La question interpelle les experts depuis le début de l'épidémie : pourquoi donc les enfants développent-ils si rarement une forme symptomatique du Covid-19 ? L'infectiologue pédiatrique Susanna Felsenstein et le rhumatologue pédiatrique Christian Hedrich avancent quelques pistes d'explications dans les pages du Lancet.
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Plusieurs théories ont déjà circulé dans la littérature concernant l'interaction entre le Sras-CoV-2 et les patients pédiatriques. On a notamment pu lire que les enfants ne sont que rarement infectés par le virus, qu'ils sont bien susceptibles d'être infectés mais rarement symptomatiques - ce qui en ferait une source de contamination cachée - ou encore que ceux qui sont infectés ne présentent qu'une faible charge virale au niveau des muqueuses et ne sont donc pas une source de contamination. Pour leur article dans le Lancet, les deux experts britanniques se basent sur des rapports non publiés pour conclure que les plus jeunes sont bel et bien susceptibles d'être infectés - d'après eux, le taux de contamination serait même sous-évalué dans ce public, parce que les tests de dépistage sont utilisés principalement chez les patients symptomatiques. La faible prévalence des symptômes chez les enfants leur semble toutefois intrigante, sachant que les petits patients sont généralement sensibles aux infections virales et qu'il n'est pas exceptionnel que celles-ci les rendent passablement malades. Plusieurs mécanismes peuvent toutefois expliquer pourquoi les groupes d'âge les plus jeunes sont si rarement symptomatiques dans le cas qui nous occupe. Plus de 75 % des enfants possèdent déjà des anticorps contre les coronavirus responsables du rhume banal avant leur quatrième anniversaire. Ceux-ci présentent une modeste réactivité croisée contre le Sras-CoV-1, étroitement apparenté au Sras-CoV-2, et l'on peut donc raisonnablement supposer que l'immunité contre les coronavirus associés au rhume banal offre aussi une certaine protection contre le Covid-19. Ces anticorps disparaissent toutefois assez rapidement de l'organisme - et encore sensiblement plus vite chez les plus de 60 ans, sous l'effet du vieillissement du système immunitaire. Les écoles sont toutefois de véritables viviers d'infections respiratoires virales, ce qui assure à l'immunité des enfants des " boosts " réguliers. Voilà donc un premier élément qui peut expliquer la relative protection dont bénéficient les plus jeunes. D'après Felsenstein et Hedrich, non contents d'être associés à une protection insuffisante, des titres d'anticorps trop faibles pourraient même favoriser activement une évolution défavorable. Les deux spécialistes font ici référence au processus de facilitation de l'infection dépendante des anticorps ( antibody-dependent enhancement ou ADE) : lorsque ceux-ci ne parviennent pas à neutraliser suffisamment le virus, ils peuvent former avec lui des complexes qui vont se fixer sur les monocytes et macrophages via le récepteur de la fraction Fc de l'anticorps. Ceci facilite l'internalisation du virus, ce qui déclenche une infection massive des cellules concernées, doublée d'un tableau clinique sévère. Il est établi que l'ADE peut survenir en présence non seulement d'anticorps trop peu spécifiques, mais aussi de titres relativement faibles. Un second point d'attention est l'expression d'ACE2, la protéine de surface à laquelle le Sras-CoV-2 se fixe pour pénétrer dans les cellules du tissu pulmonaire ; Felsenstein et Hedrich soulignent qu'elle est la plus marquée chez les enfants et diminue progressivement avec l'âge. La question de savoir si une forte densité de récepteurs ACE2 est une bonne ou une mauvaise chose dans le contexte de l'infection à Sras-CoV-2 suscite toutefois depuis un certain temps déjà une âpre controverse. Un nombre plus important de récepteurs ACE2 ouvre en effet grandes les portes au virus... mais d'un autre côté, l'ACE2 a aussi une fonction bien particulière dans le système RAA (rénine-angiotensine-aldostérone), puisqu'il dégrade l'angiotensine 2 pro-inflammatoire et la convertit en angiotensine 1-7, qui tempère justement l'inflammation. Les auteurs font d'ailleurs remarquer dans le Lancet qu'une faible densité d'ACE2 se retrouve typiquement chez les profils à haut risque, comme par exemple les patients diabétiques ou hypertendus... Lancet Rheumatol 2020 ; https://doi.org/10.1016/ S2665-9913(20)30212-5.