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"L a détresse psychologique est fréquente chez les patients atteints de cancer, l'anxiété et la dépression en sont les manifestations cliniques les plus courantes. Dans certains cas, le cancer peut représenter un événement traumatique entraînant un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) ou des symptômes du SSPT. Actuellement, la thérapie de désensibilisation et de retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) est considérée comme un traitement fondé sur les preuves pour le SSPT (reconnu par l'OMS en 2013), et des études récentes ont également montré son efficacité contre l'anxiété et la dépression. Dans ma pratique, j'ai vu que cela pouvait aider pour accompagner les patients et les familles", a expliqué Vanessa Grandjean, psychologue à la Clinique du sein et équipe mobile soins palliatifs du Centre hospitalier de Luxembourg (CHL), lors du séminaire organisé le 6 décembre dernier par l'Unité de recherche en Psychosomatique et psycho-oncologie de l'ULB, en collaboration avec la Clinique de Psycho-Oncologie de l'Institut Jules Bordet et le Centre de Psycho-Oncologie. Selon le DSM-5, l'ESPT (État de SPT) est un trouble anxieux qu'une personne peut développer après avoir vécu une situation effrayante ou mettant sa vie en danger. Il est souvent associé à des événements traumatiques (guerres, attaques sexuelles et physiques, catastrophes naturelles, accidents graves...). " On peut imaginer que pas mal des patients en oncologie (et soins palliatifs) en souffrent. Ceux qui, confrontés au diagnostic et ont cette peur de la mort, peuvent commencer à avoir des symptômes de SPT", fait-elle observer. Dans l'ESPT, 4 types de symptômes coexistent (la reviviscence, l'évitement, les altérations négatives et l'hyper-réactivité): on les retrouve chez les patients pris en charge en oncologie. " Le cancer peut impliquer des événements stressants qui se répètent ou se poursuivent. Le patient peut souffrir de symptômes de SPT à tout moment, du diagnostic à la fin du traitement voire lors d'une éventuelle récidive. Un dépistage peut donc être nécessaire plusieurs fois." " Par ailleurs, chez ceux qui ont des antécédents d'ESPT suite à un traumatisme antérieur, les symptômes peuvent recommencer suite à certains déclencheurs rencontrés au cours du traitement (par exemple, être à l'intérieur d'une IRM...). Quand on travaille l'EMDR, on fait une évaluation globale de la personne et des traumas qu'elle aurait pu vivre parce que, s'ils n'ont pas été correctement digérés, ils peuvent se déclencher au moment du cancer". Vanessa Grandjean travaille beaucoup avec des métaphores, notamment celle du "train": " Quand je vois un patient pour la première fois, je dessine un train et je lui explique qu'il est rentré dans le train du cancer où il ne veut pas du tout aller et qui compte plusieurs wagons. Les moments les plus difficiles sont l'entrée dans le train (parce qu'il ne sait pas le nombre de wagons qu'il devra traverser ni dans quel ordre) et la sortie. Les stress à répétition (diagnostic, chimio, perte des cheveux...) ne sont pas évidents à gérer, le cerveau n'a pas toujours le temps ou les ressources psychologiques pour pouvoir faire face, ce qui peut donner un ESPT", précise-t-elle. Les symptômes du SPT liés au cancer ressemblent beaucoup à ceux d'autres troubles liés au stress, à la dépression, aux troubles anxieux, aux phobies et au trouble panique. Les patients peuvent se sentir défensifs, irritables ou craintifs, être incapables de penser clairement, éviter d'autres personnes, avoir des problèmes de sommeil et une perte d'intérêt pour la vie. Il faut noter que l'ESPT peut toucher de façon indirecte: apprendre qu'un être cher a le cancer, voir un proche dans la douleur et avoir une urgence médicale sont des événements traumatisants. Une étude a par exemple montré que dans près de 20% des familles d'un adolescent qui a survécu à un cancer infantile, un parent souffrait d'un ESPT. " La Dr Caroline Duhem, l'oncologue avec qui je travaille au CHL", ajoute-t-elle , "est très intéressée par notre approche parce qu'elle se rend compte que pas mal de patients souffrent de fatigue, de troubles cognitifs. Un jour, elle m'a demandé si l'EMDR ne pourrait pas les aider parce que certains ont des troubles cognitifs sans avoir eu de chimiothérapie et que ces troubles viendraient peut-être de la fatigue et la fatigue du stress qu'ils auraient vécu." " Le lien entre cancer et ESPT fait débat chez les patients: l'un devance-t-il l'autre? Un événement de vie peut-il entraîner le cancer? Aucun étude ne prouve l'un ou l'autre. Nous mettons en garde les patients parce que beaucoup cherchent la cause du cancer pour guérir. Au Luxembourg, certains vont en Allemagne voir des guérisseurs qui soignent des blessures de l'âme. Nous ne travaillons pas ça avec l'EMDR, s'il y a des traumas qui n'ont rien à voir avec le cancer, on les traite mais pas par rapport au cancer. On va travailler sur les déclencheurs, pourquoi ils s'activent aujourd'hui? On regarde les situations." La méthode EMDR, Eye Movement Desensitization and Processing, a été développée à la fin des années 1980 aux États-Unis par la psychologue Francine Shapiro et a été introduite en Europe par David Servan-Schreiber. " Cette thérapie consiste à traiter les traumatismes profonds du passé grâce à la visualisation mentale et à la stimulation sensorielle. Elle permet la remise en route d'un traitement adaptatif naturel d'informations douloureuses bloquées (par exemple, après un choc traumatique), la mobilisation de ressources psychiques, l'intégration de 'souvenirs' pathogènes dans la mémoire, qui cessent ainsi d'être douloureux, et la restauration d'une estime de soi déficiente", souligne Vanessa Grandjean. " C'est un peu comme si au moment du choc, le cerveau s'était mis en mode pause, qu'il ne digérait plus les infos et commençait à créer une mémoire traumatique", traduit-elle. L'EMDR ne peut ni effacer, ni changer le passé, mais elle permet qu'il ne fasse plus mal pour que les personnes arrivent à fonctionner, à travailler...". Une revue systématique de la littérature suggère ainsi que l'EMDR pourrait être un traitement prometteur de la détresse psychologique chez les patients atteints de cancer (1).L'EMDR se pratique soit par des mouvements des yeux, soit par des stimuli auditifs ou cutanés pour induire une résolution rapide des symptômes (par exemple, deux à douze séances en quatre mois) (voir aussi l'encadré). " Avec la pandémie, on a dû trouver une solution, comme les séances à distance (suivre le doigt du thérapeute par vidéo, se faire des 'papillons' (tapotements sur les épaules) en stimulation bilatérale...) et les applications. Aujourd'hui, les formations se font aussi en ligne". " Les oncologues sont des bons 'dépisteurs' parce que les symptômes de SPT se déclenchent au bout de trois mois, quand les patients n'ont plus de traitement, mais ces médecins continuent de les voir tous les trois à six mois. Ils sont sensibilisés pour capter des signes: quand ils sentent que la personne reste dans 'le train', quand elle en parle comme si c'était hier, alors que c'était il y a plusieurs mois, et ils sont attentifs aux plaintes récurrentes (fatigue, troubles cognitifs, irritabilité et changement d'humeur)." Pour Vanessa Grandjean, il est donc important d'évaluer les ESPT dans le contexte du cancer: " L'EMDR est un outil thérapeutique parmi d'autres, le patient doit être vu dans sa globalité et le respect de son rythme."