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Sur le principe, l'intérêt d'employer un immunosuppresseur contre le Sras-CoV-2 paraît évident et justifie que le tocilizumab ait été employé off-label dès début mars. En saturant les récepteurs de l'IL-6, la molécule atténue la réaction immunitaire de l'organisme face à l'agression virale. Et donc module ou retarde également la fameuse tempête cytokinique qui coûte tant de vies dans les services de soins intensifs. " Chez un nombre réduit de patients, entre le 7e et le 14e jour d'infection, le système immunitaire peut s'emballer. Le patient va alors produire lui-même les cellules qui vont certes lutter contre le Covid, mais aussi attaquer différents organes comme les poumons, le coeur ou les reins, parfois jusqu'au décès. L'idée est donc d'administrer une drogue qui s'oppose à l'action du système immunitaire au moment où celui-ci s'emballe afin d'éviter que cette étape survienne", explique le Dr Olivier Malaise, rhumatologue au CHU de Liège. Le spécialiste utilise le tocilizumab en routine en rhumatologie pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, mais également dans certaines vascularites comme le Horton ou certains syndromes auto-inflammatoires comme la maladie de Still. Et son hôpital participe actuellement à plusieurs études multicentriques qui évaluent différentes stratégies de traitement pour les patients Covid. Mais si le rationnel est robuste, qu'en est-il au lit du patient? Le Dr Nathalie Layos, intensiviste au CHU, livre son analyse. L'édition du Jama Internal Medicine du 20 octobre publie les résultats de trois essais, assez nuancés. L'essai français Corimuno-Toci-1 (1), (NDLR: qui a subi des remous puisque son premier conseil de surveillance a démissionné en mai, protestant contre la publication prématurée de résultats incomplets), livre finalement des résultats " positifs, mais limités": le tocilizumab limite l'aggravation et la nécessité de transfert en réanimation des patients atteints de pneumonie Covid-19 modérée à sévère. Les patients avaient besoin au moins de 3 litres/minute d'oxygène mais sans recours à la réanimation au moment de leur admission. Le critère de jugement primaire était la combinaison du besoin de ventilation (mécanique ou non invasive) ou du décès après deux semaines. La proportion de patients ayant nécessité une ventilation non invasive, une intubation ou décédés au 14? jour était de 36% avec les soins usuels et de 24% avec le tocilizumab. Cependant, aucune différence de mortalité à 28 jours n'a été constatée entre les deux bras (11.1% et 11.9%), respectivement. C'est la grande limitation de cette étude, et la source des déceptions à son égard. Mais il reste qu'au 14e jour, le risque de mourir ou d'avoir recours à la ventilation non invasive ou mécanique a été diminué de 33%. La proportion de patients ayant dû être transférés en réanimation a été diminuée de moitié dans le bras tocilizumab (18%). Le pourcentage de patients ayant quitté l'hôpital au jour 28 était aussi plus importante: 83% versus 73%. Un essai italien (2) a inclus des patients avec une pneumonie à Covid-19 et un phénotype inflammatoire défini par de la fièvre et une élévation du taux de protéine CRP. Mais aucun bénéfice sur la progression de la maladie n'a été observé par rapport aux soins standard. Quant à l'essai américain (3), mais qui est rétrospectif, il a porté sur près de 4.000 adultes. Le risque de mortalité hospitalière dans cette étude était plus faible chez les patients traités précocement par tocilizumab au cours des deux premiers jours d'admission. Les premiers résultats enregistrés ont entraîné que dans de nombreux centres aux États-Unis, l'utilisation off-label du tocilizumab est devenue la norme de soins pour les patients atteints de Covid-19 et de signes d'hyperinflammation. Cependant, les lignes directrices des National Institutes of Health et de l'Infectious Disease Society of America recommandent désormais de ne pas utiliser le tocilizumab, sauf dans le cadre d'un essai clinique. Bien qu'un nombre croissant d'études observationnelles aient suggéré un bénéfice de mortalité, les données des essais cliniques randomisés (ECR) du tocilizumab manquaient pour une recommandation systématique d'une molécule par ailleurs coûteuse. " Il existe également deux études menées aux USA par le producteur du médicament, qui ne concluent pas à une efficacité. Cette diversité de résultat, loin de pousser à abandonner la piste du tocilizumab, comme on a pu l'entendre, pousse à poursuivre d'autres essais, comme ceux que nous menons au CHU, afin de comprendre quels sont les patients qui bénéficieront le plus du médicament et selon quel schéma d'administration", soulignent les deux médecins . "Certaines études ne disposaient que d'un effectif très réduit, une soixantaine de patients. Cela signifie que même si les données sont reconnues comme statistiquement significatives, leurs conclusions, prometteuses ou pas, ne peuvent être considérées comme définitives. C'est pour cela qu'il faut poursuivre les recherches", explique le Dr Nathalie Layios. " Nous participons notamment à une étude belge multicentrique menée par l'Université de Gand, qui inclut plutôt des patients plus sévères que la moyenne des études et qui veut enrôler 360 malades. 280 l'ont déjà été et nous espérons terminer l'enrôlement fin d'année. Les résultats devraient suivre dans les mois qui suivent". Pour l'instant, aucune analyse intermédiaire n'a été publiée. "Parmi les 6 derniers patients en provenance du CHU, deux ont bien évolué, un a quitté l'étude, un autre est en revalidation et un dernier vient d'être enrôlé", explique Nathalie Layios. Cette étude étudie également les inhibiteurs de l'IL-1 et une autre étude est en cours contre CCR5. Bref, si les immenses espoirs nés en mars de l'utilisation du tocilizumab ne se sont pas accomplis, cela ne signifie pas que la molécule ne soit pas efficace auprès d'une sous-population de malades menacés par la fameuse tempête cytokinique. " Il faut par exemple vérifier si, associé à de la cortisone, il n'aboutit pas à une réduction notable de la mortalité", explique le Dr Layios. Une étude récente publiée dans Chest offre d'ailleurs des arguments positifs envers cette hypothèse. " Il en est de cette question comme de la lutte contre le sepsis. Parce qu'elle enregistrait d'importants effets positifs, on a cru que l'hydrocortisone allait sauver tous les patients atteints du sepsis. Et ce ne fut pas le cas. Parce que chaque phénotype clinique est différent et demande un schéma thérapeutique différent." " De même, le tocilizumab ne sauvera pas tous les patients Covid, mais peut-être une sous-population précise qu'il faut circonscrire sur base de biomarqueurs univoques et d'un timing d'administration correct. C'est évidemment extrêmement complexe", conclut Olivier Malaise. JAMA Intern Med. 2020 - doi: 10.1001/jamainternmed. 2020.6820. >> JAMA Intern Med. 2020 - doi: 10.1001/jamainternmed. 2020.6615. >> JAMA Intern Med. 2020 - doi: 10.1001/jamainternmed. 2020.6252.