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"L e cannabis est la troisième drogue la plus consommée au monde. Il contient plus ou moins 60 composants, dont les deux plus connus sont le D -9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Le THC est la substance psychoactive et le CBD, c'est la partie médicale du cannabis, l'alcaloïde qui a un potentiel analgésique et tranquillisant", a précisé le Dr Pol Thomas (CPAS Bruxelles) lors des Journées d'enseignement postuniversitaire de l'AMUB (décembre 2020).(1)Les produits dérivés du CBD (taux de THC <0,2%) sont en vente libre en magasin et sur internet. Le cannabis médical ne devrait contenir que du CBD de qualité pharmaceutique (et pas de THC). En Belgique, seul le Sativex (spray, 2,7mg/100ml de THC et 2,5mg/ml de CBD) est disponible. " Le problème du Sativex c'est qu'il contient du THC, donc les principaux effets indésirables vont être les effets psychogènes. Il n'est indiqué que pour la spasticité dans la SEP et ne peut être prescrit que par un neurologue ou un neuropsychiatre." Le Dr Thomas et ses collègues (2) ont fait une recherche des recommandations concernant le CBD dans la littérature, en retenant les méta-analyses et les revues systématiques. " Pour les nausées et vomissements, le CBD est fortement non recommandé, qu'il s'agisse de la population générale, des femmes enceintes, y compris l'hyperemesis gravidarum." Pour les nausées et vomissements induits par la chimiothérapie, c'est un peu plus intéressant, poursuit-il: " Une magnifique étude de 2015 s'est intéressée à des patients analysés entre 1975 et 1995 et montre une plus-value des cannabinoïdes par rapport au métoclopramide et à la dompéridone. Or, depuis 1995, on a des médicaments plus efficaces comme l'ondansétron. A l'heure actuelle, il n'y a pas de comparaison des cannabinoïdes avec ce médicament, raison pour laquelle les recommandations disent d'éviter le cannabis en première et deuxième intention. Si vous envisagez quand même de prescrire des cannabinoïdes à vos patients, il faut d'abord essayer les traitements standards, ensuite, ils doivent être pris en appoint à d'autres traitements et, dans ce cas, c'est la nabilone qui est recommandée (pas disponible en Belgique)." En cas de douleur aiguë non cancéreuse, le cannabis est fortement non recommandé et les auteurs mettent systématiquement en garde contre les effets secondaires psychiatriques. Et pour les douleurs chroniques non cancéreuses? " C'est intéressant parce que pas mal d'études montrent une efficacité des cannabinoïdes dans les douleurs neuropathiques, mais une inefficacité dans les douleurs de type syndrome de fibromyalgie. Il y a une mise en garde: les études précisent que le NNT (nombre de sujets à traiter) est élevé et le NNH (nombre nécessaire pour nuire) est faible. La deuxième mise en garde concerne une interférence avec les anti-épileptiques souvent prescrits dans les douleurs chroniques."" La forte recommandation sera d'éviter les cannabinoïdes pour les douleurs non cancéreuses, précise Pol Thomas. Si vous décidez quand même d'en prescrire: il faut informer le patient, il doit s'agir d'un traitement d'appoint et il faut au moins essayer de façon raisonnable trois antalgiques". Enfin, pour les douleurs cancéreuses en soins palliatifs: " Contrairement à ce qu'on a longtemps cru, les cannabinoïdes oromuqueux ne semblent avoir aucun effet sur la douleur, ni sur les problèmes de sommeil, ni sur la consommation d'opioïdes. Les recommandations sont d'éviter les cannabinoïdes médicaux en traitement de première ou deuxième intention. Si le clinicien les envisage, il faut une information éclairée du patient, un essai thérapeutique raisonnable avec au moins deux antalgiques et garder les CBD en traitement d'appoint au traitement classique." " Il y a une superbe revue systématique où les