Le médecin généraliste a un rôle crucial dans le repérage et l'accompagnement de ces patients. L'objectif principal de ce travail fut d'élaborer un protocole d'audit qualité afin d'améliorer le dépistage des violences intrafamiliales (VIF) chez les patients consommant des psychotropes.
Méthodologie
Cette étude pilote a été réalisée suivant les sept étapes d'élaboration d'un audit qualité: identifier les problèmes (1), définir les priorités (2), déterminer les critères de qualité (3), préciser la situation (4), définir les objectifs (5), planifier le changement (6) et définir les indicateurs d'évaluation (7). Afin de préciser la situation de départ sur le lieu d'étude (4) - une maison médicale à Bruxelles -, une étude qualitative a été menée auprès de 12 généralistes. Les entretiens ont fait suite à une période de mise en pratique de six semaines, durant laquelle les praticiens ont dû dépister la présence de VIF chez les patients traités par psychotropes.
Résultats
72 patients consommant des psychotropes ont été inclus dans l'étude. Les médecins ont dépisté un vécu de VIF chez 60% d'entre eux. Le dépistage des VIF en partant du traitement par psychotropes a démontré son intérêt auprès des généralistes, étant donné son intégration aisée dans la consultation: dépistage avec un point d'entrée tangible, il est bien accepté par les patients, moins genré et se traduit par un taux élevé de dépistages des violences intrafamiliales positifs.
Sept stratégies de changement sont ressorties à la suite de ce travail: la formation des soignants, la titularisation des patients, l'amélioration de l'encodage, les réunions de supervision, l'utilisation d'un contrat de traitement, l'inclusion d'aide à la pratique dans le logiciel informatique et l'adoption d'un discours commun pour le renouvel- lement de traitement par psychotropes. Sur base des recommandations de bonnes pratiques, des éléments relevés dans les entretiens et des discussions avec l'équipe clinique, un protocole d'audit qualité a pu être réalisé, composé des critères, objectifs et indicateurs nécessaires à son implémentation.
Conclusion
Cette étude pilote a confirmé que les médicaments psychotropes constituent un indicateur tangible du dépistage des VIF, ce qui a permis de développer un protocole d'audit qualité adapté au contexte de soins de santé primaires.
Le protocole sera testé dans différentes pratiques de soins primaires, et doit être évalué après 6 à 12 mois pour mesurer son impact à long terme sur l'amélioration du dépistage des violences intrafamiliales dans ce contexte. Les professionnels de la santé doivent se familiariser avec les procédures d'audit pour garantir les meilleures pratiques en matière de soins primaires intégrés.
Ce travail a été présenté au congrès du CMGF Paris 2023 et au WONCA Europe 2023 (Bruxelles). Le protocole proposé a par la suite été implémenté dans d'autres structures de soins pluridisciplinaires au cours d'une seconde étude (TFE du Dr Faber, ULB 2022-2023).
Titre complet: Dépistage des violences intrafamiliales: et si on s'intéressait aux psychotropes? Elaboration d'un audit qualité en médecine générale.
Promotrice: Dre Lou Richelle
Copromotrice: Anne-Marie Offermans
Master de spécialisation en médecine générale (année académique 2021-2022).
Qui êtes-vous, Dre Éline Madelpuech?
Pourquoi avez-vous choisi la médecine générale ?
Durant mon master, j'ai eu la chance de faire de très beaux stages en médecine générale ou, du moins, des stages qui ont résonné avec mes envies. J'ai découvert une spécialité riche, tant sur le plan humain qu'intellectuel, grâce à des maîtres de stage passionnés et des équipes pluridisciplinaires motivées. J'aimais le côté engagé de ceux-ci et leur volonté d'offrir, en plus d'une médecine de première ligne efficace, des soins de plus en plus pointus à leurs patients. Je pense que j'ai particulièrement accroché avec les personnalités des généralistes que j'ai rencontrées durant ces stages : des soignants ayant une grande curiosité naturelle (également en dehors de la médecine), un leadership authentique et bienveillant, et un côté entrepreneurial qui m'a tout de suite séduite.
