...

Si le nouveau variant inquiète, c'est avant tout parce qu'il est tellement différent de ses prédécesseurs. Son génome compte en effet pas moins d'une cinquantaine de mutations qui le distinguent de la souche originale isolée à Wuhan, dont une trentaine concernent la protéine spike. Une grande partie de ces différences se situent en outre au niveau du domaine de liaison au récepteur, qui se fixe au récepteur ace2 de la cellule-hôte 1. Les correspondances avec d'autres variants récents comme delta ou bêta sont très limitées. Les scientifiques sont extrêmement intrigués par cette transformation. Comment est-il possible qu'un changement si soudain survienne dans le génome d'un virus? Les analyses génétiques donnent à penser qu'omicron n'est pas réellement dérivé des variants qui ont circulé ces derniers mois ; comme l'a expliqué le virologue américain Trevor Bedford dans une interview accordée au site d'information npr, la séquence virale qui s'en rapproche le plus est celle d'un variant qui a circulé mi-2020, soit il y a plus d'un an. Personne n'a toutefois trouvé la moindre trace des formes intermédiaires que l'on aurait pu attendre entre ce dernier et omicron, alors que leurs deux génomes restent tout de même passablement différents 2. Une première hypothèse évoquée par Trevor Bedford postule que le variant identifié mi-2020 pourrait avoir été transmis à l'une ou l'autre espèce animale, au sein de laquelle il aurait alors évolué avant de repasser à l'être humain - avec, dans son génome, une série de mutations nouvelles. L'expert américain doute toutefois que cette piste soit la bonne. D'après lui, si le virus avait fait un détour par un hôte animal, nous aurions en effet dû retrouver dans le génome d'omicron des traces du patrimoine génétique de cette autre espèce... or il ne comporte que le l'ARN humain, ce qui donne à penser que son évolution s'est faite au sein d'une population humaine. Suresh Kuchipudi, professeur en maladies émergentes à la Penn State University, est moins enclin à rejeter l'hypothèse zoonotique. Il rappelle en effet sur le site d'information The Conversation que le Sars-CoV-2 a été retrouvé chez des furets, des tigres, des lions, des chats et des chiens3. Il a lui-même découvert avec son équipe d'importants foyers d'infection dans des populations américaines de cerfs de Virginie aussi bien sauvages que captives, comme il le rapporte dans une étude actuellement en attente de peer-review. Une seconde hypothèse soulevée par Trevor Bedford est que le variant de la mi-2020 aurait circulé dans une population humaine peu suivie, peut-être quelque part dans le sud du continent africain - un phénomène désigné par le nom de "propagation cryptique". Dans ce scénario, le virus aurait évolué discrètement jusqu'à accumuler suffisamment de mutations pour se propager à un groupe plus large en raison d'une contagiosité accrue. Là encore, le virologue est sceptique, estimant peu probable qu'un virus puisse évoluer brusquement d'une forme suffisamment peu contagieuse pour rester contenue dans une seule communauté à un variant hautement infectieux capable de se propager à plusieurs régions du monde avant que nous n'ayons eu le temps de nous en rendre compte. Rappelons néanmoins que la question était à la base de savoir pourquoi omicron est tellement différent des variants antérieurs. Son expansion à un groupe plus large au départ d'une communauté relativement fermée peut être le fruit d'un simple hasard, ce qui ne remet pas en cause la validité de l'hypothèse de la propagation cryptique. Une troisième hypothèse postule qu'omicron se serait développé au départ du variant de mi-2020 dans l'organisme d'un seul et unique patient. Il pourrait s'agir d'un sujet à l'immunité déficiente, p.ex. en raison d'une contamination par le VIH, dont les défenses étaient suffisantes pour garder le virus sous contrôle mais pas pour le détruire complètement. Pour Trevor Bedford, c'est ce scénario qui semble le plus convaincant. C'est également l'avis de Richard Lessells de l'université de Durban, l'un des membres de l'équipe qui a identifié le variant omicron. Avec ses collaborateurs, il a notamment eu l'occasion d'analyser des échantillons sanguins provenant d'une patiente infectée par le VIH et par le Sars-CoV-2, et dont il s'est avéré par la suite que son traitement ne fonctionnait pas bien en raison d'un concours de circonstances. Sur une période de quelques mois, ils ont observé chez elle une persistance du virus doublée de l'apparition de formes comparables aux variants d'intérêt ( variants of concern) qui se sont propagés à travers le monde au cours des derniers mois.