pour certains députés par rapport à des questions qu'ils ne percevaient peut-être pas encore comme suffisamment importantes", conclut le Pr Luminet.