Donc je pense qu'en premier lieu, ce qui m'a plu dans la médecine générale, en dehors de mon intérêt pour les prises en charge holistiques, c'est de voir qu'il existait différentes manières de pratiquer. Cela contrastait avec le monde hospitalier, qui me semblait parfois restreint. En fin de master de médecine, j'avais deux certitudes : côté humain, je voulais travailler en équipe et avoir une relation privilégiée avec mes patients et côté pratique, j'avais envie de toucher à beaucoup de choses différentes et faire une spécialité me permettant de pratiquer à l'étranger facilement, notamment en zone tropicale. La médecine interne et la médecine générale m'offraient les deux possibilités. J'ai choisi de commencer par une première année de médecine interne. Cela m'a permis d'affiner mes choix, et notamment de renforcer mon envie d'avoir une grande autonomie dans ma pratique. J'ai donc fait une réorientation vers la médecine générale pour y terminer mon assistanat.
Où exercez-vous en ce moment ? Qu'est-ce qui a guidé ce choix ?
J'ai terminé mon assistanat en octobre 2023, j'avais à coeur de prendre du temps pour explorer d'autres de mes centres d'intérêts avant d'avoir un emploi plus fixe. J'ai commencé par réaliser une transatlantique sur un voilier de 14 mètres, avec sept autres marins amateurs. C'était l'occasion rêvée de faire le point sur dix ans de médecine. J'ai eu un mois avec comme seule perspective l'océan, et des heures de quart de nuit pour réfléchir. Une aubaine! J'ai choisi de continuer sur ma lancée d'études, et de réaliser dans les prochains mois une année supplémentaire de MBA (un master en management général). Je rejoindrai une promotion composée de profils très variés, avec lesquels j'espère pouvoir apprendre et collaborer pour participer à des projets innovants en santé.
Où avez-vous effectué votre assistanat ?
Je valorise beaucoup l'opportunité d'avoir des expériences très variées durant l'assistanat et de pouvoir tester différentes pratiques. C'est rare dans le monde du travail ! Après un an de médecine interne à l'Hôpital Bracops (Bruxelles), j'ai travaillé dans une maison médicale durant deux années. Ce qui m'a fait grandir, c'est la collaboration pluridisciplinaire. C'est d'ailleurs dans cette équipe qu'est né le projet d'audit qualité sur le dépistage des violences intrafamiliales, un projet qui a pu se faire grâce à leur investissement. Ayant découvert la recherche par ce biais, ainsi qu'au travers de mes deux copromotrices (Dr Lou Richelle et Anne-Marie Offermans), j'ai commencé par une activité scientifique à temps partiel en deuxième année de MG, et j'ai réalisé ma dernière année en recherche à temps complet au sein du département de médecine générale de l'Université libre de Bruxelles. J'ai ainsi pu m'investir dans des projets pédagogiques (projet patient chronique, formation Glem, organisation du MED G DAY) et des projets de recherche en santé mentale. Cet assistanat est le reflet de mes envies : cumuler des expériences variées et riches en rencontres inspirantes ! C'est ça, la beauté de la médecine générale, pour moi.
Qu'appréciez-vous le plus dans votre pratique ? Et qu'appréciez-vous le moins ?
Je valorise particulièrement la sensation de pouvoir avoir un impact rapidement à l'échelle d'une patientèle, en mettant en place des points d'amélioration de la pratique et des campagnes de prévention. De même, j'ai beaucoup appris au contact des patients, notamment dans le milieu des assuétudes, et je compte de nombreuses interactions très positives et bienveillante. Néanmoins, le marchandage qu'il peut exister pour des prescriptions ou des certificats, la charge administrative présente notamment durant le covid, et le temps restreint de consultation, sont également des éléments qui m'ont déplu dans la pratique. Pour ma part, j'ai pu ressentir de la frustration d'avoir le sentiment de ne pas toujours pouvoir dispenser des soins de qualité. Je pense néanmoins que ces éléments peuvent évoluer en fonction du choix de pratique en dehors de l'assistanat.
Je pense également que la médecine générale est une pratique exigeante sur le plan émotionnel. J'ai apprécié avoir une balance avec des temps consacrés à la consultation et d'autres à la recherche ou d'autres projets. Je trouve que les différents éléments se nourrissent et permette de conserver une écoute active en consultation.
Votre exercice correspond-il à ce que vous imaginiez en entamant vos études ?
D'une certaine manière, oui! J'ai choisi la médecine générale pour pouvoir explorer différentes sphères de la santé. Je ne suis donc pas étonnée de m'aventurer sur une voie non conventionnelle. Je n'envisage pas le rôle de généraliste comme étant cantonné uniquement à la consultation. Je pense que les médecins peuvent avoir un rôle bien plus large à l'échelle de la santé publique.
Pour vous, quelles sont les qualités les plus précieuses pour un MG ?