chercheurs concluent que le cannabis pourrait avoir un effet modeste sur les douleurs ou la spasticité dans la SEP. Les guidelines préconisent d'éviter les cannabinoïdes médicaux en traitement de première ou deuxième intention en raison de l'absence de données probantes et des torts connus. S'ils sont envisagés, le nabiximols est recommandé." Le Dr Thomas indique encore que les guidelines anglais recommandent un essai de quatre semaines de THC sous forme de spray et de continuer dans cette voie si la personne a au moins 20% de diminution de symptômes liés à la spasticité. " Dans la connaissance populaire, le cannabis est le traitement naturel du glaucome parce que c'est un agent hypotenseur de la pression intraoculaire. Finalement, on se rend compte que ce n'est pas le cas parce que cet effet est contrecarré par ses effets neurologiques et cardio-vasculaires." Les études portent surtout sur des formes rares et graves d'épilepsies pédiatriques pharmaco-résistantes: avec le CBD, on observe une diminution de la fréquence des crises, mais aussi une augmentation des effets indésirables. " Les recommandations NICE stipulent que le cannabidiol associé au clobazam est recommandé comme option pour le traitement des convulsions associées au syndrome de Lennox-Gastaut chez les sujets de deux ans et plus, uniquement si la fréquence des crises est vérifiée tous les six mois. Il est arrêté si la fréquence n'a pas baissé d'au moins 30% par rapport aux six mois précédant le début du traitement." " Il y a deux types de récepteurs au cannabis (CB1, CB2). Le CB1 a un effet orexigène. Grâce aux recherches sur le cannabis et ses récepteurs, les chercheurs pensaient donc avoir trouvé un traitement contre l'obésité. Ça fonctionne en laboratoire si on bloque le récepteur CB1 chez des souris obèses, mais pas chez l'homme. Le rimonabant donnait une perte de poids limitée à 4 kg, mais il a été retiré du marché en 2008 à cause de ses effets secondaires psychiatriques et d'un risque de suicide. Actuellement, les guidelines américaines ne préconisent pas d'interférer avec le système des cannabinoïdes dans la prise en charge de l'obésité." " On entend beaucoup parler du cannabis dans cette indication", reconnaît-il . "Une récente étude du Lancet (2019) dit qu'il y a vraiment très peu de preuves, que ce soit dans les symptômes dépressifs, les troubles anxieux, le TDAH, le TSPT et les psychoses." Selon une revue systématique sur la sécurité des cannabinoïdes ces 40 dernières années, la grande majorité (96%) des effets indésirables sont non sérieux: vertiges, fatigue, nausées, anorexie, xérostomie, somnolence... Quelques effets secondaires sérieux ont été relevés: troubles de l'humeur, idées suicidaires, délires, arythmie chez des patients BPCO, convulsions, troubles hépatiques, pneumonies, thrombophlébites... " Le principal problème de ces études c'est que la médiane d'exposition était de deux semaines: on n'a donc pas vraiment de recul, ni d'idée sur les effets secondaires à long terme du CBD. Les trois grandes contre-indications des cannabinoïdes sont la grossesse, l'allaitement et la conduite d'un véhicule ." " A l'heure actuelle, on a très peu de preuves sur l'efficacité et la sécurité des cannabinoïdes. Mais si vous décidez quand même d'en prescrire, je recommande de ne jamais le faire en première intention, d'essayer raisonnablement le traitement reconnu avant, il doit toujours s'agir d'un traitement d'appoint et enfin, il faut réévaluer l'efficacité et la dangerosité avec des critères objectivables", souligne-t-il. Ainsi, à la question de savoir si le CBD fait partie de son arsenal thérapeutique, le Dr Pol Thomas répond par la négative: " Quand un patient en prend déjà, s'il n'a pas trop d'effets secondaires, cela n'a pas de sens de le lui interdire, mais ce n'est pas une raison pour en préconiser non plus..."