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Plusieurs types de douleurs aigües peuvent devenir chroniques : les lombalgies, les douleurs postopératoires, les atteintes neuropathiques type zona, le syndrome douloureux régional complexe (SDRC)... et, bien sûr, les douleurs musculosquelettiques, très fréquentes dans la population générale. " Si on ne peut éviter les douleurs aigües, en revanche, leur évolution dépend souvent de l'attitude du patient... et du médecin ", explique la Pr Anne Berquin, coordinatrice du Centre interdisciplinaire de la douleur chronique aux Cliniques universitaires Saint-Luc. " Bien souvent, on préconise encore trop de repos. Or, une activité physique adaptée est essentielle, non seulement pour accompagner la guérison des lésions tissulaires, mais aussi, surtout, pour éviter la chronicisation des douleurs qui en résultent. "Bien sûr, il ne s'agit pas de renvoyer un joggeur sur les pistes le lendemain d'une entorse de cheville ! Mais un repos total et trop long peut faire plus de mal que de bien. Certes, certaines lésions spécifiques (dans la polyarthrite, par exemple) peuvent s'installer et expliquer la persistance des douleurs. Mais dans l'immense majorité des cas, ce sont les mauvaises habitudes, parmi lesquelles un repos prolongé, qui empirent la douleur. " Le symptôme douloureux tend à perdurer au-delà de la guérison tissulaire ", rappelle la Pr Berquin. " Certains patients se focalisent sur la douleur et craignent de se blesser à nouveau ou plus sévèrement s'ils reprennent leurs activités normalement. Le déconditionnement physique se double alors d'un déconditionnement psychologique, voire social. " Ce qui est valable pour le repos l'est, à fortiori, pour l'immobilisation. " Durant mes études de médecine, le discours était encore : "Dans le doute, on plâtre !" ", se souvient la spécialiste en médecine physique. " Aujourd'hui, c'est plutôt le contraire. À l'exception des lésions tissulaires graves (fracture, rupture des ligaments, etc.), mieux vaut éviter l'immobilisation, à l'origine d'un risque bien réel de fonte musculaire, de SDRC et/ou de douleurs chroniques. Les mesures d'immobilisation doivent être relatives et toujours limitées dans le temps. En cas d'entorse, par exemple, si les ligaments ne sont pas déchirés, une contention souple, pendant quelques jours, suffit à soulager le patient. " Plus la douleur s'installe, plus il est difficile de revenir en arrière. Et pas seulement parce que le patient y pense trop ! La douleur chronique s'accompagne de modifications neurophysiologiques. " Le patient ne s'habitue pas à la douleur ; il y devient plus réactif. C'est dû notamment à des modifications au niveau des cellules gliales. Des études ont montré que, chez les douloureux chroniques, ces cellules régulatrices du système nerveux sont hyperactives. On observe aussi des modifications dans la topographie cérébrale de ces patients. Cliniquement parlant, il n'est pas impossible de venir à bout de certaines douleurs chroniques, mais les mécanismes à l'oeuvre ne sont pas bien compris. Nous ne les maîtrisons pas. Dans la pratique, mieux vaut donc agir en amont de la chronicité. " Tout d'abord, il convient de repérer les 10 à 20 % de patients à risque de chronicisation de la douleur. Pour ce faire, le KCE propose deux questionnaires très courts (une dizaine de questions) : STarT Back et Örebro. Le premier évalue les croyances des patients souffrant du dos ; le second concerne également les douleurs musculosquelettiques. En fonction des résultats, le premier axe de prise en charge relève de l'éducation thérapeutique. " Il faut bien informer le patient sur sa douleur et battre en brèche certaines de ses croyances ", conseille la Pr Berquin. " Cela fait plus de vingt ans que l'on sait que l'activité physique doit être encouragée. Pourtant, le message peine à passer... "La réadaptation par un kinésithérapeute ou un ergothérapeute constitue le second axe de prise en charge. Objectif : favoriser la (re)mobilisation et une prompte guérison. " Il est nécessaire d'identifier, d'évaluer et de tenter de résoudre les éventuels obstacles à cette remobilisation : dépression, fausses croyances, difficultés familiales ou professionnelles, facteurs financiers, etc. "Dans la pratique, les patients préfèrent souvent une solution qui les soulage rapidement. Ce qui, dans leur esprit, passe par la médication antalgique. " Les antidouleurs ne sont pas exclus en phase aigüe, mais l'antalgie n'est pas un but en soi ! ", insiste la Pr Berquin. " Le véritable objectif, c'est la mobilisation du patient. Dans cette perspective, les antidouleurs ne sont qu'un moyen d'y arriver. "Pour rappel, les médicaments antalgiques sont divisés en trois paliers : ? Palier I : le paracétamol et les AINS, ces derniers devant être prescrits à la plus faible dose et le moins longtemps possible ; ? Palier II : les morphiniques faibles (tramadol, codéine, etc.) sont réservés aux fortes douleurs, résistantes aux médicaments de palier I ; ? Palier III : les morphiniques forts (morphine et dérivés) doivent être évités dans les douleurs chroniques non cancéreuses. Et les infiltrations ? " Elles n'ont d'intérêt qu'en phase aigüe, car elles agissent localement, pas au niveau du système nerveux. Dans ce cas, en tant que médecin, profitez du soulagement qu'elles procurent pour prescrire de la kinésithérapie et encourager le patient à bouger. En contexte chronique, les infiltrations ne sont à envisager que si elles aident ce dernier à se (re)mobiliser. Sinon, ça n'en vaut pas la peine. "