La curiosité et la pédagogie! Pour moi, un bon généraliste est avant tout une personne ayant l'envie d'apprendre, de se former, de se perfectionner dans un champ très large de connaissances afin de fournir des soins de qualité aux patients. Pouvoir informer, former et "empouvoir/empower" les patients en transmettant ces connaissances est pour moi la manière la plus efficace de soigner. Je crois beaucoup au partenariat patient et au développement des compétences des patients dans leur propre prise en charge, de manière éclairée et guidée. La bienveillance est également la qualité première pour moi d'un médecin en général. Enfin, une bonne dose de patience et d'optimisme est nécessaire au quotidien!
Comment envisagez-vous le futur de la médecine générale?
Le rôle du MG, dans sa prise en charge bio-psycho-sociale du patient, restera pour moi la clef de voûte du système de santé. J'ai l'espoir que l'innovation, et notamment l'intelligence artificielle (à travers de logiciels d'aide à la pratique, de secrétariat, d'aide à la facturation, etc.), permette aux médecins de passer plus de temps de qualité et d'écoute auprès des patients. Pour cela, il est important pour moi de voir de plus en plus de généralistes et de professionnels de soins primaires dans des organes de décision et d'innovation afin de porter nos voix et celles de nos patients.
Avez-vous des projets, à court ou à plus long terme, en rapport avec votre formation et votre carrière de MG?
Je suis investi dans l'enseignement avec le département de médecine générale de l'ULB, et je prends un grand plaisir à échanger avec des étudiants lors des formations dans le cadre du projet patient chronique (un dispositif innovant permettant aux étudiants dès le 3ème bachelier de suivre un patient jusqu'à la fin de leur master) ou les séminaires multidisciplinaires, visant à la collaboration entre les professionnels de santé. C'est très motivant de prendre part à un dispositif qui a un impact sur la formation des futurs professionnels de santé.
De même, le rayonnement de la médecine générale passe également par la représentation des généralistes en dehors de leurs cabinets, dans des instances publiques ou privées. En tant que soignant, nous avons l'opportunité de nous investir dans des projets innovants qui vont influencer la pratique dans les prochaines années. L'intelligence artificielle, la collaboration avec des start-ups médicales ou le monde de l'industrie pharmaceutique sont des pistes qui me motivent et dans lesquelles je souhaite m'investir. À travers ces collaborations, je pense que les médecins peuvent apporter un point de vue pratique et concret pour favoriser le changement de manière adaptée au terrain.
Existe-t-il l'un ou l'autre aspect de la profession de MG qui demanderait à être amélioré, à vos yeux ?
Le médecin généraliste a la capacité de synthétiser, coordonner et intégrer les différents parcours de soins d'un patient, contribuant ainsi à une prise en charge plus fluide et efficiente. Il me paraît crucial de permettre aux généralistes de prendre effectivement ce temps dans leur pratique. Cela passe, pour moi, par une revalorisation des temps d'échanges pluridisciplinaires (tant sur le plan financier que logistique) et du rôle du généraliste. Il me semble également important que nos collègues spécialistes à l'hôpital aient une meilleure compréhension du rôle du généraliste afin de pouvoir transmettre les informations de manière plus fluide.
Quels sont vos loisirs? Avez-vous un violon d'Ingres parallèlement à votre pratique? Une activité de prédilection qui vous permet de décompresser?
J'ai toujours été particulièrement investie dans le monde associatif durant mes études et mon assistanat. Ayant envie d'une expérience internationale, je me suis engagée auprès de l'ESN ULiège (accueil des étudiants Erasmus), où j'ai pris la présidence durant ma quatrième année de médecine. C'était un engagement lourd en termes de temps, mais cela m'a permis d'apprendre à gérer mon temps efficacement, et j'ai pris énormément de plaisir à ce travail d'équipe, à gérer des projets d'envergure à plusieurs, et à m'épanouir également dans autre chose que mes études. Par la suite, j'ai créé avec Florence une association culturelle : All is good ASBL. En 4 ans, notre petite équipe s'est agrandie d'une vingtaine de bénévoles internationaux et nous avons ouvert des "bulles" à Liège et à Paris en plus de Bruxelles. Nous organisons des événements (conférences, ateliers créatifs, podcasts) ayant pour vocation de faire le lien entre des populations variées et de stimuler l'expression personnelle. Ce projet, tant entrepreneurial qu'humain, a été source d'un grand épanouissement pour moi. En 2023, nous avons eu l'occasion d'organiser une édition "Noob Night" spéciale santé sexuelle en partenariat avec le DMG ULB dans un bar de Bruxelles, avec le soutien d'incroyables médecins généralistes qui se reconnaîtront sûrement.