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A l'heure où les chercheurs de la Fédération Wallonie Bruxelles se mobilisent (1) pour démontrer l'importance de la recherche animale en réaction au projet d'Arrêté visant à réformer de fond en comble la recherche scientifique fondamentale et préclinique, il est intéressant de se pencher sur les progrès obtenus dans l'utilisation des animaux de laboratoire. L'année dernière, l'Union européenne a édité son premier rapport statistique sur ce sujet depuis la transposition de la directive européenne relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (2010/63/UE). Datant de 1986, elle a été révisée en 2010 et implémentée en 2013. " La révision a été assez longue parce que le sujet est délicat, il mobilise beaucoup d' intervenants et subit pas mal de pression de la part des ligues de protection de l' animal qui sont particulièrement violentes. On a quand même réussi à trouver un texte consensuel adopté par l' UE en 2010", a expliqué Nancy Claude, toxicologue chez Servier et membre de l'Académie nationale de pharmacie (France) lors d'une conférence donnée le 2 décembre dernier (2). En quoi cette directive est-elle innovante? Les normes de soins et d'hébergement prévoient des cages plus grandes (de 1,75 m2 à 4 m2 pour le chien), plus hautes (de 12 cm à 14 cm pour le rat), enrichies (jouets, aliments frais...) et il faut veiller à la socialisation des animaux . "C'est plus compliqué pour les manipulateurs que lorsque les animaux sont encagés individuellement. Mais on a remarqué qu' il y avait moins de stress dans les colonies d' animaux et que les études sont de meilleure qualité", ajoute-t-elle."La deuxième nouveauté est très importante pour moi qui suis toxicologue, c'est la classification de la douleur à l' aide d'une grille d'évaluation. Elle doit figurer dans les procédures d' autorisation des projets avec des animaux de laboratoire. Enfin, le recours aux primates non humains est strictement contrôlé, avec l' obligation de justifier l'impossibilité d'utiliser une autre espèce et l' interdiction de manipuler des grands singes comme les chimpanzés".L'Europe établit un rapport tous les cinq ans. Le premier était prévu pour fin 2017, il n'est sorti qu'en 2019. En 2011, soit avant l'implémentation de la nouvelle directive, environ 11,5 millions d'animaux de laboratoire (>90% de rongeurs et poissons) étaient utilisés en Europe. "Après, il y a une nette baisse (- 20%), même si la comparaison n' est pas parfaite parce que le décompte n' a pas été fait de la même façon. Les animaux transgéniques ne sont pas comptabilisés (environ 1,2 million/an)", commente Nancy Claude. La diminution est assez drastique (-50%) pour les trois espèces conventionnelles (souris, rat et chien). En revanche, on n'enregistre pas de baisse pour le lapin: "En Europe, on utilise très peu de lapins parce que les méthodes alternatives (sensibilité ou toxicité oculaire) ont été mises en place bien avant les années 2000. Ce qui n' est pas le cas dans des pays comme la Chine et la Russie, qui en utilisent beaucoup"."C' est toujours un sujet sensible en raison de ses aptitudes sociales très proches des nôtres et parce que travailler sur des primates est assez difficile", estime la toxicologue qui souligne que la recherche médicale en est cependant de plus en plus friande . "Le singe est l' espèce la plus proche de l' homme sur le plan génétique et physiologique, il est essentiel à la recherche et à la formation (même si cette dernière en utilise moins). Mais surtout, on observe depuis quelques années une augmentation impressionnante des médicaments issus de la biotechnologie qui doivent être testés chez les primates (anticorps humanisés...). Et, en 2020, on va assister à une explosion étant donné les essais de développement des vaccins contre le Covid-19."En Europe, la quantité de primates utilisés (7600/an) est bien inférieure à celle des rongeurs (7 millions). "La majorité provient d'élevage. C' est une nouveauté parce qu'avant, on utilisait plutôt des singes de capture ou de semi-capture. Actuellement, il y a un grand problème de pénurie qui date d'avant la pandémie et qui est due aux nombreux développements des anticorps. Une situation aggravée cette année parce que la Chine n'exporte plus aucun singe. On imagine que c'est pour leurs recherches sur les vaccins anti-Covid. C'est assez dramatique parce que c'était un fournisseur important, il ne nous reste que l'Île Maurice et le Vietnam. On prévoit donc de demander l'autorisation de réintroduire quelques singes prélevés dans la nature."Selon le rapport, la majorité des singes sont exposés à des procédures enclenchant une douleur légère (51%) ou modérée (32%). La pharmacologie du système nerveux central est la plus douloureuse, suivie par la production des anticorps. Les pays sont tenus d'appliquer le principe des 3R: réduire la quantité d'animaux, remplacer autant que possible cette expérimentation et la raffiner. Au rang des bons élèves: les pays scandinaves et l'Allemagne, suivis par l'Italie. Quelles conclusions tirer de ce premier rapport européen? " On a constaté que la comparaison serait difficile d'un rapport à l' autre parce que les pathologies changent, comme on le verra dans le prochain avec le Covid", estime Nancy Claude . "En même temps, ça nous permet d' avoir une certaine visibilité vis-à-vis du grand public, avec une transparence sur le nombre d' animaux utilisés. On a un outil puissant qui nous permet de prioriser les méthodes de remplacement de l' animal de laboratoire et de faire beaucoup de progrès dans nos expériences."