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Il y a 40 ans déjà, début décembre 1980, se suicidait à Paris Romain Gary. Auteur célébré et contesté, cet écrivain a mêlé durant toute son oeuvre, dans ses romans, récits fictionnels et événements autobiographies ( La promesse de l'aube), mais sans jamais se vanter ou d'affabuler à l'instar d'un Malraux qu'il admire. Primé à deux reprises par le Goncourt (en tant que Romain Gary, puis sous le pseudo d'Émile Ajar), il eut la mauvaise idée de déployer ses récits au temps de la sécheresse célébrée du nouveau roman. De son style fluide et dès lors populaire, Roman Kacew - de son vrai nom -, fils d'une immigrée juive lituanienne, mère célibataire installée à Nice, développe un art consommé du récit, ce conteur né s'essayant même au théâtre ou au cinéma (ses deux films, très datés, sont désormais irregardables). Reste que ses livres, qui évoquent des thèmes universels tels que la vieillesse ( Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable) sont marqués par les deux guerres ( La promesse de l'aube, Éducation européenne, Les cerfs-volants) et, en creux, par l'extermination des Juifs d'Europe. Un auteur qui saisit l'air du temps et se fait volontiers prophétique, par exemple concernant l'Amérique ( Chien blanc) ou la question écologique ( Les racines du ciel). Ce graphomane invétéré ( près de 40 romans), ce tombeur qui redoute l'amour (sauf celui de sa mère), traité de ringard dans les années 60 car rester fidèlement gaulliste (la fidélité au général fut pour lui un autre acte de... résistance), à la fois délicat et grivois, voit son oeuvre, débarrassée des entraves de la mode, reconnue à sa juste valeur, au point d'entrer aujourd'hui dans La Pléiade, sorte de Panthéon des lettres françaises. Un homme viril, dont l'apparente assurance frisait l'arrogance, et à qui, dès son plus jeune âge, sa mère avait prédit au jeune Roman - avec un tel prénom, il ne pouvait qu'écrire -, qu'il deviendrait "quelqu'un"... À la fin de sa vie, lorsqu'il publie sous le faux nom d'Ajar, à force de se cacher derrière ses personnages, Romain Gary finit paradoxalement par ne plus être... personne.