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Le grenier de mes grands-parents regorgeaient de trésors parmi lesquels les premiers albums du Journal Spirou figuraient en bonne place. C'est à travers eux que j'ai découvert les aventures de Buck Danny par le biais de quelques planches jaunies de l'épisode La revanche des fils du ciel. Les aventures de Buck Danny constituent un monument de la bande dessinée franco-belge de la grande époque, celle de Hergé, de Franquin, de Jijé, de Will, de Morris, de Jacques Martin, de Jean Graton, des époux Funcken, de Bob de Moor, de Jacobs, de Henri Vernes, de Peyo, etc. Elles sont constituées de trois corpus différents: celui de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon (tomes 1 à 40) ; celui de Bergèse (tomes 41 à 52) ; celui de Zumbiehl (tomes 53 à 58, série classic). Lorsque les premières planches de l'aventure Les Japs attaquent paraissent en 1947, les lecteurs découvrent un héros appelé à devenir un des personnages marquants de la BD franco-belge. Buck Danny, le jeune ingénieur, reconverti en pilote de chasse, se voit adjoindre Sonny Tuckson, expert en gaffes et pitreries et Jerry Tumble. Pendant près de 40 ans, le trio figure parmi les as de l'aéronavale américaine. Il est ainsi de toutes les guerres dans lesquelles les États-Unis se sont engagés depuis 1945. Il est partie prenante de toutes les percées aéronautiques américaines depuis les aventures du X13 et du X15 jusqu'au programme Mercury. Il est impliqué dans certains des grands enjeux de la société américaine (la lutte contre la drogue). Hubinon meurt en 1979, laissant la série orpheline. Charlier se tourne alors progressivement vers Francis Bergèse. En 2008, ce dernier cède la main à une jeune équipe animée par le scénariste Frédéric Zumbiehl, ancien pilote de chasse. Lorsque Zumbiehl entame une collaboration avec Formosa, il renoue avec le "Spectre", cette mystérieuse organisation, dirigée par Ernst Stavro Blofeld, contre laquelle James Bond va lutter, notamment dans James Bond 007 contre Dr No et dans Bon baisers de Russie. L'objectif du "Spectre" est d'acquérir la domination du monde en affaiblissant les deux superpuissances de la Guerre froide, l'URSS et les USA. Zumbiehl reprend cette thématique intégralement à son compte. Mais il l'enrichit quant au choix de l'arme choisie par le "Spectre" pour accéder à cette puissance politique quasi absolue. En effet, le "Spectre" mise sur une pandémie liée à un virus fabriqué de toutes pièces en laboratoire. Avant de le répandre sur la terre, il doit s'assurer d'un vaccin fiable afin de protéger ses membres (que l'on songe au programme actuel de vaccination à l'échelle mondiale). Pour réaliser ce plan, le "Spectre" fait appel à la vieille ennemie de Buck Danny, Lady X. Le "Spectre" de Zumbiehl renoue avec cette intention de guerre en utilisant toutes les ressources de la bactériologie, de la virologie et de la génétique moléculaires qui n'ont cessé de se développer tout au long du 20e siècle. Le cycle Formosa-Zumbiehl (1) rejoint deux questions de grande actualité en cette période de pandémie. Tout d'abord, le Sars-Cov-2 est-il d'origine artificielle (surgi accidentellement dans le laboratoire de virologie de Wuhan spécialisé dans les coronavirus) ou naturelle (il serait alors responsable d'une nouvelle zoonose)? Ensuite, le Sars-Cov-2 est-il une arme biologique? Plus d'un an après l'émergence du Sars-Cov-2, la question de son origine reste grevée d'incertitudes. Des études phylogénétiques ont récemment permis de bien clarifier les différentes hypothèses(2).Schématiquement, deux hypothèses s'affrontent. Selon la première et la mieux partagée, le Covid-19 serait une zoonose. Selon la seconde, le virus se serait échappé d'un laboratoire virologique. Cette seconde hypothèse se diffracte en deux sous-possibilités: a) Le Sars-Cov-2 se serait généré lors d'expériences in vitro et se serait échappé accidentellement: b) Le Sars-Cov-2 serait un virus produit artificiellement par l'homme? Soit l'hypothèse d'une nouvelle zoonose, le réservoir étant une espèce de chauve-souris. Les chauves-souris sont connues pour héberger de très nombreux virus sans être affectées par eux. Ce parasitage permet une évolution des virus par recombinaison génétique. Dès lors, le Sars-Cov-2 serait un variant ayant franchi la barrière interspécifique par une plus grande affinité du domaine RDB de sa protéine de surface "S" pour le récepteur-hôte, le récepteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2. À défaut d'une démonstration irréfutable d'une espèce intermédiaire, l'hypothèse d'une origine par échappement d'une expérience de laboratoire ne peut pas être exclue. En effet, de nombreux laboratoires de virologie travaillent sur des protocoles visant à des "gains de fonction" dans l'interaction entre RDB et le récepteur-hôte. En revanche, que le Sars-Cov-2 soit un virus créé de toutes pièces en laboratoire est exclu. En effet, aucun génome des différents variants ne montre de signes de manipulation intentionnelle par l'homme. L'ampleur de la pandémie amène certains à soulever la question importantissime d'un renforcement des contrôles des expériences in vitro visant à améliorer l'adaptabilité de certains virus à l'espèce humaine. Dans la mesure où le Sars-Cov-2 n'est pas une création artificielle de l'homme, il n'est pas une arme biologique. Cependant, la pandémie risque bien d'être vue a posteriori comme un des facteurs ayant accéléré le processus de recentrement géopolitique de la planète sur l'Asie, en cours depuis une centaine d'années. En effet, l'Inde et la Chine ne se sont-elles pas lancées dans une politique de don des vaccins à différents pays dont ils recherchent l'adoubement futur? La publication du dernier album des aventures de Buck Danny, Le pacte, n'intéressera pas seulement les bédéphiles ou les amateurs de James Bond. Il se révèle aussi d'une grande actualité par la mise en scène d'une guerre biologique sur la toile de fond d'un affrontement planétaire (3).Quelle est l'origine du virus, dont on nous précise dans l'album qu'il mute fréquemment, comme le Sars-Cov-2? Tant nos laboratoires que ceux du "Spectre" engagent des moyens considérables pour fabriquer un vaccin. Dans notre situation réelle, ce n'est pas le virus mais le vaccin qui est utilisé comme arme de redéfinition de nouveaux équilibres géopolitiques. Cette lecture, qui renoue avec un monument de la BD franco-belge, peut satisfaire notre besoin d'évasion, si malmené par les confinements mais indissociable de notre humanité? Ce besoin quasi-viscéral pourra aussi peut-être aider notre esprit à méditer sur les grands bouleversements qui se déroulent sous nos yeux et qui touchent à tous les équilibres de l'ordre (ou du désordre?) humain.