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Le Pr De Paepe a débuté son exposé par quelques chiffres passablement interpellants enregistrés en 2019 par l' Institute for Health Metrics and Evaluation américain au sujet de l'AVC ischémique. Cette année-là, 10.143 personnes en ont été victimes et près de 6.000 sont décédées de ses suites. En Belgique, il s'agit de la seconde cause de mortalité, après les cardiopathies ischémiques. En cas d'AVC, toute la chaîne de soins doit être sous-tendue par le principe du " time is brain": plus les mesures adéquates seront rapidement implémentées, plus le tissu cérébral pourra être préservé, avec à la clé la perspective d'un meilleur rétablissement fonctionnel. L' American Heart Association et l' American Stroke Association ont publié en 2019 des directives conjointes pour optimiser la phase pré-hospitalière de la prise en charge (1), que voici dans les grandes lignes: · Des campagnes d'information doivent sensibiliser la population aux symptômes de l'AVC et à la nécessité de mobiliser sans délai une aide médicale en appelant le numéro d'urgence. · Si le patient ou un témoin contactent les urgences, l'opérateur devra traiter cet appel de façon prioritaire en vue de minimiser la durée du transfert à l'hôpital. · Les programmes éducatifs concernant l'AVC doivent être développés à l'intention des médecins, du personnel hospitaliers et des services d'aide impliqués avant le transfert à l'hôpital. · Il est essentiel que les acteurs de première ligne utilisent des outils d'évaluation pour détecter les AVC. · Face à une suspicion d'AVC, les acteurs qui interviennent au stade pré-hospitalier devront envoyer une notification préalable à l'hôpital pour lui permettre de se préparer à accueillir le patient. · Des systèmes régionaux de gestion de l'AVC pourraient accroître l'efficacité de sa prise en charge. · Les patients chez qui l'hypothèse d'un AVC est très probable doivent être transférés le plus rapidement possible à l'hôpital le plus proche disposant de l'équipement nécessaire pour réaliser une thrombolyse intraveineuse. · S'il y a à proximité immédiate plusieurs établissements capables de réaliser une thrombolyse intraveineuse, il n'est pas démontré qu'il est utile de sauter le plus proche au profit d'un établissement équipé pour la réalisation d'une thrombectomie mécanique. · Des procédures pré-hospitalières doivent être développées pour identifier les patients qui ne sont pas candidats à une thrombolyse et chez qui l'occlusion d'un grand vaisseau sanguin est hautement probable. Ces personnes pourraient en effet retirer un bénéfice du transport immédiat vers un centre équipé pour la réalisation d'une thrombectomie mécanique. Diverses campagnes ont déjà été mises sur pied pour la sensibilisation du grand public aux symptômes de l'AVC au travers de l'acronyme anglais FAST - face (paralysie d'une moitié du visage), arm (perte de force dans le bras), speech (troubles de la parole) et time (contact avec une centrale d'urgence dans les plus brefs délais). L'opérateur du 112 est le second maillon de la chaîne de prise en charge. Le manuel belge de la régulation médicale s'est récemment enrichi d'un protocole spécifique pour lui permettre d'identifier rapidement les signaux d'alarme. Il enverra immédiatement le SMUR s'il suspecte la présence de symptômes engageant le pronostic vital ou une équipe d'intervention paramédicale (PIT) s'il pense qu'il est question d'un AVC non létal. Il est important qu'il puisse mobiliser le plus rapidement possible l'équipe d'intervention la plus appropriée. Le Pr De Paepe évoque une étude qui a mesuré - en milieu urbain - le temps écoulé entre l'apparition des symptômes et la réalisation du CT-scan. (2) En comparaison avec les patients qui se rendaient à l'hôpital par leurs propres moyens, le SMUR permettait d'obtenir un gain de temps de 30% et l'ambulance, de pas moins de 70%. " Ces chiffres reflètent notre propre expérience", commente le spécialiste. " Il n'est pas souhaitable d'envoyer systématiquement le SMUR en cas de suspicion d'AVC, parce qu'il prend souvent plus de temps." " La même étude révélait aussi qu'une visite préalable du médecin de famille multipliait par quatre le temps nécessaire. Nous recommandons donc à nos collègues de la première ligne, dans ces circonstances, d'alerter d'emblée le 112 avant de se rendre chez le patient." À ce stade intervient l'équipe pré-hospitalière. " Les directives pré-hospitalières accordent beaucoup d'attention au tri des patients et à l'identification de ceux qui présentent une occlusion d'un vaisseau sanguin important", précise Peter De Paepe . "Une étude prospective a démontré qu'un algorithme simple permettait aux ambulanciers d'identifier une occlusion d'un gros vaisseau avec une sensibilité de 100% et une spécificité de 87%." (3)Une directive concernant la stratégie médicamenteuse au cours de la phase pré-hospitalière a été publiée en 2018 dans l' European Journal of Neurology.(4) Elle stipule que l'administration d'oxygène ne se justifie que si la saturation est < 95% et qu'il convient alors de titrer jusqu'à obtention d'une normoxémie. Il n'est pas indiqué: · de traiter une tension trop élevée. La titration d'un tel traitement est en effet compliquée au cours de la phase pré-hospitalière, alors qu'une baisse brutale de la tension peut déboucher sur une extension de la lésion ischémique ; · d'administrer de l'insuline pour traiter une hyperglycémie ; · d'administrer des traitements (supposément) neuroprotecteurs, comme par exemple de la nimodipine ou du magnésium. Des recherches ont démontré que l'administration d'aspirine en temps opportun abaisse le risque de récidive précoce, mais il n'existe aucune preuve que ce traitement serait moins bénéfique lorsqu'il est reporté de quelques heures. " Au vu des temps de transport très courts dans notre pays, il n'est pas indiqué de l'administrer au cours de la phase pré-hospitalière", conclut le Pr De Paepe. " Mieux vaut attendre jusqu'à ce qu'une hémorragie intracrânienne ait pu être exclue." Entre-temps, certains ont examiné la possibilité d'une intervention encore plus rapide en amenant l'hôpital au chevet du patient. Une étude portant sur un millier de participants, publiée cette année dans le New England Journal of Medicine, démontre que le recours à des unités neurovasculaires mobiles débouche sur une amélioration du statut fonctionnel du patient après un AVC ischémique. (5) Le véhicule comprenait une équipe spécialement formée capable de réaliser des CT-scans et des tests sur le lieu d'intervention. En Belgique, ce sont jusqu'ici les patients qui continuent à se rendre à l'hôpital plutôt que l'inverse. À leur arrivée, c'est l'équipe hospitalière qui prend le relais... et, là encore, la vitesse à laquelle sont dispensés les soins appropriés sera déterminante pour le pronostic.